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PFAS : du risque environnemental au risque juridique

L'omniprésence des PFAS constitue un risque écologique et sanitaire majeur. Or, face aux carences des acteurs industriels et politiques, on assiste à l'émergence d'un contentieux de réparation et de prévention des atteintes.

DROIT  |  Étude  |  Risques  |  
Droit de l'Environnement N°329
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°329
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PFAS : du risque environnemental au risque juridique
Antoine Clerc
Avocat au Barreau de Lyon, Hélios Avocats
   

Parmi les neuf limites planétaires conditionnant l'habitabilité de la planète, l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère est déjà considérée comme dépassée. La prise de conscience du rejet massif dans l'environnement de substance per- et polyfluoroalkylées (PFAS) depuis les années 1950 aggrave ce constat.

Ces substances sont largement utilisées depuis l'après-guerre pour leurs propriétés chimiques et leurs multiples applications industrielles. La stabilité de la liaison carbone-fluor qui explique leur résistance a pour corollaire une forte persistance dans l'environnement, puisque ces molécules sont peu biodégradables. Elles sont en outre mobiles et bioaccumulables, si bien qu'elles sont aujourd'hui présentes partout sur Terre.

Leur nombre exact n'est pas précisément connu : alors qu'il est régulièrement quantifié en milliers, des travaux récents estiment que cette catégorie engloberait plusieurs millions de molécules (1) . Or, ces molécules font l'objet d'un consensus scientifique croissant quant à leur toxicité. Leurs métabolites, qui n'ont pas commencé à être étudiées, pourraient présenter une toxicologie encore plus nocive que les molécules ">mères (2) .

Ce danger était connu des industriels depuis les années 1970, qui ont mis en œuvre des stratégies d'influence pour retarder la régulation des PFAS (3) . Ces stratégies ont manifestement payé, puisque le cadre juridique des PFAS demeure à ce jour encore fragmentaire et insuffisant (4) .

À l'échelon international, certaines molécules sont couvertes en tant que polluants organiques persistants (POP) par les conventions d'Aarhus et de Stockholm relatives à ces substances. À l'échelon de l'Union européenne et, par extension, en France, les PFAS sont partiellement régulés par les règlements dits POP (transposant les conventions précitées) et Reach. Certains font également l'objet de normes au titre de réglementations sectorielles visant la protection de certains milieux (eau, sols, …) et du consommateur (eau et aliments), ou encadrant les activités industrielles.

L'insuffisance de ce cadre juridique s'explique également par le fait que le sujet des PFAS a longtemps représenté un angle mort dans le débat public. De fait, la prise de conscience de la gravité de cette pollution par l'opinion publique est tardive. Alors que ce scandale a éclaté aux États-Unis depuis le début des année 2000, la France ne s'y intéresse que depuis les révélations sur la pollution dans la Vallée de la chimie lyonnaise en 2022. Le premier rapport public sur la question rédigé sous l'égide de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) date de 2023 (5) .

Nous faisons donc face à cette crise avec beaucoup de retard : retard de la science et de la technique, puisque la connaissance, la mesure et l'élimination des PFAS sont encore imparfaites ; retard du droit, puisque les normes existantes n'ont pas suffi à prévenir la situation actuelle.

À cet égard, cette situation n'est pas sans rappeler les scandales relatifs aux PCB, au Bisphénol A ou encore à l'amiante. À l'exception relative de ce dernier, ces scandales éco-sanitaires n'ont donné lieu qu'à peu de contentieux. Toutefois, la crise des PFAS intervient après des années de montée en puissance des associations de protection de l'environnement par l'utilisation du contentieux stratégique.

Face à l'impunité des industries à l'origine de la pollution et aux carences des autorités dans la gestion de la crise, une multiplication des actions juridiques est à anticiper. À la lumière de cette tendance émergente en France et déjà engagée à l'étranger, la crise des PFAS permettra incidemment de mesurer la capacité du droit et du juge à appréhender une pollution diffuse et systémique.

Cette capacité est déjà mise à l'épreuve par les actions engagées en France (I), qui préfigurent un risque juridique croissant pour les pollueurs comme pour les autorités publiques (II).

