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Saint-Pierre-et-Miquelon, un archipel bouleversé par l'adaptation climatique

Un processus de concertation inédit est lancé avec les habitants et les élus de cette collectivité d'outre-mer, frappée par le risque de submersion, située au sud de Terre-Neuve, au large du Canada. Le village de Miquelon envisage son déplacement.

Gouvernance  |    |  A. Sinaï
Saint-Pierre-et-Miquelon, un archipel bouleversé par l'adaptation climatique

Dans cette contrée de l'Arctique, archipel situé à fleur d'eau peuplé de 6 200 habitants, « on apprécie de s'installer et de construire sa maison où bon nous semble, en ville comme dans les lieux les plus reculés, sur le cordon dunaire, près des zones humides, dans les forêts boréales ou sur la bordure littorale, aussi belle qu'exposée », rapporte Stéphane Cordobès, géographe qui a réalisé une enquête (1) sur place. Un goût de la liberté lié, sans doute, à l'esprit de conquête qui anime les habitants de cette terre rude, balayée par les vents. « À Saint-Pierre-et-Miquelon, on dit que, sur un territoire aussi réduit, il serait injuste d'être soumis à des contraintes qui s'ajouteraient à celles imposées par la géographie naturelle. »

“ La disparition de l'isthme entre Grande-Miquelon et Langlade est à même de figurer parmi les premiers grands dommages  ” Stéphane Cordobès
Mais ce territoire isolé se trouve au cœur d'une des régions du monde où la vitesse de réchauffement est la plus rapide. Le climat change, les jours de grand froid et l'enneigement diminuent. L'érosion littorale s'accélère, la barrière de glace qui, l'hiver, protégeait le trait de côte n'existe plus, ou presque plus. « La disparition de l'isthme entre Grande-Miquelon et Langlade est à même de figurer parmi les premiers grands dommages », signale Stéphane Cordobès, qui souligne l'attachement des habitants à ce banc de sable, lien physique entre deux presqu'îles et leurs habitants.

Des piquets enfoncés par les habitants

La prise de conscience du changement climatique se cristallise à Miquelon, ce village de 550 âmes où des inondations sont déjà survenues. Situé sur l'île de Miquelon-Langlade, « Miquelon s'est construit à partir de la pêche traditionnelle et toute l'architecture en témoigne. C'est en partie pour cela que les maisons de pêcheurs sont en front de grève. La grande particularité de Miquelon, c'est que les gens ont construit eux-mêmes leurs habitations. Ils y sont donc très attachés, à la fois par tradition autour de la pêche et parce qu'ils les ont bâties de leurs propres mains, et, ce, de génération en génération puisque c'est toujours le cas », témoigne la géographe Anne-Solange Muis.

« Le hic est que Miquelon se trouve sur un cordon de sédiments et de galets, et sur une nappe phréatique qui a tendance à se gorger d'eau et à remonter en cas de submersion », note-t-elle, au retour d'un séjour sur place en janvier, à l'occasion d'un processus de concertation dans le cadre d'ateliers participatifs. En 2014, lors du passage de François Hollande, l'État a défini un plan de prévention des risques littoraux (PPRL), après la submersion du village lors d'une tempête. Ce plan empêche toute nouvelle construction dans le village actuel. « Cette décision drastique et sans concertation auprès des habitants a été un vrai traumatisme pour ces derniers. Elle a suscité une levée de boucliers contre ce plan », explique Anne-Solange Muis.

Lors d'une visite, en 2019, de la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, les habitants ont souhaité modifier le schéma d'aménagement proposé afin qu'une nouvelle zone soit inscrite comme zone constructible possible pour l'avenir. « Ils sont partis à 200, à pied, pour marquer leur souhait et planter un "drapeau" sur la parcelle du futur village. Un acte de territorialisation assez fort. Le jeu d'acteurs est complexe à Miquelon, car le maire n'a pas la compétence du foncier et de l'urbanisme. Celle-ci est déléguée à un tiers, une sorte de département surpuissant qui est la collectivité territoriale », explique la géographe. La collectivité territoriale a proposé un déplacement du village vers la presqu'île du Cap, mais celle-ci, petite et isolée, n'a pas la faveur des habitants, qui lui préfèrent l'île de Miquelon, plus grande et connectée à l'île voisine de Langlade.

Un processus participatif

Face à l'urgence des effets du changement climatique qui se font déjà ressentir, l'État a décidé d'organiser des Ateliers de territoire pour les élus et la population de Miquelon afin de définir des pistes pour le devenir du village. L'inédit de la démarche tient à la concertation des Miquelonnais. « C'est une première pour eux. Ils sont associés à la réflexion sous des formes multiples : plénière publique lors de chaque résidence menée par l'équipe (2) . Un groupe de volontaires est aussi présent dans les ateliers d'élus et d'acteurs économiques pour donner leur voix. Les enfants sont associés à travers des ateliers créatifs. Une enquête longue a lieu en ce moment et les habitants peuvent aussi participer à travers des écrits, ou encore des rendez-vous avec nous, ce qui a été la partie la plus importante lors de notre dernière résidence », témoigne Anne-Solange Muis.

Pour le moment, il semble hors de question de déplacer le village de Miquelon, souligne-t-elle : « Il y a trop de traumatismes, liés notamment au Grand Dérangement (période historique où les villageois ont été chassés par les Anglais), et il faut absolument accompagner le développement du village vers cette nouvelle zone souhaitée en s'inscrivant dans un processus de reterritorialisation. Mais cela va demander du temps, et la première action devra être soit un assouplissement du PPRL, soit une première maison construite dans la nouvelle zone et, idéalement, les deux. »

Autrefois, tête de pont de la pêche à la morue, Saint-Pierre-et-Miquelon est devenue dépendante, outre des produits pétroliers, d'importations de nourriture. La pêche est fortement réduite depuis le moratoire de 1992 qui a réglementé la prise de morue, espèce jadis abondante, épuisée désormais par la pêche industrielle. À la faveur de la fonte des glaces et de l'ouverture du passage du Nord-Ouest, certains verraient bien l'archipel devenir un hub de transbordement de marchandises entre Asie, Europe et Amérique du Nord. Pour l'heure, l'économie dépend presque entièrement du soutien de la Métropole.

1. Si le temps le permet, Enquête de Stéphane Cordobès, éditions Berger-Levrault, 2020.2. Composée de l'agence Alphaville, Anne-Solange Muis (ASM), le cabinet Bassinet-Turquin et l'agence d'architecture Atelier zéro carbone.

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