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Bilan de deux ans de CJIPE : une réponse pénale négociée insuffisamment dissuasive en l'état

Le recours à la CJIPE est encouragé par le ministère de la Justice, qui y voit un moyen d'augmenter l'efficacité de la réponse pénale en matière environnementale. L'analyse des deux premières années de l'outil dévoile un bilan mitigé.

DROIT  |  Étude  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°328
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°328
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Bilan de deux ans de CJIPE : une réponse pénale négociée insuffisamment dissuasive en l'état
Sébastien Bécue et Marc Pitti-Ferrandi
Avocats associés, Terranostra Avocats
   

La convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) a été initialement introduite dans le code de procédure pénale par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 pour les atteintes à la probité. Elle a été étendue aux atteintes environnementales par la loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée. Le ministère de la Justice la qualifie de « réponse pénale négociée » : synthétiquement, il s'agit de permettre au procureur de transiger, sous le contrôle du juge, avec une personne morale mise en cause, contre l'engagement de cette dernière de respecter un certain nombre d'obligations. Si ces obligations sont exécutées, le procès pénal est évité. La CJIP rejoint ainsi la liste des mesures alternatives aux poursuites du droit français (1) , dont les plus connues sont l'avertissement pénal probatoire (ancien rappel à la loi), les stages de citoyenneté ou encore la composition pénale. Le présent article s'intéresse à l'utilisation qui est faite depuis l'extension du champ de la CJIP à la matière environnementale, en l'illustrant à l'aide des conventions conclues, qui sont publiées sur le site des ministères de l'Environnement et de la Justice, et des préconisations des deux dernières circulaires de procédure pénale en matière environnementale, respectivement en date des 11 mai 2021 et 9 octobre 2023.

I. Champ d'application

Rappelons que la CJIP, dans sa version issue de la loi Sapin 2, était cantonnée à certaines infractions en matière de probité : faits de corruption, trafic d'influence, fraude fiscale, blanchiment. En matière environnementale, le dispositif peut être largement utilisé, « pour un ou plusieurs délits prévus par le code de l'environnement », ainsi « que pour des infractions connexes » (2) .

Le ministère a explicité les cas dans lesquels la proposition d'une CJIP environnementale (CJIPE) est recommandée. La circulaire du 11 mai 2021 (3) indique que la convention « vient pallier l'absence de dispositif transactionnel permettant un traitement efficace et rapide des procédures ouvertes pour des atteintes graves à l'environnement », par rapport à la transaction pénale, jugée plus adaptée aux « infractions de faible gravité » dès lors qu'elle ne prévoit pas d'assurer « la réparation du préjudice écologique ». Plus précisément, le ministère recommande d'apprécier l'opportunité de mise en œuvre d'une CJIPE en considération des critères suivants : « les antécédents de la personne morale ; le caractère spontané de la révélation des faits ; le degré de coopération en vue de la régularisation de la situation et/ou de la réparation du préjudice écologique ». La circulaire du 9 octobre 2023 (4) semble tirer le bilan du faible recours à la CJIPE en admettant que son recours est aussi bien adapté aux « atteintes graves à l'environnement » « qu'aux affaires dont le ressort géographique est limité et sans technicité particulière ». Elle réaffirme en revanche que la CJIPE reste réservée au primo-délinquant, alors que l'engagement des poursuites doit être privilégié « en cas de réitération de faits graves afin de donner toute sa dimension dissuasive à la condamnation publique recherchée ».

L'étude des 16 conventions publiées (5) montrent qu'environ la moitié d'entre elles sont conclues pour des cas de pollutions accidentelles de cours d'eau dans le cadre de l'exploitation d'une installation, avec le plus souvent une négligence caractérisée de l'exploitant. On compte également deux conventions conclues pour des destructions de haies en bordure de parcelles agricoles, deux conventions relatives à des pollutions de l'air par des navires, deux conventions portant sur des infractions aux règles encadrant l'activité de zoos, et une portant sur des travaux réalisés dans un étang classé en zone Natura 2000.