 

I. L'émergence d'un contentieux PFAS en France

Un risque contentieux désormais avéré pèse sur les entreprises rejetant des PFAS dans l'environnement. Parmi les actions engagées, certaines s'inscrivent dans une démarche préventive d'évaluation de la pollution (1), les autres dans une logique répressive (2).

1. Les actions préventives : mesurer l'ampleur de la pollution

Les PFAS représentent encore un angle mort en termes de données disponibles. Obtenir du juge des mesures d'analyse aux frais du pollueur identifié est donc un préalable nécessaire à l'engagement de sa responsabilité et à l'évaluation des préjudices à réparer. Le cas de la Vallée de la chimie offre deux illustrations de cette stratégie.

En premier lieu, un référé « mesure utile » (art. R. 532-1 du code de justice administrative) a été engagé par la commune d'Irigny, dont le territoire a été directement exposé à la pollution.

L'action visait la désignation d'un expert chargé de se prononcer sur les causes et les conséquences de la pollution des sols détectée dans un groupe scolaire de la commune. L'objectif, qui ressort de la décision rendue, était d'utiliser cette expertise dans un second temps pour engager la responsabilité des deux gestionnaires d'installations classées (ICPE) utilisatrices de PFAS de la zone (Arkema France et Dakin Chemical France) à raison des atteintes portées à un ouvrage public.

Ce référé a été rejeté sans examen de son bien-fondé, au motif que le juge administratif n'était pas compétent pour connaître de l'action en responsabilité envisagée (6) . Prenant acte de cette erreur, d'autres modes d'action similaires pourraient néanmoins être imaginés. La même voie de droit pourrait être mobilisée à l'encontre d'une collectivité afin d'étayer, au moyen de l'expertise, la caractérisation d'une carence fautive ou de sa gravité. Inversement, les mêmes industriels auraient pu être visés au titre d'un référé civil, notamment au titre de l'article 835 du code de procédure civile.

En second lieu, un référé pénal environnemental (art. L. 216-13 du code de l'environnement) a été initié à l'encontre d'Arkema France par l'association Notre affaire à tous et son antenne lyonnaise, rejointes par 56 requérants (8 associations, 1 syndicat et 47 riverains). L'intérêt stratégique de cette procédure est double.

D'une part, l'usage de ce référé ne nécessite pas de caractériser un trouble illicite (7) ou l'existence d'une faute pénale mais seulement le « non-respect » de prescriptions fixées au titre de certaines dispositions du code de l'environnement ou minier, notamment en matière d'ICPE.

Si en l'espèce les arrêtés régissant l'activité de l'ICPE d'Arkema France (soumise à autorisation et classée Seveso seuil haut) n'imposaient pas de normes spécifiques aux PFAS (8) , elles comprenaient néanmoins des obligations générales en matière de rejets nocifs, auxquelles les PFAS pouvaient être rattachés.

D'autre part, un large panel de « mesures utiles » peut être demandé dans une optique préventive. À titre d'illustration, une ordonnance rendue sur un cas de débordement de station d'épuration a prescrit, outre la mise en place d'une solution temporaire palliative de traitement des effluents, un redimensionnement de l'ouvrage et un traitement des eaux polluées (9) . L'office du juge peut donc excéder la prise de mesure transitoires et préventives au profit de mesures structurelles et réparatrices. En outre, pour garantir l'effectivité de ces dernières, des mesures de contrôle étaient également prévues (évaluation de l'efficacité des solutions, surveillance hebdomadaire de la qualité de l'eau et contrôles de l'Office français de la biodiversité (OFB)).

Dans l'affaire Arkema, en plus de la limitation des rejets de PFAS à 1kg par mois, les requérants demandaient un ensemble de mesures visant à déterminer l'ampleur de la pollution et de ses conséquences potentielles. Il s'agissait en particulier de mener une campagne de prélèvements (y compris de sang et de lait maternel), d'assurer un monitoring médical des riverains requérants et de réaliser une étude des risques sanitaires.

