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Éolien : l'industrialisation de la filière marine, une étape à ne pas manquer

En fixant des objectifs ambitieux à long terme, Emmanuel Macron a envoyé des signaux positifs pour mettre la filière de l'éolien marin en ordre de marche. Le défi : être prêts collectivement à répondre à l'accélération de l'installation des parcs en mer.

Energie  |    |  S. Fabrégat
Éolien : l'industrialisation de la filière marine, une étape à ne pas manquer

Équipementiers, développeurs, gestionnaires de réseaux ou d'infrastructures portuaires… Tous les acteurs imbriqués dans la chaîne de valeur de l'éolien en mer ont désormais un horizon : un minimum de 40 gigawatts (GW) installés d'ici à 2050, soit une cinquantaine de parcs marins. Fixé par le président de la République lors de son discours de Belfort en février 2022, cet objectif doit encore être précisé à l'issue de la concertation sur les façades maritimes et des travaux sur la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Mais plusieurs points se dessinent déjà : l'attribution d'un, voire de deux gigawatts par an à partir de 2025 pour atteindre une capacité mise en service de 18 GW dès 2035 et/ou le lancement d'appels d'offres mutualisés par macrozone.

Donner cette vision à long terme doit permettre à la filière d'engager les investissements nécessaires, estimés à plus de 100 milliards d'euros pour le développement et le raccordement des parcs, selon les calculs de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Dans le pacte d'engagement signé avec l'État en mars 2022, dans le cadre du comité stratégique de filière (CSF), la filière s'est engagée à mettre sur la table plus de 40 milliards d'euros au cours des quinze prochaines années.

Une planification à l'horizon 2050

Mais de nombreux défis restent à relever pour réussir cette accélération. En premier lieu, la réduction des délais. Aujourd'hui, il faut compter en moyenne neuf ans pour voir aboutir un projet éolien en mer. Le premier et seul parc mis en service, à Saint-Nazaire en 2022, a été attribué par appel d'offres en 2012. Plusieurs mesures de simplification ont pourtant été instaurées ces dernières années afin de réduire le temps lié aux procédures administratives : mise en place du dialogue concurrentiel, réduction des délais liés aux contentieux…

La loi relative à l'accélération des énergies renouvelables vise à réduire encore ces délais, pour parvenir à un maximum de sept ans. La loi a acté le principe d'une planification des zones maritimes prioritaires pour accélérer l'implantation d'éoliennes en mer et leur raccordement. Cette planification par façade maritime doit donner une vision à dix ans et à plus long terme (2050). La première cartographie sera publiée en 2024. Dans ce cadre, la concertation du public pourra être réalisée à l'échelle de la zone, avec une enquête publique unique et non plus parc par parc.

“ Il faut que les ambitions se traduisent par un développement de l'industrie française et européenne ” Aurélie Picart, CSF Nouveaux Systèmes énergétiques
En parallèle, les gestionnaires du réseau d'électricité devront encore plus anticiper les besoins de raccordement lors de la planification et hiérarchiser le traitement des demandes. Le ministre chargé de l'Énergie pourra par ailleurs demander à RTE d'engager par anticipation les études et travaux liés au raccordement des parcs en mer. Et aussi, le régime d'autorisations administratives est simplifié pour le raccordement des grands projets industriels nécessaires à la transition énergétique, lorsque ces projets concourent de manière significative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les raccordements de parcs en mer pourront également bénéficier de dérogations aux restrictions définies par la loi Littoral. Enfin, les projets renouvelables bénéficieront d'une présomption d'existence d'intérêt public majeur.

