L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) demande à EDF de « formaliser » au plus vite sa stratégie concernant les fraudes. Cette demande porte sur deux sujets : la stratégie d'EDF pour « traiter les cas déjà détectés » et le plan d'action que l'entreprise compte appliquer « pour traiter les causes profondes pouvant mener un intervenant ou une organisation à frauder ». L'ASN a formulé ces demandes, le 26 février, à l'occasion d'une audition de Luc Rémont, le président-directeur général (P-DG) d'EDF, au sujet des contrefaçons, falsifications et suspicions de fraude dans le domaine nucléaire.
Premières irrégularités détectées en 2016
En 2015, la question du respect des prescriptions techniques applicables aux équipements nucléaires fait irruption sur la scène publique. Cette année-là, Areva signale à l'ASN avoir découvert une anomalie dans la composition de l'acier de certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l'EPR de Flamanville (Manche). En cause ? Le fabricant a validé ces pièces sans effectuer l'intégralité des tests imposés par la réglementation relative aux équipements sous pression nucléaires (ESPN).
L'année suivante, une revue approfondie de la qualité de la fabrication à l'usine de Creusot Forge (Saône-et-Loire) mettait en évidence « des irrégularités dans le contrôle de fabrication d'environ 400 pièces produites depuis 1965, dont une cinquantaine seraient en service sur le parc électronucléaire français », selon l'ASN. Il s'agissait d'incohérences, de modifications ou d'omissions portant sur des résultats d'essais ou des paramètres de fabrication. Bien sûr, dans la foulée, l'ASN renforcait ses contrôles avec un dispositif d'inspection explicitement axé sur la détection de ces fraudes (en 2023, 53 de ces contrôles ont été menés).
De multiples signalements chaque année
En mai 2018, l'ASN rappelait à l'ordre les exploitants nucléaires et leur demandait de signaler toutes les fraudes détectées. Six mois plus tard, l'Autorité lançait un portail pour recueillir les signalements des lanceurs d'alerte. En mai 2019, elle rapportait avoir reçu 22 signalements, dont certains relevaient de fraude potentielle. Depuis, l'activité du portail perdure, avec 33 signalements reçus en 2023.
En janvier dernier, le sujet est revenu sur le devant de la scène à l'occasion des vœux du président de l'Autorité, Bernard Doroszczuk. Placés sous le signe de la nécessaire rigueur industrielle, ils ont été l'occasion de pointer les risques de falsification et de contrefaçon qui existent dans la maîtrise des procédés spécifiques au nucléaire. Et de préciser, sans donner plus de détails, qu'en 2023, 43 cas de fraudes avérées ont été constatés, dont trois ont fait l'objet d'un signalement au procureur de la République. Ces fraudes s'ajoutent à sept autres signalées précédemment.
L'EPR concerné
Dans la foulée, le média Reporterre (1) enquêtait et révélait qu'au moins un des trois cas de falsification signalés à la justice concerne un fournisseur du chantier de l'EPR de Flamanville. Reporterre précise qu'il s'agit d'équipements dit « sous pression », c'est-à-dire particulièrement sensibles, susceptibles de contenir un fluide radioactif et soumis à des pressions pouvant atteindre 155 bars et des températures d'environ 300 °C.
C'est dans ce contexte que la convocation de Luc Rémont prend tout son sens. L'ASN insiste sur le fait que les exploitants sont les premiers responsables de la sûreté des installations et qu'il leur « appartient (…) de prévenir les fraudes, de les détecter et de prendre les mesures nécessaires au traitement des cas avérés ». L'Autorité a donc demandé au patron d'EDF quelles actions compte mettre en œuvre l'entreprise « pour renforcer la lutte contre la fraude dans la chaîne de sous-traitance et d'approvisionnement, pour ses réacteurs en exploitation et ceux en construction ou en projet ».
Et, visiblement, la réponse apportée par le P-DG d'EDF n'est pas satisfaisante. L'Autorité lui demande donc de formaliser « dans les meilleurs délais » un plan d'action qui traite du problème à la racine. L'ASN veut qu'EDF « traite les causes profondes pouvant mener un intervenant ou une organisation à frauder ». Surtout, il semble que le traitement des fraudes identifiées ne fasse pas l'objet d'une procédure claire. L'ASN demande donc à EDF d'élaborer sa stratégie pour traiter les cas déjà détectés.