En transmettant, non sans résistance, la requête au juge des libertés et de la détention (JLD), le procureur avait reconnu le bien-fondé du recours tout en excluant les demandes précitées en matière sanitaire. Le JLD près le tribunal judiciaire de Lyon saisi du dossier a rejeté l'ensemble des demandes transmises. Il soutient notamment que la non-conformité conditionnant l'adoption de mesures utiles ne persistait pas au jour de la décision, la préfecture ayant notamment abrogé l'un des arrêtés violés par Arkema (10) . Le JLD a manifestement retenu une lecture restrictive du texte encadrant cette procédure et, plus encore, de son office. Les requérants ont interjeté appel, mais se sont vu déclarer irrecevables au motif discutable que les textes ne permettraient pas aux demandeurs de faire appel (11) . Un pourvoi en cassation est engagé.

2. Les actions répressives : identifier et sanctionner les pollueurs

Si la piste des actions préventives n'est pas encore épuisée, d'autres acteurs ont préféré engager directement une action pénale afin de faire identifier et sanctionner les industriels responsables de cette pollution historique.

À ce jour, on dénombre au moins six plaintes déposées pour des faits de pollutions aux PFAS. Une première plainte a été déposée par la commune de Pierre-Bénite et son maire en mai 2022, en suite de laquelle une instruction a été ouverte, sans que son périmètre soit clairement connu (12) . Un collectif de 34 communes du Sud de la métropole lyonnaise, 35 personnes physiques et 7 associations de pêcheurs ont déposé une seconde plainte pour les mêmes faits. Outre le cas de la Vallée de la chimie, l'association Générations futures a déposé trois plaintes dans trois autres zones particulièrement impactées (13) et l'antenne d'EELV Pays de Savoie a également annoncé avoir porté plainte pour la pollution de cours d'eau du secteur de Rumilly et d'Annecy.

Si la voie de l'action pénale classique n'est pas innovante en soi, deux choix stratégiques sont notables et révèlent une convergence de ces initiatives. Le choix de la cible, d'une part : l'ensemble des plaintes visant des personnes indéterminées (« plaintes contre X »). Elles laissent ainsi l'enquête pénale désigner les responsables, même lorsque ceux-ci sont – à divers degrés – préalablement identifiés (Arkema et Daikin à Lyon, Seb (ex- Tefal) à Rumilly, …).

Le choix des qualifications d'infractions, d'autre part : les plaintes étant pour partie fondées sur des qualifications similaires. S'agissant des risques sanitaires, la mise en danger de la vie d'autrui est invoquée. Elle nécessitera de caractériser une « obligation particulière de prudence ou de sécurité » légale ou réglementaire, existante ou ad hoc. Une transposition de la décision « Vinci »de la Cour de cassation relative à l'amiante pourrait, à cet égard, s'avérer opportune (14) . S'agissant des risques écologiques, plusieurs délits environnementaux sont mobilisés, parmi lesquels l'écocide et la mise en danger de l'environnement, qui pourraient mener à la réparation du préjudice écologique causé par la contamination aux PFAS.

Ces deux angles d'attaque trouvent des échos dans les contentieux étrangers : aux États-Unis, de nombreuses victimes ont été indemnisées de leur préjudice corporel par décision judiciaire ou transaction, tandis qu'en Italie, l'entreprise Solvay a été condamnée pour empoisonnement coupable mais involontaire de l'eau (15) . À noter que les précédents américains fournissent également des exemples d'actions menées non par des victimes mais par des administrations locales sollicitant le dédommagement des frais de surveillance et de dépollution engendrés par la pollution. Des actions similaires sont non seulement prévisibles en France, mais en outre souhaitables pour ne pas socialiser le coût d'externalités privées issu de la négligence d'industriels conscients du danger des PFAS.

Quel que soit le chef de condamnation retenu in fine, les demandes éventuelles de réparation par les parties civiles soulèveront des difficultés d'évaluation. En effet, s'agissant des dommages sanitaires comme écologiques, la quantification de ces atteintes et leur imputabilité à l'industriel sont susceptibles de poser des difficultés probatoires aux victimes et à leur avocat. D'où la nécessité, en amont ou en cours de procédure, de recourir à une expertise judiciaire ou à l'initiative des parties, pourvu qu'elle respecte des garanties d'indépendance et de compétence (16) .

Si le temps nécessaire à l'instruction et les difficultés juridiques évoquées peuvent diminuer la perception du risque juridique, d'autres voies contentieuses sont susceptibles d'accroitre les chances de sanction et ainsi de contribuer à l'émergence d'une jurisprudence sur les PFAS.