Vers une massification des appels d'offres

Pour aller encore plus vite, les pouvoirs publics envisagent le lancement d'appels d'offres massifiés. Ce que demande également la filière. « La procédure "parc par parc" implique des délais très étendus et la mobilisation de ressources conséquentes, tant pour l'administration que pour les porteurs de projets, pour des enjeux financiers qui restent limités, compte tenu de la taille des lots pouvant être attribués ailleurs en Europe, souligne la CRE, favorable à cette massification. À titre de comparaison, l'Allemagne a lancé un appel d'offres en février 2023 portant sur l'attribution de 7 GW répartis dans quatre zones, tandis que la dernière attribution de baux éoliens en Angleterre et au pays de Galles (« Leasing round 4 ») portait sur 8 GW. »

Pour l'instant, en France, les parcs attribués étaient d'une capacité de 500 MW, voire d'un gigawatt pour le plus récent (Centre-Manche 1). La CRE suggère donc de lancer un appel d'offres mutualisé multifaçade de 10 GW avant 2027. Multifaçade, pour favoriser la concurrence entre acteurs à l'échelle nationale plutôt qu'à l'échelle d'une façade, ce qui implique un fractionnement des zones en plusieurs lots, et donc des coûts et procédures supplémentaires.

Pour aller encore plus vite, la CRE appelle à modifier les procédures en les standardisant. Selon le gendarme de l'énergie, si le dialogue concurrentiel a permis d'apprendre en marchant, en élaborant le cahier des charges en concertation avec les acteurs, cette procédure prend du temps : présélection des candidats, dialogue concurrentiel, remise du cahier des charges, dépôt des offres, sélection du candidat… Pour le parc de Dunkerque, ce dialogue aura duré deux ans et demi. Les délais ont été bien moindres (autour de six mois) pour le parc Centre-Manche 1, car les discussions se sont basées sur le cahier des charges établi pour Dunkerque. D'où la proposition de la CRE : lancer les appels d'offres à partir d'un cahier des charges standardisé. « La standardisation est nécessaire pour donner de la visibilité aux acteurs de l'éolien en mer, opérer un passage à l'échelle des procédures et une accélération des attributions. (…) Il convient de noter qu'un cahier des charges standardisé n'est pas incompatible avec le maintien d'une certaine flexibilité (dispositions modulables selon le type de projet) » pour prendre en compte, par exemple, certaines contraintes locales ou la technologie (éolien posé ou flottant).

Une standardisation des parcs

La standardisation, le gestionnaire de réseau RTE plaide aussi en sa faveur, afin de faciliter et d'accélérer les raccordements. « Seize raccordements, pour 9,6 GW de projets, sont engagés aujourd'hui, souligne Régis Boigegrain, directeur exécutif interconnexions et réseau en mer de RTE. Avec l'ambition fixée pour 2050 et son objectif intermédiaire à 2035, il s'agit d'attribuer trois fois plus vite les neuf prochains gigawatts. » Et de les raccorder. Dans cette perspective, RTE se prépare à investir près de 8 milliards d'euros d'ici à 2035.

« Sur les réseaux, on n'est pas totalement sereins, admettait Emmanuelle Wargon, la présidente de la CRE, lors d'une audition devant les députés, en juillet. Il y a un énorme pic d'investissements à passer et un sujet de faisabilité opérationnelle : la capacité de s'approvisionner en postes sources, en câbles, les compétences internes et au sein des entreprises sous-traitantes… » Et de renchérir : « Les réseaux vont vite devenir le facteur bloquant de la transition écologique », alors qu'au-delà des raccordements de nouvelles installations renouvelables, ces raccordements font également face au défi du renouvellement de leurs infrastructures et du développement d'interconnexions.

Pour RTE, seule une stratégie de standardisation, de massification et de simplification permettra de relever ce défi. Favorable lui aussi à un appel d'offres global de 9 à 10 GW, il plaide également pour une instruction des autorisations de raccordement en amont de celles du parc et à une transition vers un modèle de maîtrise d'ouvrage publique de type néerlandais. Aux Pays-Bas, les décisions de raccordement et les autorisations sont prises dès la définition des zones de développement de parcs en mer. Le gestionnaire de réseau TenneT, responsable du développement du réseau en mer, peut ainsi anticiper les travaux et les mutualiser, via des plateformes standardisées de 700 MW ou de 2 GW. En France, jusque-là aucun parc n'a été attribué avec la même puissance installée, déplore RTE.

