Les nanotechnologies intègrent déjà un grand nombre de produits et de secteurs. Des applications médicales à l'industrie alimentaire, en passant bien sûr par l'environnement, les nanomatériaux se sont rapidement imposés, avec comme objectif premier de développer l'innovation. L'utilisation de plus en plus importante de nanomatériaux suscite néanmoins des préoccupations et inquiétudes quant aux effets potentiels de cette technologie sur la santé humaine. Malgré quelques études portant sur ce sujet, aucun paradigme général n'est réellement ressorti. En effet, le manque de matériels et de méthodes de mesure standardisées rendent difficiles la comparaison des résultats. Afin de mieux définir les axes de recherche et évaluer la pertinence de ces travaux, le Centre commun de recherche (JRC) et l'European academies science advisory council (Easac) ont rendu public un rapport dans lequel ils listent quelques recommandations.
Une définition purement physique
L'absence de définition des nanomatériaux représentait un vrai handicap pour la gestion des risques, en retardant la mise en place d'un cadre juridique des nanoparticules ainsi que le développement de méthodes de mesure et de tests sur la toxicité des nanomatériaux. Après avoir reçu plus de 200 réponses à la consultation publique organisée fin 2010, la Commission européenne a enfin établi une définition précise des nanomatériaux. Cette dernière, adoptée le 18 octobre, se fonde sur une démarche prenant en compte les dimensions des particules constitutives des matériaux, plutôt que des considérations de risque ou de danger. Elle décrit le nanomatériau comme "un matériau naturel, formé accidentellement ou manufacturé contenant des particules libres, sous forme d'agrégat ou sous forme d'agglomérat, dont au moins 50 % des particules, dans la répartition numérique par taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm".
Actuellement, les recherches se focalisent essentiellement sur les interactions des nanoparticules avec les organes pulmonaires dans le but de préciser les processus biologiques qui pourraient être à l'origine de certaines maladies. "En dehors des processus d'inhalation, il existe de nombreuses lacunes dans les connaissances des impacts de santé, notamment par rapport à l'assimilation, la distribution, l'accumulation et les effets biologiques dans des organes secondaires. De plus, certaines voies d'entrée des nanomatériaux comme l'ingestion orale, l'administration intraveineuse ou l'exposition directe à la peau, sont bien moins caractérisées", appuie le rapport.
Afin de compléter ces données, les chercheurs à l'origine de cette étude ont identifié quelques points clés à approfondir. Le premier porte sur la caractérisation de la relation dose-réponse sur une longue période. Quelques études ont déjà été menées sur le sujet, mais elles portaient exclusivement sur du court terme en utilisant uniquement des doses très élevées ce qui soulève la question de la pertinence des résultats. La découverte de facteurs influençant la réponse de certains individus comme l'âge, les prédispositions génétiques et épigénétiques, est également un sujet qui mérite d'être davantage développé.
A l'échelle cellulaire, un effort de recherche doit être entrepris pour comprendre l'interaction des nanomatériaux avec la membrane des cellules ainsi que le transport de ces particules à travers les lysosomes, les mitochondries et le noyau. Au niveau des organes, le rapport du JRC et de l'Easac précise le besoin de travailler sur la toxicocinétique qui correspond à l'étude descriptive et quantitative du devenir des toxiques dans l'organisme, notamment pour caractériser d'éventuels effets sur le développement fœtal et sur les différents systèmes du corps humain (cardiovasculaire, nerveux, hépatique, immunitaire, endocrine…).
Accélérer la prise en compte des risques
Dans son rapport, le JRC et l'Easac liste également quelques recommandations à la Commission européenne afin qu'elle coordonne au mieux les efforts de recherche de ses Etats membres. "Pour bien évaluer le ratio bénéfices/risques des nanomatériaux utilisés, l'Union européenne a besoin d'une stratégie cohérente qui possède une certaine flexibilité pour répondre aux développements futurs. Cette stratégie doit être pluridisciplinaire et multi-sectorielle, ce qui requiert de nouveaux efforts dans la collecte de données, de nouvelles infrastructures ainsi que des nouvelles initiatives de formation impliquant les universitaires, l'industrie et les politiques", précise le rapport.
Le JRC évoque donc la nécessité d'intégrer précocement l'évaluation des risques pour la santé dans les projets liés au développement des nouveaux matériaux comme le fait actuellement le secteur pharmaceutique. Par ailleurs, cette évaluation ne peut être confinée à des études sur du court terme, mais doit aussi examiner le potentiel d'effets chroniques résultant de l'exposition cumulative aux nanomatériaux. Une des recommandations porte également sur la nécessité de partage des différentes communautés scientifiques. "La Commission européenne et les diverses communautés scientifiques européennes doivent renforcer leurs efforts afin (…) d'identifier les besoins communs dans la collecte de données pour les critères de sécurité, ce qui rendrait possible la comparaison de résultats de nanomatériaux disparates", détaille le texte.
Outre le besoin de former davantage les scientifiques et les ingénieurs à la question de l'évaluation des risques, le rapport met en avant l'obligation de faire participer le grand public sur le sujet des nanomatériaux. Pour les auteurs de cette enquête, seule une campagne d'informations complète et précise sur les bénéfices et les risques de cette nouvelle technologie aidera la science à réellement avancer.