 

II. Les perspectives d'accroissement du risque contentieux

De nouvelles pistes stratégiques se dégagent pour engager la responsabilité des entreprises productrices ou utilisatrices de PFAS (1) voire celle des personnes publiques en charge de prévenir et gérer la pollution (2).

1. Faire appliquer le principe pollueur payeur

Plusieurs régimes spéciaux de responsabilité pourraient être mobilisés à l'encontre des entreprises rejetant des PFAS, à l'initiative de riverains victimes, d'associations de protection de l'environnement voire de collectivités touchées.

En premier lieu,la responsabilité de l'exploitant d'une ICPEpourrait être mobilisée si le rejet de PFAS est imputable à une telle installation, comme dans le cas d'Arkema. Sous réserve de pouvoir caractériser une contrariété aux prescriptions administratives applicables à l'activité du fait de ces rejets, l'exploitant peut s'exposer à une sanction pénale pour exploitation irrégulière au titre des articles L. 173-1 et suivants du code de l'environnement. Outre le volet répressif de cette action, elle pourrait présenter un intérêt en termes de dépollution, à condition qu'une personne habilitée demande réparation du préjudice écologique causé (17) . En tout état de cause, la responsabilité de l'exploitant pourra être recherchée à la cessation de l'activité pour prendre en charge ladépollution du site. Néanmoins, le périmètre de cette dépollution sera nécessairement restrictif par rapport à la portée réelle de la contamination par des polluants aussi mobiles que les PFAS.

En deuxième lieu, la responsabilité de l'entreprise en tant que productrice de déchets pourra être recherchée si les rejets de PFAS peuvent être qualifiés comme tel. Or, rien ne semble s'y opposer : ni la définition de déchet (18) , ni les exclusions de son champ expressément prévues (19) , ni la qualification de sous-produit. Au contraire, à l'image des PCB, les PFAS pourraient même être qualifiés de « déchets dangereux » au vu des caractéristiques listées par l'article R. 541-8 du code de l'environnement. Dès lors, l'entreprise productrice ou détentrice de ces déchets pourrait être condamnée pour abandon de déchets au titre de l'article L. 231-2 du code de l'environnement, à condition de prouver que les PFAS entraînent « une dégradation substantielle » de l'environnement. L'avantage stratégique de ce régime est sa portée, dès lors qu'il permet de remonter toute la chaîne du déchet, du détenteur jusqu'au producteur originel.

En troisième lieu,la responsabilité du fait d'un produit défectueux pourrait être invoquée. Cette piste, déjà explorée aux États-Unis (20) , est corroborée par le champ d'application large du régime en droit français. En effet, tout bien meuble peut constituer un « produit », dont des substances chimiques ou pharmaceutiques. Le « producteur » responsable peut être le fabricant d'un produit fini contenant des PFAS ou l'industriel produisant ces derniers. Si l'application de ce régime se heurte en pratique à des obstacles récurrents (preuve, prescription, …), deux actualités semblent favorables au développement d'un contentieux PFAS sur son fondement ou de façon connexe. D'une part, la proposition de la Commission européenne de révision de la directive sur les produits défectueux allongerait le délai de prescription en cas de dommage lent à émerger et allègerait la charge de la preuve des victimes dans des cas complexes (21) . D'autre part, la Cour de cassation a récemment jugé que « la victime d'un dommage imputé à un produit défectueux peut agir en responsabilité contre le producteur sur le fondement [de l'article 1240 du code civil], si elle établit que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur, telle qu'un maintien en circulation du produit dont il connaît le défaut ou encore un manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le produit » (22) .

En quatrième lieu, la responsabilité attachée aux obligations de compliance dans le cadre du reporting extra-financier et, surtout, du devoir de vigilancedes entreprisespourrait fonder de futures actions. Une entreprise productrice ou utilisatrice de PFAS soumise à ces obligations mais qui ne prendrait pas en compte ces substances dans sa cartographie des risques et son plan d'action pourrait se le voir reprocher, à l'image des actions engagées sur le fondement du devoir de vigilance en matière de plastique (23) . Ces perspectives contentieuses sont renforcées par l'adoption et la transposition en cours des directives européennes en la matière. Outre l'accroissement des mécanismes de contrôle et de sanction en cas de non-conformité, l'adoption de normes de reporting précises devrait a minima faciliter l'élaboration d'action en responsabilité contre les entreprises concernées en les contraignant à publier des informations sur leur gestion des risques associés aux PFAS (24) .


