Mi-octobre, la Commission européenne a donné son feu vert au mécanisme de soutien public proposé par le Royaume-Uni pour engager le renouvellement de son parc nucléaire qui représente aujourd'hui environ 20% de sa production électrique. Alors que les lignes directrices adoptées en avril dernier limitent les aides financières aux énergies renouvelables, l'exécutif s'est basé sur la notion de "défaillance du marché" pour valider le projet de Londres.
Sans surprise, la décision a été saluée par l'industrie nucléaire qui voit s'ouvrir la perspective d'aides publiques en Europe pour la construction de nouvelles unités. Du côté des défenseurs des renouvelables, la crainte est de mise chez certains acteurs qui craignent d'être évincés au profit du nucléaire. En effet, la République tchèque, la Lituanie et la Pologne semblent s'intéresser au mécanisme de soutien qui vient d'être validé.
Le chancelier autrichien, Wermer Faymann, a estimé qu'il s'agissait d'"un précédent fâcheux [qui ouvre] ce type de subventions à l'énergie nucléaire", considérant que "des formes alternatives d'énergie méritent des subventions, pas l'énergie nucléaire".
L'opposition autrichienne porte autant sur les aspects environnementaux qu'économiques. Le nucléaire n'est pas une source d'énergie soutenable et est une technologie mature, estime l'Autriche.
Avec cette décision la Commission européenne estime que le projet britannique de subvention à la construction et l'exploitation des deux réacteurs EPR de 1.650 mégawatts (MW) qu'EDF Energy souhaite construire à Hinkley Point, est conforme aux règles de l'Union européenne (UE) en matière d'aides d'Etat. Les modalités de financement du projet "[assurent] la proportionnalité de l'aide accordée par rapport à l'objectif poursuivi, évitant ainsi toute distorsion indue de la concurrence sur le marché unique".
Une telle décision se justifie par "une défaillance réelle du marché". En clair, les intermédiaires financiers sont incapables de financer un projet de cette ampleur amortissable sur une si longue durée. En effet, les coûts de construction sont estimés à 24,5 milliards de livres, soit approximativement 31,2 milliards d'euros, financés par l'emprunt, pour 17 milliards de livres, soit quelque 21,6 milliards d'euros, et par le capital pour le solde. Quant à la durée de vie opérationnelle du projet, elle est de 60 ans, à partir d'une mise en service prévue pour 2023.
Concrètement, le Royaume-Uni prévoit deux types d'aides publiques. Le gouvernement prévoit d'instaurer un mécanisme de soutien des prix, le "contrat d'écart compensatoire" (contract for difference, en anglais), qui garantira des recettes stables à l'exploitant de la centrale nucléaire de Hinkley Point pour une période de 35 ans. Pour cela, EDF Energy bénéficiera d'un prix de vente de l'électricité produite par les deux réacteurs, appelé "prix d'exercice", indexé sur l'inflation et fixé à 92,50 livres (soit environ 117 euros) par mégawattheure, soit plus du double du prix actuel. Si le prix de marché est inférieur au prix fixé, EDF Energy percevra la différence. En cas inverse, l'entreprise versera la différence.
L'exploitant bénéficiera également d'une garantie de l'État couvrant l'ensemble de la dette qu'il lèvera sur les marchés financiers pour la construction de la centrale. Sur ce point, la Commission a relevé la prime de garantie payée par EDF Energy au Trésor public du Royaume-Uni, de sorte à réduire d'environ 1 milliard de livres (1,3 milliard d'euros environ) l'avantage accordé.
Enfin, le dispositif a été modifié par l'exécutif européen afin que les gains générés par le projet soient mieux partagés avec les consommateurs britanniques. Dès que les bénéfices globaux d'EDF Energy, mesurés par le rendement sur fonds propres, dépasseront le niveau estimé à la date de la décision, l'éventuel gain sera partagé avec les consommateurs via, notamment, une baisse du prix d'exercice. Ce mécanisme s'étend sur 60 ans. De même, si la construction devait être plus rapide et moins onéreuse que prévu, le bénéfice induit serait partagé avec les consommateurs.
Quelle place pour les subventions publiques à l'énergie ?