Dans plusieurs conventions, on note que l'exploitant a été averti par les services préfectoraux, voire dans certains cas qu'il a été mis en demeure d'agir avant que l'atteinte à l'environnement ne survienne.

Seule une personne morale peut se voir proposer une convention. On note, par exemple, le cas d'une convention conclue par une collectivité locale, la commune de Besançon, dans le cadre de la gestion de son zoo. Le fait que les personnes physiques ne puissent être parties à la convention pourrait limiter l'utilisation de l'outil s'il s'avère que la responsabilité pénale d'un dirigeant mérite d'être recherchée.

II. Procédure

La procédure est assez simple (6) . Dans la procédure pénale, sa place se trouve, à l'instar des autres mesures alternatives, avant la mise en mouvement de l'action publique. Le point de départ est la décision du procureur de proposer la convention à la personne morale mise en cause. La mise en œuvre du dispositif dépend donc des dispositions du procureur à son égard, ce qui explique pourquoi son utilisation est limitée, pour l'heure, à quelques juridictions. Les représentants légaux peuvent décider de signer la convention. Dans ce cas, le procureur saisit par requête le président du tribunal judiciaire aux fins de validation de la convention. Après une audience publique au cours de laquelle les parties, et le cas échéant la victime, sont entendues, le président valide ou non la convention, par une ordonnance insusceptible de recours. Si l'ordonnance valide la convention, la personne morale dispose encore d'un délai de dix jours pour se rétracter. En cas de rétractation, la convention est frappée de caducité. En l'absence de rétractation, le procureur informe le public par établissement d'un communiqué de presse et l'ordonnance est publiée – en ce qui concerne les CJIPE – sur les sites internet des ministères de la Justice et de l'Environnement, ainsi que sur celui de la commune du lieu de l'infraction.

III. Obligations

Plusieurs obligations, répondant à différentes finalités, sont susceptibles d'être proposées par le procureur :

-      L'amende d'intérêt public versée au Trésor public est la première de ces mesures. Le montant de cette amende doit être fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel (calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements). Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention.

-      Ensuite, il peut être imposé à la personne morale de réparer les dommages causés par l'infraction : les dommages personnels lorsqu'une victime est identifiée, et le préjudice écologique, c'est-à-dire du dommage causé à l'environnement.

-      Enfin, un programme de mise en conformité visant à régulariser la situation de la personne morale au regard de la loi ou des règlements, dont le contrôle sera réalisé par les acteurs administratifs traditionnels du droit de l'environnement. Ce programme a une durée maximale de trois ans.

La circulaire du 9 octobre 2023 procède à un utile rappel des finalités différentes des obligations : l'amende est une « sanction autonome », dont le montant doit être fixé sans tenir compte des frais de réparation, des préjudices personnels et du préjudice écologique résultant de l'infraction. Son montant doit tenir compte des « profits obtenus par la personne morale grâce au comportement infractionnel ou l'avantage économique tiré de l'infraction ». Les mesures ordonnées doivent permettre, au global, une « remise en état de l'environnement », par réparation et compensation, en tendant vers « l'absence de perte nette de biodiversité ». L'efficacité des mesures doit être « vérifiée, en articulation avec les éventuelles actions administratives ». Cette remise en état nécessite la détermination d'un « état initial des milieux impactés » qui permet de caractériser les dommages causés et de dimensionner les mesures de réparation.

L'analyse des conventions publiées montre, dans de nombreux cas, des montants d'amende d'intérêt public de quelques milliers d'euros, en disproportion manifeste avec l'ampleur de l'atteinte à l'environnement telle que décrite par le procureur dans la convention, mais aussi avec l'amende encourue. Le montant de l'amende s'est ainsi limité à seulement 40 000 euros en ce qui concerne la convention conclue avec Nestlé pour une pollution de l'Aisne, alors qu'elle pouvait atteindre 590 millions d'euros (30 % de son chiffre d'affaires moyen annuel de près de 2 milliards euros). Cette somme semble dérisoire au regard de la gravité de l'atteinte : le montant pour la réparation des préjudices environnementaux a été fixé à plusieurs centaines de milliers d'euros (475.000 d'euros pour la seule Fédération de pêche des Ardennes). Dans la convention conclue pour une destruction d'habitats d'espèces protégées (448 mètres de haies), aucune amende n'a même été infligée.

