Les activités humaines émettent des gaz à effet de serre, réchauffant le climat planétaire et accélérant la fonte des glaces. Ce phénomène réduit l'habitat de certaines espèces, comme l'ours polaire (Ursus maritimus), dont la survie s'amenuise par conséquent. Ce schéma, en théorie, n'a rien d'inédit. Mais comment pourrait-il se traduire, en pratique, avec des chiffres à l'appui ? Dans une étude publiée dans Science, le 31 août, deux chercheurs américains, la climatologue Cecilia Bitz et le zoologue Steven Amstrup, également membre de l'ONG Polar Bears International, sont parvenus à formuler mathématiquement l'influence des émissions sur le risque de mortalité de ces animaux. Autrement dit, il est désormais possible de calculer la dangerosité potentielle pour un ours polaire d'un seul projet fossile supplémentaire.
Les deux scientifiques se sont appuyés sur de précédentes études estimant l'impact de la fonte de la banquise de l'Arctique sur la survie de l'ours polaire. En étant forcé à rejoindre la terre ferme en l'absence de glace pendant des périodes de plus en plus longues, celui-ci est contraint de jeûner de plus en plus longtemps. Pour les femelles, cela se traduit par un risque grandissant d'être dans l'incapacité de nourrir suffisamment leur progéniture et donc d'augmenter la croissance démographique de l'espèce. Ainsi, entre 1979 et 2020, la durée moyenne d'un tel jeûne forcé est passée de douze à cent-trente-sept jours par an. Pour boucler la boucle, les chercheurs se sont alors intéressés à la quantité additionnelle de gaz à effet de serre émise dans cet intervalle. Résultat ? Un jour supplémentaire de famine équivaut à 14 gigatonnes d'équivalent dioxyde de carbone (GtCO2e) de plus émises dans l'atmosphère. En suivant ce calcul à l'échelle d'une population, l'émission de 24,1 GtCO2e conduirait ainsi à réduire de 2,7 % les chances de survie de jeunes ours polaires vivant dans la mer des Tchouktches, entre la pointe orientale de la Russie et l'Alberta.
Selon les chercheurs, cette relation chiffrée de cause à effet peut combler des flous juridiques en la matière. L'un d'entre eux, relevé en 2008 dans un mémo délivré par le ministère américain de l'Intérieur, a été responsable de la non-application des mesures de protection exigées pour l'ours polaire par la loi américaine de 1973 sur les espèces menacées. « Au-delà du seul cas de l'ours polaire, notre approche peut s'appliquer à une variété d'autres espèces et écosystèmes et doit donc être saisie par les pouvoirs publics des pays concernés pour mieux évaluer la dangerosité de projets fossiles sur la biodiversité », conclut le zoologue Steven Amstrup.