Ces différentes pistes révèlent à la fois la plasticité du droit positif et ses limites face à une pollution dont la portée historique et géographique dépasse les cadres traditionnels d'analyse juridique. Ces limites font apparaître la nécessité politique d'organiser la sanction et la réparation des dommages par d'autres moyens que l'action contentieuse. En termes de sanction, les PFAS devraient intégrer l'agenda des autorités de régulation pour garantir la protection des consommateurs, à l'image des sanctions infligées par l'Autorité de la concurrence à des entreprises de l'agroalimentaire pour des pratiques relatives au bisphénol A (25) . En termes de réparation, l'Agence de protection de l'environnement américaine fournit un exemple intéressant en intégrant deux PFAS au dispositif du « Superfund » lui permettant de contraindre notamment les fabricants et fournisseurs à dépolluer ou, à défaut, de mettre en œuvre la dépollution aux frais de ces derniers (26) . Quant aux préjudices subis par les victimes, un dispositif analogue à un fonds d'indemnisation pourrait également être envisagé du seul fait de l'exposition à la pollution.

Les autorités publiques ont ainsi un rôle prégnant à jouer pour pallier les limites du contentieux, sans quoi elles s'exposent elles-mêmes au risque d'être mises en cause.

2. Dénoncer les carences des autorités publiques

Si l'attention de la société civile et des victimes potentielles se tourne en premier lieu vers les entreprises à l'origine de la pollution, les autorités publiques ne sont pas à l'abri d'actions contentieuses mettant en cause leur gestion de cette crise éco-sanitaire (27) . L'Administration est susceptible d'être visée à deux titres au moins.

D'une part, en sa qualité de gestionnaire d'un service public concerné par la contamination dès lors qu'il en est la source (gestion des déchets) ou qu'il est impacté par elle (assainissement, eau potable). En Suède, un gestionnaire municipal des eaux a ainsi été attaqué en justice par des habitants en raison de la contamination de l'eau potable aux PFAS (28) .

D'autre part, l'Administration peut être ciblée en tant que garante de la salubrité publique et de la protection de l'environnement, notamment au regard de ses pouvoirs de police. En ce sens, la ministre régionale de l'Environnement de la Wallonie est personnellement critiquée pour son inaction malgré une connaissance alléguée de la contamination de l'eau potable un an avant sa découverte officielle (29) .

Le risque encouru par l'Administration est multiple. Elle s'expose principalement à l'engagement de sa responsabilité administrative par la caractérisation d'une carence fautive au vu de ses pouvoirs et de sa connaissance du risque. Néanmoins, face à la difficulté potentielle d'en apporter la preuve, l'hypothèse d'une responsabilité sans faute de l'État pourrait être envisagée. Celle-ci pourrait par exemple se fonder sur une rupture d'égalité devant les charges publiques à raison des coûts de dépollution supportés par des administrés voire par une collectivité qui agirait contre l'État. Enfin, de façon plus théorique, l'engagement de la responsabilité pénale d'une personne publique pourrait être imaginé pour des infractions telles que la mise en danger de la vie d'autrui ou encore l'abstention volontaire à combattre un sinistre (30) .

À l'échelon local, après la découverte d'une pollution, plusieurs acteurs peuvent être visés. La préfecture (au travers notamment de la Dreal (31) ) et les ARS (32) sont en première ligne, de même que les communes et EPCI (33) concernés. À cet égard, la gestion par la Métropole de Lyon de la pollution dans la Vallée de la chimie est scrutée de près par la société civile, de même que celle de la communauté de communes Rumilly Terre de Savoie confrontée à une situation analogue. S'agissant de la Métropole de Lyon, une stratégie locale a été adoptée, reposant notamment sur la réalisation d'une étude environnementale et d'une étude sanitaire pour connaître les niveaux d'imprégnation des populations exposées (34) .