De la même manière, on note régulièrement l'absence de programme de mise en conformité, ou l'absence de mesures de réparation du préjudice écologique. Dans les deux conventions relatives à la pollution de l'air, il est même indiqué qu'« au regard de la nature des faits et en l'absence de demandes en ce sens, la réparation du préjudice écologique ou l'indemnisation de victimes apparaît sans objet ». Ce qui pose la question de l'absence de parties civiles présentes dans le cadre du processus de conclusions de ces conventions – nous y reviendrons. Enfin, lorsqu'une somme est allouée au titre du préjudice écologique, aucune méthode de calcul n'est présentée pour expliquer les montants - globalement faibles - qui ont finalement été retenus.

IV. Contenu de la convention

Le contenu de la proposition de convention est précisé réglementairement : dénomination de la personne morale concernée, un exposé précis des faits, de la qualification juridique susceptible de leur être appliquée, la nature et le quantum précis des obligations proposées, et les délais et modalités dans lesquels ces obligations doivent être exécutées, le service chargé du contrôle du programme de mise en conformité ou de la réparation du préjudice écologique, le cas échéant, le montant maximum des frais exposés pour le contrôle de la mise en œuvre du programme de conformité et le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l'infraction.

D'un point de vue formel, il semble qu'il y a autant de modèles de conventions que de parquets, ce qui est dommageable : l'obligation de suivi d'une convention type pourrait permettre de forcer les procureurs à justifier plus précisément pourquoi ils décident de ne pas retenir une ou plusieurs des obligations susceptibles d'être mises à la charge de la personne morale. On pourrait imaginer que le modèle utilisé par le parquet du tribunal judiciaire de Paris en matière de probité, très détaillé, soit rendu obligatoire par arrêté ministériel. Beaucoup des CJIPE publiées sont peu motivées et l'hétérogénéité nuit à l'impression de justice.

V. Place des associations

En droit de l'environnement, la première victime est généralement l'environnement lui-même. C'est pourquoi a été instaurée une action en réparation du préjudice écologique, dont l'article 1248 du code civil prévoit qu'elle « est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'Etat, l'Office français de la biodiversité [OFB], les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement ». Ces institutions sont ainsi considérées par la loi comme pouvant demander réparation au nom de l'environnement. Les collectivités territoriales ne se constituent que trop rarement parties civiles – cela nécessite des moyens dont ne disposent que peu de communes rurales. L'OFB ne se constitue jamais, à notre connaissance, partie civile.

C'est donc en pratique principalement aux associations agréées et/ou anciennes qu'incombe la responsabilité de l'action en réparation du préjudice écologique. Et si l'association n'a pas connaissance de l'atteinte à l'environnement et qu'elle n'est pas invitée par le procureur dans le cadre de la procédure, alors personne n'est en mesure d'agir et d'apporter un contrepoint. La grande majorité des conventions ne mentionne pas la présence d'une seule association de défense de l'environnement. L'implication des Associations agréées de pêche et de protection des milieux aquatiques (AAPPMA) – circonscrite aux pollutions des eaux – ne saurait justifier une telle exclusion, de même que l'identification de victimes riverains. L'absence des associations de défense de l'environnement de la quasi-totalité des CJIPE ne saurait s'expliquer autrement que par une carence des parquets.

La question du préjudice écologique est alors abordée dans le cadre d'une relation bilatérale entre le mis en cause et le procureur. Or, si le procureur peut s'appuyer sur les services spécialisés de l'administration pour appréhender les problématiques de réparation environnementale, ces derniers ne sont certainement pas compétents pour reconstituer l'état initial de l'environnement et concevoir un programme de réhabilitation d'un cours d'eau par exemple.

