L'étude paraît à quelques jours de la présentation par la Commission européenne d'une communication sur un passage éventuel de l'objectif européen de réduction d'émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20 à 30% d'ici 2020 par rapport à 1990, ainsi que d'une étude d'impact du durcissement des règles du marché européen du carbone (ETS, ou Emissions trading scheme). La délocalisation des productions, donc des émissions, dans des pays non soumis à une contrainte sur le CO2 est un dossier politiquement sensible. Il a considérablement compliqué l'adoption du paquet énergie-climat européen en décembre 2008. En France, le chef de l'Etat a en partie renvoyé aux calendes grecques la taxe carbone en raison de ce risque.
Peur attisée ou risque avéré ?
Dès 2013, tous les industriels européens soumis à l'ETS (plus de 11.000 sites sont concernés) devront acheter aux enchères leurs quotas de CO2, délivrés jusqu'ici gratuitement dans leur immense majorité. Tous, sauf ceux inclus dans la fameuse liste des secteurs soumis à risque de fuite de carbone. Au final, 77% des émissions de l'industrie manufacturière - la moitié des émissions soumises à l'ETS* - échapperont aux quotas payants en 2013… Les quotas de CO2 devront n'être achetés intégralement par ces secteurs qu'en 2027. Et de nombreuses études ont mis en avant les abus liés à l'allocation gratuite de quotas : profits ''tombés du ciel'', prix du carbone faussé…
L'étude de Climat Strategies estime que seuls les secteurs de l'acier, l'aluminium, de quelques productions chimiques dites de base, de la raffinerie et de la papeterie sont réellement menacés par l'achat de leurs quotas de CO2. Mais l'allocation gratuite n'est pas la solution et d'autres options, tel qu'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, sont plus appropriées pour ces 13 secteurs. ''Il faut avoir une approche au cas par cas'' plutôt que transsectorielle, a expliqué l'eurodéputé Verts Yannick Jadot.
Des industriels aussi intensifs en lobbying qu'en émissions
Autre critique : les 3 critères - définis dans la directive ETS - ayant permis de définir la liste des 164 secteurs sont plus politiques qu'économiques : coût d'achat des quotas de CO2 supérieur à 5% de la valeur ajoutée du secteur et intensité commerciale du secteur supérieure à 10% ; coût du CO2 supérieur à 30% de la valeur ajoutée du secteur ; intensité commerciale du secteur supérieure à 30%. ''Si le premier critère, à l'origine le seul proposé par la Commission, est cohérent avec l'analyse économique, les deux autres, ajoutés par le Conseil, sont issus du lobbying des industries intensives en gaz à effet de serre'', confirme Philippe Quirion, chercheur au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired).
Les industries exposées aux fuites de carbone ''font en plus l'objet d'une procédure de benchmarking'', a rappelé Susanne Droege, de l'institut Climate Strategies. La quantité de quotas gratuits qui leur seront alloués sera fonction des émissions des 10% des entreprises les moins émettrices d'un secteur. Or, la définition de ce décile le plus performant fait déjà l'objet d'intenses tractations et d'une quête de failles juridiques afin de grappiller quelques quotas supplémentaires.
Si l'étude présentée jeudi 20 mai a le mérite d'apporter de l'eau au moulin climatique européen, ses conclusions ont peu de chances de trouver un écho positif, les Verts européens étant bel et bien isolés sur ce sujet. En novembre dernier, les eurodéputés de la commission parlementaire Environnement validaient la liste des 164 secteurs et sous-secteurs industriels proposée par la Commission, sans rien y trouver à redire.
*L'autre moitié des GES soumis à quotas sont émis par l'industrie énergétique. Celle-ci devra acheter ses quotas intégralement dès 2013. Non délocalisable, elle n'est pas exposée aux fuites de carbone.