La réglementation sur les espèces protégées constitue de plus en plus un garde-fou contre les projets d'aménagement non respectueux de l'environnement. C'est le cas du contournement de Beynac (Dordogne), dont le Tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'autorisation en avril dernier. C'est aussi le cas de Val Tolosa, un projet de centre commercial de 60.000 mètres carrés de surface de vente qu'il était prévu de construire sur la commune de Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne), en périphérie de Toulouse.
Le Conseil d'Etat a rejeté le 24 juillet le pourvoi des porteurs du projet contre la décision d'appel confirmant l'annulation de l'autorisation de destruction d'espèces protégées ou de dégradation de leurs habitats. Cette autorisation portait sur 66 espèces de faune et de flore protégées et autorisait la destruction de spécimens pour douze d'entre elles.
Territoire déjà desservi par plusieurs pôles commerciaux
La Haute juridiction administrative avait déjà affirmé, par un arrêt du 25 mai 2018, que trois conditions cumulatives devaient être réunies pour autoriser une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées posée par l'article L. 411-1 du code de l'environnement. D'abord qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante. Ensuite que cette dérogation ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Enfin, que le projet réponde "par sa nature et compte tenu du projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur".
Le Conseil d'Etat, en tant que juge de cassation, exerce un contrôle de la qualification juridique des faits sur l'existence de cette raison impérative d'intérêt public majeur. C'est-à-dire qu'il vérifie s'il a été fait une bonne application de la règle de droit aux faits de l'espèce.
En l'espèce précisément, le Conseil d'Etat relève que le territoire de l'ouest toulousain est déjà desservi par plusieurs pôles commerciaux et n'est pas confronté à des difficultés ou des déséquilibres particuliers dans ce domaine. De plus, le schéma de cohérence territoriale (Scot) établit que l'offre en grands centres commerciaux est suffisamment structurée pour répondre à la demande des prochaines années. Son document d'aménagement commercial préconise, en outre, de limiter le développement des pôles commerciaux existants ou futurs dans la zone concernée. Il relève enfin que le projet n'est pas soutenu par l'ensemble des acteurs institutionnels locaux. Dans ces conditions, "le projet ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur", malgré la promesse de création de plus de 1.500 emplois, avait conclu la cour d'appel. Le Conseil d'Etat considère que cette dernière n'a pas donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée et rejette donc le pourvoi.
Compte tenu du caractère cumulatif des trois conditions permettant de justifier la dérogation, la seule absence de raison impérative d'intérêt public majeur justifiait à elle-seule le rejet de l'appel contre le jugement ayant prononcé l'annulation de l'autorisation. Les motifs d'annulation relatifs aux deux autres conditions, qui avaient aussi été retenus par les juges d'appel, sont considérés comme surabondants par le Conseil d'Etat. Il rejette par conséquent les moyens dirigés contre ces motifs.
"La création d'emplois ne suffit plus"
"Cette décision est importante dans un contexte de dérèglement climatique associé à un effondrement de la biodiversité locale", réagit France Nature Environnement Midi-Pyrénées, co-auteure du recours avec les associations Présence les Terrasses de la Garonne et Nature Midi-Pyrénées. "Les aménageurs doivent désormais intégrer que l'artificialisation de terres naturelles et agricoles doit être justifiée par des motifs impérieux et une recherche sérieuse de solutions satisfaisantes", en conclut l'ONG qui se félicite de cette décision après "six ans de bataille judiciaire et huit décisions de justice défavorables aux porteurs de projet".
Du côté des aménageurs et exploitants d'installations classées, l'inquiétude est palpable. "En ce qui concerne les autres raisons impératives d'intérêt public majeur [Ndlr : autres que la santé/sécurité publique ou les conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement], le juge est de plus en plus sévère, déploraient Carine Le Roy-Gleizes et Pauline Leddet-Troadec, avocates au cabinet Foley Hoag, dans un article de Mines & Carrières d'avril 2019. Il est en effet très difficile de faire reconnaître cet objectif, notamment pour les projets privés. On constate que la création d'emplois, par exemple, ne suffit pas à remplir ce critère".
"Dans la mesure où il s'agit d'un point critique, il est primordial de destiner une part importante du dossier de demande à ce sujet afin de montrer que l'installation ne répond pas seulement à un intérêt général mais bien à un intérêt public majeur", conseillaient les avocates. Une autre solution peut aussi résider dans le choix des sites d'implantation, en donnant la priorité absolue aux sites déjà artificialisés.