
La question de l'efficacité énergétique progresse parmi les préoccupations des dirigeants des industries agroalimentaires. L'intérêt économique de la démarche n'a pas encore séduit les plus rétifs. Et pourtant, pour certains, c'est un gage de survie.
L'industrie agroalimentaire (IAA) est le second secteur le plus consommateur d'énergie en France (16% de la consommation de l'industrie), derrière l'industrie chimique (21%). En 2012, la consommation brute d'énergie des établissements français de 20 salariés et plus s'élevait à 5,2 millions de tonnes d'équivalent pétrole, pour une facture de 2,6 milliards d'euros. Un chiffre qui n'est pas sans questionner de nombreux dirigeants de ce secteur.
Encore trop d'idées reçues
La faible prise de conscience des dirigeants de ces IAA est le principal frein au déploiement de l'efficacité énergétique dans ce secteur. "Ils ont beaucoup d'idées reçues : un temps de retour trop long, un potentiel de réduction de consommation limité et des coûts d'investissement élevés", explique M. Riche. Et les équipes ne sont pas suffisamment formées pour casser ces idées reçues : "Le top management n'est pas convaincu et les équipes ne savent pas le convaincre", résume M. Riche. Pourtant, "sur la base de notre expérience de plus de 100 programmes d'économies mis en en œuvre dans le secteur, nous avons réalisé en moyenne 22% d'économies dont presque la moitié ne nécessite pas ou très peu d'investissements", constate Jean-Pierre Riche.
L'efficacité énergétique, source d'innovation
Certains acteurs du secteur l'ont bien compris et ont déployé une politique globale d'efficacité énergétique. C'est le cas par exemple de la coopérative Axéréal et de sa filiale Boortmalt. Avec ses dix sites industriels implantés en Europe et notamment en France, ce fabriquant de malt a besoin de chaleur (80%) et d'électricité (20%) tout au long du process de transformation des grains d'orge. Il consomme principalement du gaz naturel et pratique la cogénération. Depuis le début de ses réflexions en 2009, le malteur a réduit sa consommation totale d'énergie de 20% en investissant au total 25 à 30 millions d'euros. Le plus difficile selon lui a été de "prendre le temps de réfléchir aux pistes d'amélioration possibles et de les planifier".
|
|
Si le secteur du malt ne connaît pas la crise, tiré par les marchés mondiaux du whisky et de la bière, la question des investissements s'est tout de même posée. Les équipes ont planché dans un premier temps sur les mesures reproductibles les plus efficaces et les moins coûteuses comme la chasse aux fuites d'air comprimé. Une partie des économies réalisées a abondé le budget annuel d'investissement, ce qui a permis d'envisager des projets de plus grande envergure comme le déploiement de la cogénération et le recours à la biomasse.
Commencée dans le cadre de la politique RSE du groupe, cette politique énergétique est aujourd'hui un "levier de performance, un moyen d'être meilleurs que nos concurrents", selon Yvan Schaepman, directeur de Boortmalt. Le groupe a notamment modifié son process grâce à la R&D (brevets) afin de continuer à réduire les consommations d'énergie par tonne de malt produite. Il a par exemple sélectionné une variété d'orge qui nécessite moins de temps de germination (besoins de chaleur réduits) et qui stoppe sa croissance dès 60 degrés (80°C pour les grains habituels).
Gagner en compétitivité
Pour d'autres acteurs, l'efficacité énergétique a été l'une des clefs de la survie de l'entreprise. En 2012, le groupe de transformation de volaille Doux est frappé par une crise sans précédent qui le conduit à une mise en redressement judiciaire. Le plan d'action visant à sortir du dépôt de bilan cette entreprise bretonne de 2.200 salariés mise notamment sur la réduction des dépenses. Et l'énergie est dans la ligne de mire.
Avec ses fermes d'élevage, ses usines d'aliments, ses abattoirs, et ses usines de produits élaborés, le groupe a besoin de chaleur, de vapeur et de froid pour cuire, refroidir ou congeler et conditionner les aliments. La politique d'efficacité énergétique suivie depuis 2010 prend alors un nouveau tournant. Tous les sites ont fait l'objet d'un audit énergétique, même ceux qui ne sont pas concernés par l'obligation réglementaire. De la même manière que le malteur Boortmalt, Doux a commencé par affiner le suivi de ses ratios énergétiques et à mettre en place des mesures "faciles et à gains rapides", explique Paul Demenneville, responsable méthode et processus du groupe. Nouveaux moteurs de broyeurs, optimisation des brûleurs de chaudières, remplacement de l'éclairage par des leds, création de puits de lumière naturelle, isolation des tuyaux et des vannes, chasse aux fuites d'air comprimé… Toutes les pistes ont été creusées. Résultats : entre 2013 et 2014, le groupe a économisé 4,5 millions de kWh soit une baisse de 2% de sa consommation d'énergie.
Aujourd'hui, Doux envisage des travaux plus conséquents avec des taux de retour sur investissement plus longs (2 à 3 ans). "Toucher au process des usines n'est pas évident, nous nous concentrons sur la production des fluides (air comprimé, eau chaude, froid, vapeur)", explique Paul Demenneville. Une installation de récupération de chaleur sur les compresseurs de froid va par exemple être installée sur le site de Doux FPP de Quimper. Grâce aux certificats d'économies d'énergie, l'investissement de 400.000 euros sera amorti en moins de deux ans. "Cette mesure va nous permettre d'économiser du gaz naturel mais elle n'est pas duplicable partout", prévient Paul Demenneville.
Avantages collatéraux
"S'il y a cinq/six ans, la motivation pour enclencher une politique d'efficacité énergétique était environnementale et économique, aujourd'hui elle est essentiellement économique par la baisse des coûts et la recherche de gain de compétitivité par rapport aux concurrents", reconnaît Jean-Pierre Riche, PDG d'Okavango-Energy. Pour le groupe Doux, le constat est sans appel : "L'efficacité énergétique est une source de rentabilité, qui nous a permis de nous en sortir", estime Paul Demenneville. Les bénéfices collatéraux sont également nombreux notamment sur le plan social : "C'est un sujet d'actualité, fédérateur qui mobilise positivement les salariés", témoigne Yvan Schaepman, directeur de Boortmalt. "Nous constatons la naissance d'une culture", complète Paul Demenneville.
Les deux groupes comptent valoriser leur image à travers leur politique énergétique auprès de l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise. Ils ont choisi la certification ISO 50001 pour faire reconnaître leurs efforts.
Florence Roussel
© Tous droits réservés Actu-Environnement
Reproduction interdite sauf accord de l'Éditeur.
Retrouvez le dossier "Energie : L’usine du futur sera efficiente ou ne sera pas"
à la une du n° 350
Acheter ce numéro
S'abonner