La lecture des conventions le montre. Soit les mesures de réparation du préjudice écologique sont inexistantes, soit elles font l'objet d'un cahier des charges minimal, probablement élaboré par les services administratifs. Les développements de ces cahiers des charges ne sont pas du tout à la hauteur des méthodologies de réparation du préjudice écologique. Il n'y a qu'un seul cas de convention dans laquelle le procureur a demandé à la personne morale d'avoir recours à un bureau d'études pour la conception d'un véritable programme de remise en état. Il faudrait également que les associations aient la possibilité de critiquer le rapport du bureau d'études, voire de proposer une contre-expertise. Pour cela, il est nécessaire qu'elles soient invitées par le procureur dès le début de la procédure, et qu'on leur donne accès au dossier au même titre et au même moment que la personne morale. C'est une nécessité juridique : la réparation du préjudice écologique ne relève pas de la compétence du procureur.

Or, pour l'heure, la procédure prévoit simplement que « le procureur de la République informe par tout moyen la victime, lorsqu'elle est identifiée, de sa décision de proposer la conclusion d'une convention d'intérêt judiciaire d'intérêt public à la personne morale mise en cause. Il fixe alors le délai dans lequel elle peut lui transmettre tout élément de nature à établir la réalité et l'étendue de son préjudice » (7) . En pratique, la convention est déjà ficelée. La circulaire du 9 octobre 2023 démontre que le ministère a conscience de cette insuffisance puisque les parquets sont invités à informer les victimes identifiées, ainsi que les associations agréées du ressort, afin que celles-ci puissent intervenir dans la procédure. Aucune sanction n'est toutefois prévue si les associations ne sont pas contactées. En outre, la circulaire limite les diligences devant être réalisées par les parquets aux seules associations agréées, alors que de très nombreuses associations anciennes non agréées sont susceptibles d'être victimes et d'aider dans la définition des mesures de réparation.

VI. Place des maires

Il est très regrettable que la circulaire n'invite pas les procureurs à contacter les maires systématiquement, alors que les communes sont aussi victimes des infractions environnementales commises sur leur territoire. Associer les maires apparaît aussi essentiel pour identifier les autres victimes des infractions, et notamment les associations locales, mais aussi les enjeux écologiques locaux et recueillir toute information sur l'état initial de l'environnement et les mesures de réparation les plus adaptées, et enfin suivre la mise en œuvre de ces mesures. L'implication des maires serait d'autant plus justifiée qu'ils sont chargés, non seulement de pouvoirs de police en matière environnementale, en particulier en matière de déchets, mais aussi de la police de l'urbanisme, dont l'importance est centrale pour la protection de la nature et de la biodiversité.

VII. Bilan d'étape

Le principal apport de la CJIPE devait être un traitement pénal rapide et efficace des atteintes à l'environnement. Mais c'est une efficacité relative, qui n'existe que par comparaison avec une justice pénale trop lente, car sous-dotée. En ce qui concerne les conventions effectivement conclues, on note une très grande hétérogénéité formelle et substantielle selon les parquets, et des errements manifestes qui nuisent au sentiment de justice : amendes dérisoires, absence de présence de victimes, pas de réparation du préjudice écologique ou objectifs de réparation vagues… Le ministère encourage dans ses circulaires à un recours massif à la CJIPE. Si tel doit être le cas, la procédure doit être mieux cadrée par des modifications réglementaires, afin de soustraire de la marge d'appréciation du procureur un socle minimal de contenu de la convention, et de garantir la présence d'un tiers en capacité d'apporter un avis critique aux échanges bilatéraux personne morale – préfecture. Ces évolutions nous semblent être la condition pour – il s'agit des mots du ministère dans sa dernière circulaire, que « la rationalité économique [s'inverse], et le coût d'un comportement négligent – voire sciemment attentatoire à la préservation de nos ressources et de notre patrimoine naturel - [devienne] prohibitif".

1. CPP, art. 41-12. CPP art. 41-1-33. Circ., 11 mai 2021, op. cit.4. Circ., 9 oct. 2023, op. cit.5. Disponibles sur une page dédiée du site internet du ministère de la Justice et du site internet du ministère de l'Environnement. Au jour de rédaction du présent article, certaines circulaires ne sont publiées que sur un seul site internet.6. CPP, art. R. 15-33-60-1 et s.7. CPP, art. R. 15-33-60-1

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