
C'est un serpent qui se mord la queue : sans croissance, difficile pour les entreprises d'investir dans l'efficacité énergétique. Pour sortir de la crise, l'industrie du futur devra être efficiente, sur tous les tableaux.
"L'industrie a fait de réels progrès en matière d'efficacité énergétique après le choc pétrolier. Mais le coût de l'énergie plutôt favorable en France a fait que l'efficacité énergétique ne compte pas parmi les priorités des industriels aujourd'hui", analyse Sylvie Padilla, responsable du service Entreprises et éco-technologies à l'Ademe.
D'autant que la crise économique est passée par là, fragilisant un parc industriel déjà en situation délicate. "La capacité d'investissement est très liée à la conjoncture économique", confirme Antoine de Fleurieu, délégué général du Gimélec et président du groupe de travail Efficacité énergétique du Comité stratégique de filière Eco-industries. "Aujourd'hui, le parc industriel français est globalement vétuste, non efficient, pas assez compétitif. L'investissement dans l'efficacité énergétique passe par le renouvellement de l'outil de production. Les technologies existent, reste donc à trouver les leviers pour relancer la modernisation du parc productif français".
Du fait de sa vétusté, l'industrie tricolore affiche un réel potentiel d'économies d'énergie. Selon les projections de l'Ademe, les marges de manœuvre de l'industrie en matière d'efficacité énergétique sont de l'ordre de 20% d'ici 2030 (3,3 Mtep finales). "Le gisement est considérable, à la fois chez les énergo-intensifs, qui ont déjà beaucoup fait dans ce domaine, mais surtout dans le tissu des PME-PMI", explique Antoine de Fleurieu.
Une facture énergétique à la hausse
L'industrie représente un quart de la consommation finale nationale d'énergie, un tiers de la consommation d'électricité. Si ces dernières années ont été marquées par une baisse des consommations, la facture énergétique de l'industrie a augmenté, "sous l'effet d'une hausse des prix de la plupart des énergies. Elle s'élève ainsi à 15,3 Mds € en 2012, soit un montant proche de celui de 2008, pour une consommation inférieure", analyse l'Ademe. L'objectif est donc d'accroître la compétitivité de l'industrie en réduisant l'intensité énergétique de sa production. Entre 1990 et 2012, cette intensité a été réduite de 17%, grâce à l'amélioration des procédés.
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Dans d'autres secteurs, les gains peuvent être plus accessibles, via la mise en place de solutions organisationnelles (audits, système de management de l'énergie) ou l'investissement dans des solutions technologiques éprouvées (cf. tableau des solutions par secteur). Mais ces entreprises sont plus difficiles à mobiliser sur le sujet : "Dans les secteurs où le poids de l'énergie est moins important que celui de la main d'œuvre ou de la matière première, l'efficacité énergétique n'est pas la préoccupation principale", estime Sylvie Padilla. Les actions de maîtrise de l'énergie interviennent généralement à des moments précis : renouvellement des équipements ou changement de lignes de production. "Ces entreprises ne changent pas de moteur pour en avoir un plus efficace, mais parce que le leur est en fin de vie".
D'autant que la crise a fragilisé leur capacité à investir. "Il est donc difficile pour elles de réaliser des dépenses dans des équipements considérés comme non productifs", explique l'experte de l'Ademe. Sans croissance, l'industrie n'investira donc pas dans la maîtrise de l'énergie.
Un outil de production obsolète
En dix ans (2002-2012),l'investissement en France a reculé de 42 Md€, entraînant une obsolescence de l'outil industriel, souligne l'étude prospective sur la modernisation de l'appareil productif français, publiée en mai 2014 par le ministère de l'Economie. Sur la même période, l'Allemagne et l'Italie limitaient la casse, alors que leur effort d'investissement était déjà historiquement plus élevé qu'en France. Résultat : l'outil productif français s'est contracté et a vieilli, s'appuyant sur des machines anciennes, "compromettant la capacité à fabriquer des produits complexes ou à plus forte valeur ajoutée". Tandis qu'en Allemagne, les machines anciennes ont été complétées par de nouvelles machines, pour faire face aux volumes de production. Le parc industriel y est plus automatisé, plus robotisé et plus numérisé, donc plus efficient.
La France et ses voisins européens ont fait des paris très différents. La première a recherché une compétitivité coût, en réduisant ses charges de production. L'Allemagne et l'Italie ont fait le pari inverse : travailler sur la compétitivité hors coût, l'innovation et la valeur ajoutée, pour échapper aux prix toujours tirés vers le bas. "Le fait de penser que l'on avait une énergie compétitive ne nous a pas éveillé en France. L'Allemagne et l'Italie ont mené des investissements sur la valeur ajoutée, tandis que la France a mené une politique sur les salaires, les charges patronales, l'approvisionnement en énergie à bas coût… Mais le différenciel prix sur l'énergie entre les pays européens s'est amoindri, la France reste donc avec un outil de production non modernisé, fabricant des produits à faible valeur ajoutée".
L'industrie française est entrée dans un cercle vicieux amplifié par la crise économique : sa perte de compétitivité prix et hors prix réduit la demande, et donc la rentabilité et les investissements, qui, à leur tour, accroissent la perte de compétitivité…
Un changement de paradigme est donc nécessaire pour sauver l'usine France. C'est le défi lancé par les travaux autour de l'industrie du futur. "Une enveloppe de 4,6 Md€ pour nos usines (2,5 Md€ de sur-amortissement et 2,1 Md€ de prêts BPI), cela ne s'est pas vu depuis des années", s'enthousiasme Antoine de Fleurieu, de Gemélec.
Sophie Fabrégat
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