Les incendies de centres de tri ou de traitement des déchets défrayent la chronique. La multiplication des batteries au lithium-ion dans les déchets et leur détérioration figurent parmi les causes les plus fréquemment avancées. Les éco-organismes des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) de piles et batteries et de produits générateurs de déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) ont pris le problème à bras-le-corps en organisant notamment des rencontres régulières sur la prévention du risque incendie. L'occasion aussi de mettre en lumière des retours d'expérience sur les solutions techniques et organisationnelles.
Un risque émergent
Un incendie, c'est justement ce qui a totalement détruit en novembre 2020 le site de tri et de traitement de DEEE d'Envie 2E Occitanie, au Portet-sur-Garonne (Haute-Garonne). Il faut trois jours pour circonscrire le sinistre qui réduit à néant l'installation en banlieue toulousaine. Les images filmées par les caméras de surveillance permettent d'en identifier très rapidement l'origine : un départ de feu dans un fût contenant des batteries, probablement dû à une batterie au lithium-ion endommagée. Facteur aggravant, l'incendie se déclenche un samedi matin alors que l'installation est fermée et que personne n'est présent sur le site, ce qui retarde l'intervention des pompiers.
Le site n'avait pas été conçu pour gérer ce risque. « Avant, il n'y avait pas de piles au lithium dans les petits appareils ménagers, c'est nouveau pour nous et ça ne cesse d'augmenter », justifie Franck Zeitoun, président d'Envie 2E Occitanie. Bien sûr, le centre respectait les prescriptions des installations classées (ICPE), les obligations imposées par l'assurance, les éco-organismes et le label européen Weeelabex. Mais ces mesures anti-incendie n'ont pas permis d'éviter la destruction totale des bâtiments et de l'installation de traitement.
Des équipements de détection plus pointus
Concrètement, les cellules du site ont été isolées avec des murs pare-feu et l'installation a été équipée de sprinklers dispersant de l'eau et un additif retardant la combustion des plastiques. Surtout, elle a été dotée d'un outil de détection incendie dernier cri (des détecteurs par aspiration ont été installés sur la ligne de traitement). Leur avantage ? Être en mesure de détecter rapidement la fumée sans être perturbés par les poussières en suspension dans certaines parties du centre. Un dispositif de détection thermique a également été installé dans les zones de stockage des piles. Cet équipement permet de lancer l'alerte avant le départ de feu, puisqu'une pile au lithium-ion chauffe avant de s'enflammer. Pour le reste, le site est équipé de détecteurs de fumée classiques dans les bureaux.
Les deux premiers volets reviennent sur des points assez classiques : la matérialisation et la connaissance des risques (et le fait que 85 % des accidents sont liés à des erreurs humaines, comme les pratiques endommageant les piles) et l'importance des causeries répétées pour maintenir la culture du risque.
Le rappel du cadre juridique (code du travail, code civil, code pénal et code de la sécurité sociale) et de la responsabilité respective de l'entreprise, des dirigeants et des salariés constitue également un point essentiel : « Les opérateurs savent qu'il y a des risques, mais ils ne savent pas forcément que, dans certaines situations, ils peuvent engager leur responsabilité vis-à-vis de leurs collègues ».
Enfin, la neuroscience, le quatrième point abordé, permet de comprendre comment on acquière des connaissances. Ce point, souvent méconnu, permet d'adapter le discours aux particularités des équipes et surtout de comprendre comment on réagit en situation de danger car, souvent, les opérateurs n'ont pas les bons réflexes.
La gestion du risque incendie ne passe pas uniquement par des équipements performants. Certaines pratiques préventives peuvent aussi être mises en place, explique Arnaud de Kersauson, directeur d'exploitation du site de collecte de DEEE d'Envie Loire-Atlantique. Sur ce site qui voit transiter des EEE usagers, 34 caméras, dont 14 avec suiveurs, permettent la levée de doute. Mais leur présence se justifie surtout par la lutte contre le vol.
En l'occurrence, sur ce site de logistique, c'est l'attention particulière apportée à la manutention des déchets susceptibles de contenir des piles qui est au cœur de la gestion du risque incendie. « Quand on gerbe les DEEE, on arase les caisses pour éviter les tassements et pour réduire le risque lors du transport et sur le centre de traitement à l'arrivée », explique le responsable. Et de rappeler que ce tassement peut détériorer les accumulateurs et provoquer des départs de feux. Une pratique à rebours de celle de certains acteurs qui, pour transporter plus de DEEE par chargement, peuvent être tentés de les tasser en remplissant les bennes au grappin.
Avec la multiplication des batteries, « il faut vivre avec le risque incendie et il faut donc renforcer les procédures et les moyens humains », confirme aussi le président d'Envie 2E Occitanie. Une équipe d'intervention rapide a donc été formée pour contrôler en trois minutes un départ de feu. Autre renforcement humain : dorénavant le site est gardé en permanence.
Des alertes plus fréquentes
Bien sûr, les investissements dans le site toulousain ont un coût : les aménagements et les systèmes de détection ont couté de l'ordre d'un million d'euros et le gardiennage nécessite quelque 150 000 euros par an. Quant aux pratiques mises en place en Loire-Atlantique, « elles prennent du temps, donc représentent des coûts, constate Arnaud de Kersauson, mais c'est un investissement, car réduire le risque est profitable, ce n'est pas une charge ».
Les investissements réalisés dans le centre de traitement ont aussi eu pour effet de multiplier les fausses alertes, notamment lorsqu'une pile passe dans le déchiqueteur et fume. Il faut alors la retirer et la déposer dans du sable. « Le risque est minime, parce qu'il n'y a pas de stock à ce stade du traitement, mais il faut arrêter la ligne », explique le dirigeant d'Envie 2E Occitanie.
À chaque fois, l'intervention impose l'évacuation du personnel au point de rassemblement, ce qui entraîne une perte d'une quinzaine de minutes. Fréquemment ? « Plusieurs fois par semaine, mais c'est difficile à évaluer parce qu'il peut ne rien se passer pendant une semaine et on peut avoir ensuite deux interruptions la même journée », explique Franck Zeitoun. Surtout, « ces arrêts hachent le travail et agacent, sans compter que c'est difficile psychologiquement pour les employés qui ont été confrontés à l'incendie de 2020 et à la perte de l'outil de travail ». Une gêne pourtant jugée préférable aux désordres que provoque un incendie.