Autres enjeux à anticiper, prévient le gestionnaire : les tensions sur les ressources, alors que 74 GW de raccordements sont planifiés d'ici à 2035 en Europe et aux États-Unis. « Le marché est tendu. Le risque principal porte sur la ressource en ingénierie, certains composants (cuivre, isolant, composants électriques) et la logistique (bateaux…) », détaille Régis Boigegrain.

Anticiper les besoins

Les tensions sur les ressources se situent sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Si aujourd'hui, la plupart des parcs éoliens sont construits avec des turbines « made in Europe », la Chine commence à équiper certains projets européens. « Il existe déjà des goulots d'étranglement dans la chaîne d'approvisionnement éolienne européenne », prévient l'association WindEurope, qui appelle l'Europe à réagir vite pour ne pas perdre la course. Plus de 250 usines fabriquent aujourd'hui des éoliennes et leurs composants en Europe. Mais « l'industrie éolienne doit acheter des câbles électriques, des boîtes de vitesse et même des tours en acier à la Chine. Nous construisons quelques nouvelles usines, mais pas suffisamment pour l'expansion massive de l'énergie éolienne », souligne l'organisation. Par ailleurs, « les fabricants de fondations offshore et les navires d'installation sont complets depuis plusieurs années ». WindEurope plaide pour des investissements massifs dans les usines, les ports, les réseaux, les navires, les grues et les travailleurs qualifiés.

Les travaux menés en France dans le cadre du comité stratégique de filière (CSF) visent justement à mettre les acteurs français en ordre de marche. « La question de l'industrie pour l'éolien en mer est bien plus prégnante aujourd'hui qu'il y a cinq ans. L'éolien pourrait devenir la deuxième source de production d'électricité en Europe. Mais face au fort développement de l'industrie chinoise, il faut que les ambitions se traduisent par un développement de l'industrie française et européenne », souligne Aurélie Picart, déléguée générale du CSF Nouveaux Systèmes énergétiques.

Poser les bases d'une industrie locale

Si la France et l'Europe ont les atouts industriels pour répondre à cette accélération, les investissements sont freinés par un point majeur : un déséquilibre d'accès au marché entre l'Europe, les États-Unis et la Chine. L'adoption, par les États-Unis, de l'Inflation Reduction Act (IRA) en 2022, prévoyant 369 milliards de dollars de soutien en dix ans, fait redouter un véritable appel d'air pour les industries renouvelables. « L'UE a d'abord voulu faire de la transition énergétique une contrainte, en fixant des objectifs nationaux, etc. L'IRA a été un électrochoc : les États-Unis mettaient un cadre pour faciliter l'entrepreneuriat et l'industrie. On a senti que la transition énergétique pouvait nous échapper. La question à se poser est : dans quelle mesure on souhaite que ce soit produit en Europe ? » analyse Aurélie Picart. En réaction, la Commission européenne a lancé le Green Deal, les IPCEI (sur les batteries, l'hydrogène…), le Net-Zero Industry Act, ou encore le Critical Raw Material Act. La France complète avec sa loi pour une industrie verte, qui vise notamment à faciliter et accélérer l'implantation de gigafactories.Les travaux menés à l'échelle française et européenne visent en particulier à identifier les maillons faibles de la chaîne de valeur : métaux, composants électroniques… « Même la vis est importante ! souligne la représentante du CSF. Il n'est pas trop tard pour réagir. La Chine a réussi à s'industrialiser en dix, quinze ans. Il faut mobiliser toute la chaîne scientifique, technologique et technique sur le sujet. »

Anticiper les besoins humains

Les compétences humaines : voilà le dernier maillon à ne pas négliger. La filière vise 20 000 emplois directs et indirects d'ici à 2035. « Il faudra des techniciens, des soudeurs, des mécaniciens, des chefs de projet spécialisés dans les projets complexes… Les compétences recherchées sont dans l'électronique, la maintenance… », liste Aurélie Picart. Le CSF a été chargé par l'État de travailler à la mise en place d'un label et d'une plateforme pour les formations aux métiers de la transition énergétique, du bac pro au niveau ingénieur. « L'enjeu est de travailler à l'attractivité de ces métiers, de les rendre plus clairs et plus visibles qu'ils ne le sont aujourd'hui. »

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