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Éolien et espèces protégées : changeons les termes du débat pour en sortir

Les espèces protégées font l'objet, en droit de l'Union européenne et en droit interne, d'un cadre juridique protecteur. Il est sujet de débat, voire de conflit, entre certains protecteurs de la biodiversité et les producteurs d'énergies renouvelables.

DROIT  |  Tribune  |  Biodiversité  |  
   
Éolien et espèces protégées : changeons les termes du débat pour en sortir
Arnaud Gossement
Avocat et professeur associé à l'université Paris I Panthéon Sorbonne
   

Le débat relatif au cadre juridique de la protection des espèces protégées s'est transporté devant le juge, et nourrit désormais un important contentieux. La réponse du législateur européen ou français, en une tentative de simplification du droit de l'environnement, est la mise en place d'une présomption de Raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM), à laquelle doivent répondre les projets.  Une réponse qui, pour l'heure, a surtout généré une nouvelle complexification du droit. Une autre voie serait de changer les termes de ce débat pour en sortir. Il est temps de poser la question, non plus de la simplification de l'évaluation environnementale, mais de l'auteur de l'évaluation environnementale. Pour restaurer la confiance du public dans les études d'impact et réduire réellement le risque juridique qui contraint les projets, une piste serait de ne plus exiger de la part des porteurs de projets d'avoir à réaliser eux-mêmes et sous leur responsabilité cette évaluation.

Pour mémoire, le cadre juridique relatif à la protection des espèces protégées comporte une obligation, pour le responsable de l'évaluation environnementale d'un projet, de justifier du respect de l'interdiction de destruction d'espèces protégées – en réalité du patrimoine naturel en général - inscrite à l'article L. 411-1 du code de l'environnement. Le principe est bien celui de l'interdiction de détruire une espèce protégée, mais une dérogation est permise dans les conditions définies à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, sous le contrôle de l'Administration puis du juge, administratif en particulier. Pour se prévaloir de cette dérogation, le porteur de projet doit rapporter la preuve qu'il n'existe pas « d'autre solution satisfaisante » évaluée par une tierce expertise et que l'autorisation de déroger sollicitée ne nuira pas au « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ». En outre, la dérogation ne pourra pas être octroyée si l'un des cinq motifs énoncés du a) au e) de l'article L. 411-2, 4° du code de l'environnement n'est pas satisfait, notamment celui tiré de l'existence d'une « raison impérative d'intérêt public majeur ». Depuis plusieurs années, les bénéficiaires d'autorisation d'exploiter et leurs opposants s'affrontent devant le juge administratif, non seulement sur le contenu des conditions d'octroi de la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées mais aussi sur l'obligation d'avoir à déposer une telle demande de dérogation : quand l'Administration est-elle tenue d'exiger de la part du demandeur d'une autorisation environnementale le dépôt d'une demande d'autorisation de déroger au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ? Cette question a, à son tour, alimenté un contentieux important, lequel a contribué à alimenter l'incertitude quant à la faisabilité juridique des projets d'énergies renouvelables. C'est dans ce contexte que, par un avis contentieux du 9 décembre 2022, le Conseil d'État, à la demande de la cour administrative d'appel de Douai, a précisé son interprétation des dispositions du droit positif relatives aux conditions de déclenchement de l'obligation de dépôt d'une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Par cet avis contentieux, le Conseil d'État a ainsi précisé qu'une demande de dérogation « espèces protégées » devait être déposée par le pétitionnaire lorsque les deux conditions cumulatives suivantes sont réunies :

-  la « présence » d'un « spécimen » d'une espèce protégée dans la « zone du projet » ;

-  le risque pour l'espèce étudiée doit être « suffisamment caractérisé ».

La haute juridiction administrative ne s'est pas bornée à préciser le contenu des conditions de déclenchement de l'obligation de dépôt d'une demande de dérogation. Elle a également forgé une méthode. Elle a ainsi souhaité mettre un terme aux hésitations de la jurisprudence administrative en précisant que les mesures d'évitement mais aussi de réduction doivent être prises en compte pour caractériser le risque d'atteinte à la l'état de conservation de l'espèce protégée en cause. Ces mesures devront présenter des « garanties d'effectivité » et permettre de « diminuer le risque ». L'étude de la jurisprudence administrative, qui s'est développée à la suite de cet avis contentieux du Conseil d'État, démontre une unification du vocabulaire juridique et un recours important à la procédure de la régularisation de l'autorisation environnementale. Pour autant, de notre expérience, le contentieux demeure important et la question de la dérogation espèces protégées continue de créer une incertitude qui, à elle seule, contribue à compliquer et ralentir le nécessaire développement des projets de production d'énergies renouvelables.