À l'échelon national, notons que les députés se sont prononcés contre une proposition de loi portant interdiction des PFAS le 8 juin 2023 (35) . Le Gouvernement, quant à lui, a adopté un plan d'action à l'horizon 2027 qui « vise à réduire les risques à la source, à poursuivre la surveillance des milieux, à accélérer la production des connaissances scientifiques et à faciliter l'accès à l'information pour les citoyens » (36) . C'est l'adéquation de ce plan et sa mise en œuvre effective qui pourront éventuellement donner lieu à un recours en responsabilité pour carence fautive. Un tel recours serait analogue à ceux engagés par des coalitions d'associations pour dénoncer l'insuffisance des politiques en matière climatique ou de régulation des pesticides (37) .

Enfin, au-delà des mesures politiques mises en œuvre, les PFAS ont mis en lumière un problème structurel d'accès à l'information environnementale. Comme souligné par le rapport de l'Igedd, l'information des administrés quant aux risques liés aux PFAS n'est pas assurée dès lors que ces derniers constituent un angle mort des dispositifs de transparence existants. Ainsi, aucun PFAS n'est recensé sur la base de données « Géorisques », ni sur la plateforme Gerep, et seules deux molécules sont répertoriées sur la plateforme Gidaf. Dans ces conditions, certains droits subjectifs environnementaux des administrés, consacrés notamment par la convention d'Aarhus, ne sont pas garantis et pourrait donc donner matière à une saisine du comité d'application de cette convention.


*

Les spécificités des contentieux en matière de pollutions diffuses se heurtent ainsi aux limites du droit positif. Elles constituent, du même fait, une opportunité de le faire évoluer. Dès lors, le juge et le législateur sont confrontés à un choix : le conservatisme au détriment d'une protection effective du vivant, ou l'adaptation du droit aux défis de l'anthropocène.

Sur le plan procédural, cette réflexion fait écho aux travaux menés ces dernières années sur les moyens alloués à la justice pour traiter efficacement les affaires environnementales, s'agissant notamment des procédures d'urgence (38) et du contentieux pénal (39) . Sur le plan substantiel, obtenir la nécessaire réparation des dommages causés exigera de se départir d'une application stricte des conditions de responsabilité (en particulier du lien de causalité (40) ) et d'une lecture trop restrictive du « coût économique acceptable » qui conditionne le principe du pollueur-payeur.

Sans avancée juridique en ce sens, le droit se condamne à une inadéquation croissante avec les faits et un détournement de la société civile vers des modes d'action plus radicaux. Sans relais politique en faveur de normes ambitieuse et d'une application effective du principe de précaution, nous resterons prisonniers d'une logique purement réactive, crise après crise.

1. Joerss H. et Menger F., The complex ‘PFAS world' - How recent discoveries and novel screening tools reinforce existing concerns (CC-BY-SA), Current Opinion in Green and Sustainable Chemistry, vol. 40,‎ 1er avr. 2023, p. 100775 (ISSN 2452-2236, DOI 10.1016/j.cogsc.2023.100775)2. Ho Hoa J., Que sont les PFAS, ces polluants que l'on dit 3. Gaber N., Bero L. et Woodruff T.J., 2023. The Devil they Knew: Chemical Documents Analysis of Industry Influence on PFAS Science. Annals of Global Health, 89(1), p.37 DOI: https://doi.org/10.5334/aogh.40134. V. en ce sens : Tribune, Pour protéger la qualité de l'eau potable en France, les outils réglementaires doivent évoluer rapidement, Le Monde, 6 déc. 2023 ; Laperche D., Pesticides PFAS : des substances qui échappent souvent aux règles européennes, Actu-Environnement, 9 nov. 20235. Ayphassorho H., Schmitt A., Igedd, Analyse des risques de présence de per- et polyfluoroalkyles (PFAS) dans l'environnement, 14 avr. 20236. TA Lyon, 17 oct. 2023, n° 23030067. À la différence du référé précité prévu à l'article 835 du code de procédure civile8. Du moins jusqu'à l'adoption de trois arrêtés préfectoraux par la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes à partir de mai 2022 en suite des révélations journalistiques sur la pollution9. TJ Puy-en-Velay, 5 mai 2022, n° 22 122 0000 0610. TJ Lyon, ord. JLD, 16 nov. 2023, n° 22 152 00007611. CA Lyon, 11 janv. 2024, n° 2023/0241512. Une jonction de cette plainte avec la plainte collective déposée ultérieurement pour les mêmes faits apparaîtrait en effet dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.13. Générations futures, PFAS : des plaintes et des analyses exclusives !, 5 juin 202314. Cass. crim, 19 avr. 2017, n° 16-80.695 : Bull. crim.15. Mindock C., DuPont loses challenge over cancer victim's $40 mln verdict in PFAS case, Reuters, 6 déc. 2022 ; Morimont E., Deux directeurs de Solvay inculpés en Italie pour catastrophe environnementale, RTBF, 21 déc. 2022

