C'est pourquoi, face à une pénurie de spécialistes, le projet Vigie-nature a été mis en place par le Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN) pour développer de nouveaux indicateurs en s'appuyant sur des naturalistes érudits mais aussi sur d'autres réseaux mobilisables comme le grand public. Ce projet de science participative fait appel à des « observateurs » amateurs qui souhaitent s'impliquer à leur échelle dans la préservation de la biodiversité.
La grande diversité et les exigences écologiques variées des papillons ou lépidoptères leur confèrent un rôle d'indicateurs de la qualité des milieux naturels, et donc de la santé des écosystèmes. Les papillons rassemblent environ 160.000 espèces sur les 1.450.000 connues à la surface de la Terre. Ils représentent donc à eux seuls plus de 10 % des espèces répertoriées, battus en cela uniquement par les coléoptères (25 %). En France, on recense 257 espèces de papillons de jour ou rhopalocères et 4.860 de papillons de nuit ou hétérocères. Mais à l'instar des autres espèces, les papillons sont concernés par l'érosion de la biodiversité. Les papillons des prairies ont ainsi régressé de 50 % en 15 ans. Si les oiseaux, batraciens et chauves-souris constituent les principaux prédateurs naturels du papillon, l'Homme à travers ses activités à également un impact sur les populations. L'utilisation d'insecticides, la raréfaction des habitats naturels, la standardisation des pratiques agricoles, l'éclairage électrique et le réchauffement climatique sont les principaux facteurs de la régression des papillons. À l'heure actuelle, 26 espèces de papillons sont protégées par la loi depuis le 22 juillet 1993.
C'est dans ce cadre que le MNHN avait inauguré le 21 mars 2006 son Observatoire des Papillons des Jardins (OPJ) en partenariat avec l'association Noé Conservation, la Fondation Nicolas Hulot et avec le soutien de la Fondation d'entreprise Veolia Environnement, de la Fondation Ensemble et de l'entreprise Gamm vert. L'objectif : rassembler puis analyser les observations collectées dans les jardins par les observateurs participants*.
Le premier bilan de cet observatoire vient d'être rendu public, symboliquement le jour du printemps. Environ 15.000 personnes se sont inscrites sur le site Internet de l'OPJ** et 5.000 à 6.000 d'entre eux participent régulièrement à l'observation. De ce fait environs 4.000 jardins sont suivis régulièrement (57 % situés à la campagne, 29 % en zone péri-urbaine et 14 % en zone urbaine).
L'observatoire s'est concentré sur les 28 espèces les plus communes de papillons de jour afin que tout le monde puisse s'associer. Les premiers résultats de l'OPJ, qui serviront de référence pour évaluer les tendances d'expansion ou de régression des espèces dans les années à venir, montrent que la richesse moyenne en espèces observées dans les jardins varie selon les régions. Ils indiquent que le nord du Bassin parisien (Picardie) compte en moyenne 10 espèces recensées par commune, contre 19 pour le sud-ouest du Bassin parisien (Beauce). La côte du Languedoc présente quant à elle une richesse inférieure à celle de la Côte d'Azur. Dans certaines régions, comme le bassin du Creuzot et l'ouest de la Moselle, les bassins miniers sont incriminés pour justifier le faible nombre de papillons. Dans la région parisienne ou la métropole lilloise, c'est le tissu urbain. Pour d'autres zones, l'explication est moins immédiate et nécessitera des analyses supplémentaires, indique le MNHN qui est chargé de traiter les informations transmises par les observateurs. En effet, le nord de la Drôme, les Hautes-Pyrénées, le sud de l'Alsace et le Nord de la Franche-Comté apparaissent comme des zones peu riches alors que le nombre d'observations a été satisfaisant et que l'environnement semble favorable, précise le muséum.
Il a également été observé par exemple que le Paon du jour, normalement connu des milieux ouverts et dont les chenilles vivent sur les orties, est moins abondant dans la région méditerranéenne. Les données ont permis aussi d'observer la phénologie des espèces, c'est-à-dire leur cycle de vie. L'Aurore a des périodes de vol (stade adulte) très limitées dans l'année, entre avril et juin tandis que d'autres ont des périodes plus étalées comme la Belle-dame visible d'avril à octobre. Cette donnée permettra d'observer d'éventuels décalages des périodes de vol, décalages qui pourront être mis éventuellement en relation avec des phénomènes météorologiques (sécheresse…) ou avec le réchauffement climatique, souligne le MNHN.
Par ailleurs, les données montrent que certains papillons comme le brun du pélargonium, une espèce invasive originaire d'Afrique du Sud, arrivée il y a une dizaine d'années en France et dont les chenilles se nourrissent de géraniums et de pélargoniums, est pour la première fois recensée dans toute la France en été, alors que dès septembre, elle est observée uniquement dans le sud du pays. Les initiateurs du projet manque encore de recul pour expliquer ce phénomène, mais selon eux, il est probablement lié au fait que cette espèce ne supporte pas les températures trop basses et ne survit donc pas dans le nord de la France après l'été. Les invasions biologiques constituent une des grandes problématiques de la biologie de la conservation, mais sont rarement suivies en temps réel. Avec l'OPJ, les scientifiques du MNHN espèrent suivre ce phénomène à l'échelle d'un pays et essayer d'en comprendre les mécanismes.
Ces renseignements seront complétés dans les années à venir. Objectif pour 2007 : étoffer la couverture géographique, améliorer la connaissance des jardins suivis et ajouter 18 espèces de papillons à observer. À terme, c'est un véritable réseau de surveillance des espèces communes de papillons de jour qui sera mis en place, permettant de suivre l'évolution des populations et de mieux comprendre les dynamiques écologiques, en lien avec les changements climatiques par exemple.
*Pour devenir observateur : À partir du 21 mars 2007, rendez-vous sur www.noeconservation.org pour participer à la deuxième année de collecte de données pour l'Observatoire des Papillons des Jardins !
**Site Web : http://www.noeconservation.org