Evidemment, la validation de ces aides publiques par la Commission ravit les défenseurs du nucléaire. "Chaque pays choisit son mix énergétique, c'est un choix politique que fait le Royaume-Uni, comme les 14 Etats membres qui recourent déjà au nucléaire", rappelle Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française de l'énergie nucléaire (Sfen), qui considère que le nucléaire n'est pas l'unique solution pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), mais une partie.
Quant à l'aide financière publique apportée au projet, les pro-nucléaires renvoient la critique aux pro-renouvelables et aux producteurs d'énergies conventionnelles : "Pourquoi les énergies fossiles et renouvelables seraient subventionnées et pas le nucléaire ?", interroge la déléguée générale de la Sfen. Un argument que réfute Dörte Fouquet, directrice de la Fédération européenne des énergies renouvelables (Eref), qui estime que le mécanisme anglais bénéficie à une technique censée être mature, contrairement aux aides octroyées aux renouvelables. De plus, l'aide envisagée porte sur 35 et 60 ans, alors que les tarifs d'achat dont bénéficient les renouvelables sont limités à 20 ans. Cette aide atteindra plus de 350 euros par MWh en 2058, à l'échéance du mécanisme de garantie du prix, alors que les aides aux renouvelables ne cessent de baisser.
Enfin, demander l'octroi d'aides publiques à l'ensemble des énergies n'est pas une bonne solution, estime l'Eref. En effet, la fédération plaide pour une baisse progressive des mécanismes de soutien à mesure que les énergies renouvelables deviennent compétitives face aux énergies conventionnelles. Or, "après 60 ans d'existence et de soutiens publics plus ou moins officiels, le nucléaire n'est toujours pas parvenu à devenir rentable", déplore Dörte Fouquet.
Nucléaire et renouvelables s'opposent-ils ?
Par ailleurs, les défenseurs du nucléaire avancent un argument spécifique au Royaume-Uni : son aspect insulaire. Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent assurer l'approvisionnement énergétique sans compter sur le reste de l'Europe. Pour cela, ils entendent passer d'un mix énergétique basé sur le nucléaire, le charbon et le gaz à un mix s'appuyant sur le nucléaire, l'éolien et le gaz. Dans ce contexte, "le prix de l'électricité devrait sensiblement progresser et le prix d'exercice fixé à 92,50 livres n'est pas excessif, il reflète plutôt le prix du futur mix électrique", explique Valérie Faudon, ajoutant que "dans ce contexte particulier, le nucléaire est, selon le département de l'énergie et du climat britannique, l'énergie bas carbone la plus compétitive".
Cet argument est qualifié d'"ahurissant" par Dörte Fouquet qui explique que, selon le gouvernement anglais, le Royaume-Uni pourrait rencontrer des problèmes d'approvisionnement dès 2018, soit 10 ans avant l'entrée en service des deux réacteurs d'Hinkley Point. Quant à l'insularité, elle est relative en ce qui concerne l'approvisionnement énergétique. La capacité d'échange entre la France et le Royaume-Uni est actuellement de 2.000 MW et elle devrait être augmentée de 1.000 MW à l'horizon 2016. Par ailleurs, compte tenu de la production gazière en Mer du Nord, des gazoducs sont disponibles et permettent d'importer du gaz.
Finalement, cette décision pénalisera-t-elle les renouvelables ? "Pas du tout, cela n'a aucun sens d'opposer le nucléaire aux renouvelables", répond Valérie Faudon, estimant qu'il y a de la place pour tout le monde. Elle rappelle qu'en Europe, le charbon compte pour 27% de la production électrique, le gaz pour 17% et le pétrole pour 2%. Mais, là encore, certains pro-renouvelables doutent. "En Finlande le lancement de la construction de l'EPR d'Olkiluoto a pris les énergies renouvelables en otage", estime Dörte Fouquet, expliquant que le développement des renouvelables a été mis en veilleuse compte tenu de l'anticipation d'un afflux d'électrons avec la mise en service du réacteur nucléaire. Aujourd'hui, l'EPR ne fonctionne toujours pas, son prix s'est envolé et la situation est bloquée pour les renouvelables, faute de cadre règlementaire adapté, déplore la directrice de l'Eref. Ce phénomène est en marche au Royaume-Uni, estime-t-elle, évoquant les craintes de l'Irlande de voir abandonné un projet d'interconnexion électrique avec la Grande-Bretagne et certains projets de parcs éoliens offshore.