16. En pratique, il pourrait s'agir d'une véritable difficulté dès lors que les experts dotés des connaissances et technologies nécessaires sont rares, si bien que des échantillons tirés de prélèvement doivent parfois être envoyé aux Pays-Bas voire au Canada ; Méallier S., Polluants éternels : un collectif lance ses propres analyses faute de résultats officiels sur les PFAS près de Lyon, FranceInfo, 3 mars 202317. Pour rappel, l'article 1248 du code civil dispose que : « L'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'État, l'Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement. »18. C. env., art. L. 541-1-1 : « Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire »19. C. env., art. L. 541-4-120. Feeley J., et Beene R., 3M Heads to Trial in ‘Existential' $143 Billion PFAS Litigation, Bloomberg Law, 2 juin 202321. « Economic operators are liable for defective products for a 10-year period […] but claimants will enjoy an additional 5-year period in cases where the symptoms of personal injury are slow to emerge, for example following ingestion of a defective chemical or food product. » - Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, COM/2022/495 final22. Cass. 1ère civ, 15 nov. 2023, n° 22-21.179 : Bull. civ.23. Fabre Soundron M., Plastique : Danone assigné en justice sur son devoir de vigilance, Novethic, 9 janv. 202324. V. notamment la normes ESRS E2 sur la pollution qui complète la directive CSRD sur le reporting de durabilité.25. Fournier C., Bisphénol A : 15 entreprises agroalimentaires dont Bonduelle et Andros sanctionnées pour leur manque de transparence, Novethic, 12 janvier 202426. Proposed Designation of Perfluorooctanoic Acid (PFOA) and Perfluorooctanesulfonic Acid (PFOS) as CERCLA Hazardous Substances, U.S. Env't Prot. Agency27. Rosso E., Polluants éternels : en Ardèche, l'eau contaminée aux PFAS, le silence des pouvoirs publics, FranceInfo, 25 oct. 202328. En mai 2023, la cour suprême leur a reconnu un droit à la réparation de leur préjudice : Chemsec, Swedish court ruling unlocks potential for more PFAS lawsuits, 5 déc. 202329. Stroobants J.-P., PFAS : la Belgique cherche des responsables dans le scandale de la contamination des eaux, Le Monde, 15 nov. 202330. C. pénal, art. 223-731. Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement32. Agences régionales de santé33. Établissement public de coopération intercommunale34. Elle devrait être menée par un « institut écocitoyen », reprenant ainsi partiellement la proposition soutenue par l'association Notre affaire à tous – Lyon. Celle-ci promeut en effet la création pérenne d'un tel institut à l'image de celui de Fos-sur-Mer créé pour étudier l'impact des pollutions santé par des méthodes de science participative.35. Proposition de loi n° 1138 visant à lutter contre les risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées ; une autre proposition sera déposée à l'occasion de la niche parlementaire écologiste au mois d'avril prochain.36. Ministère de la Transition écologique, Plan d'action ministériel sur les PFAS, 17 janv. 202337. V. notamment les actions nommées « l'Affaire du siècle » et « Justice pour le vivant ».38. Mission « flash » sur le référé spécial environnemental, 2021 ; proposition de loi n° 1973 visant à adapter la procédure des référés aux enjeux environnementaux, 202339. Molins F. (dir.), Le traitement pénal du contentieux de l'environnement, 202240. V. à titre d'illustration : TA Paris, 16 juin 2023, n° 2019924 et n° 2019925

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