Les législateurs européen et national[3] sont intervenus pour créer une présomption de respect de cette condition d'octroi de la dérogation précitée. Reste que l'administration de la preuve de la RIIPM des projets n'est que l'une des nombreuses preuves à rapporter. En outre, le caractère simple ou irréfragable de la présomption ainsi créée est débattu par la doctrine. La solution qui consiste à simplifier par petites touches en tentant uniquement de faciliter la preuve de l'une des conditions à réunir pour bénéficier d'une dérogation n'est, à notre sens, pas satisfaisante. Ni pour la protection de la nature, ni pour la production d'énergies renouvelables, les deux étant requises pour l'effort de lutte de contre le changement climatique.

Aussi, il est sans doute temps d'explorer une autre piste pour concilier la protection des espèces avec la décarbonation de notre production d'énergie. Cette piste est la suivante : plutôt que de s'interroger sur la manière d'alléger la « contrainte » juridique qui pèse sur les exploitants, il serait précieux de s'interroger sur l'opportunité de ne pas alléger cette contrainte mais plutôt de la faire peser sur quelqu'un d'autre. Force est de constater que le droit de l'Union européenne l'exige encore, le fait d'imposer au demandeur d'une autorisation environnementale (notamment) de procéder lui-même à l'évaluation environnementale de son projet crée trop souvent une réaction défiance de la part de l'Administration et du public. Pour l'heure, les études d'impact, quelle que soit leur qualité, sont trop souvent remises en cause, dans la presse, lors de l'instruction des projets ou devant le juge, au motif qu'elles seraient rédigées de manière orientée pour ne pas compromettre les intérêts du porteur de projet. Certes, ces études d'impact sont ensuite contrôlées, tant par le service instructeur que l'autorité environnementale, mais le débat relatif à la dérogation espèces protégées démontre que ce contrôle ne prévient pas la formation ultérieure d'un contentieux et ne réduit pas l'opposition, qu'elle soit ou non sincère. La réflexion relative à l'auteur de l'étude d'impact n'est pas nouvelle mais il serait précieux de la reprendre. La politique de la simplification par petites touche a déjà démontré ses limites, et il est sans doute plus utile de prendre du recul et de considérer le cadre juridique de l'évaluation environnementale dans son ensemble. Sans rien changer à son contenu ni à ses objectifs, la rédaction de l'étude d'impact pourrait être alors confiée à un tiers dont l'indépendance et la rigueur ne souffriraient plus aucun reproche.

Plusieurs possibilités existent. L'État pourrait organiser directement ce travail en sélectionnant l'auteur de l'étude d'impact à réaliser ou en créant un fonds abondé par les porteurs de projets. Il est également possible d'envisager un mécanisme proche de celui de la « responsabilité élargie du producteur », d'ores et déjà existant pour la prévention et la gestion des déchets. Une structure de type éco-organisme permettrait de mutualiser le coût de l'évaluation environnementale et ainsi de garantir une égalité d'accès au marché de la production d'énergie entre opérateurs économiques, sans dégrader le niveau de dépense nécessaire pour correctement évaluer les milieux et les effets des projets. Ce type de réforme relative à l'auteur de l'étude d'impact pourrait ainsi intéresser tant l'évaluation des plans et programmes que l'évaluation, en aval, des projets. Au demeurant, cette réforme serait aussi une occasion de mieux coordonner les évaluations environnementales amont et aval. Le porteur de projet demeurerait libre de son projet et responsable de la description de ses principales caractéristiques. L'auteur indépendant de l'étude d'impact aurait plus de liberté pour en étudier les effets. La mutualisation du financement et des études d'impact elles-mêmes (au-delà d'un simple fichier national) aurait pour intérêt de donner des moyens accrus à la recherche scientifique – publique et privée – de raccourcir les délais d'instruction grâce à la mise en commun et à l'actualisation en continu des connaissances scientifiques. Notre propos n'est certainement pas de proposer une baguette magique mais plutôt de mettre à l'étude cette hypothèse d'un changement du débiteur de l'obligation d'évaluation environnementale. Au demeurant, cette réforme suppose d'abord une correction du droit de l'Union européenne et, sans doute, une phase d'expérimentation. Mais à tout le moins, elle permettrait de sortir du conflit actuel au profit d'une recherche commune de solutions pour protéger les espèces tout en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre.

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