L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié le 17 juillet son avis (1) évaluant les valeurs de concentration en dioxyde de carbone (CO2) dans l'air intérieur associées à des effets sanitaires, dans le cadre d'une mise à jour de la réglementation française en matière d'aération pour différents types de locaux : logements, hébergements collectifs (centres de vacances, structures d'accueil de personnes âgées…) et autres établissements recevant du public (ERP), notamment bureaux, crèches, écoles…
La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) et la Direction générale de la santé (DGS) ont saisi le 1er mars 2012 l'agence afin d'évaluer "la pertinence" de construire une valeur guide de qualité d'air intérieur (VGAI) pour le CO2 qui viserait à définir et proposer un cadre de référence destiné à protéger la population des effets sanitaires liés à une exposition à la pollution de l'air par inhalation. Pour rappel : une VGAI est un seuil de concentrations dans l'air d'une substance chimique en dessous duquel aucun effet sanitaire ou aucune nuisance ayant un retentissement sur la santé n'est attendu pour la population générale en l'état des connaissances actuelles. L'Anses a déjà défini des VGAI pour 8 substances prioritaires : formaldéhyde (2007), monoxyde de carbone (2007), benzène (2008), naphtalène (2009), trichloréthylène (2009), tétrachloroéthylène (2010), particules (2010), acide cyanhydrique (2011). En 2013, l'agence a également proposé des VGAI pour le dioxyde d'azote et l'acroléine.
Un indicateur de confinement…
S'il n'existe pas encore de VGAI pour ce polluant, la réglementation actuelle prévoit toutefois des seuils de la concentration du CO2 mesurée dans les locaux, en tant qu'indicateur de confinement et de la qualité du renouvellement de l'air. Des normes qui n'ont pas "nécessairement" été établies sur la base de critères sanitaires, rappelle l'agence. Pour les bâtiments non résidentiels, la recommandation du règlement sanitaire départemental (RSD) indique de ne pas dépasser un seuil en CO2 de 1.000 ppm (partie par million) "dans des conditions normales d'occupation", avec une tolérance à 1.300 ppm dans les lieux où il est interdit de fumer, "sans fondement sanitaire explicite de ces deux valeurs", souligne toutefois l'Anses. Le décret du 5 janvier 2012 relatif à la surveillance obligatoire de la qualité de l'air intérieur dans certains établissements recevant du public sensible tel que les enfants prévoit également le calcul d'un indice de confinement à partir d'une mesure en continu de la concentration de CO2 dans l'air (indice Icone), développé par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). L'indice Icone est basé sur la fréquence de dépassement des niveaux de CO2 par rapport à deux seuils (1.000 et 1.700 ppm) dans les salles de classe.
La concentration du CO2 dans l'air intérieur des bâtiments est "habituellement comprise entre 350 et 2.500 ppm environ. Elle est liée à l'occupation humaine et au renouvellement d'air", précise l'agence, invitée par les Directions à déterminer des valeurs de concentration en CO2 "protégeant des effets du confinement" pour ces locaux, via une analyse des dernières études épidémiologiques sur la question. Les relations entre les concentrations de CO2 et d'autres polluants de l'air intérieur ont également été recherchées par l'agence à partir de campagnes de mesures nationales (2) réalisées dans les logements, les écoles, les crèches et les bureaux par l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (Oqai), le ministère en charge de l'Ecologie et le CSTB.
…mais trop peu d'études sur les effets sanitaires du CO2
Résultats : "en l'état actuel des connaissances", l'Anses estime qu'il "n'apparaît pas pertinent de construire une VGAI" pour le CO2 "fondée sur ses effets propres". En effet, plusieurs études rapportent "des concentrations associées à des effets sanitaires intrinsèques du CO2 (seuil à environ 10.000 ppm correspondant à l'apparition d'une acidose respiratoire (baisse du pH sanguin), premier effet critique du CO2)", explique l'Agence. Une acidose respiratoire a en effet été observée à partir d'un niveau d'exposition de 1% (10.000 ppm) pendant au moins 30 minutes chez un adulte en bonne santé avec une charge physique modérée. Cet effet critique pourrait apparaître à un niveau inférieur chez les populations sensibles (3) . Ces concentrations seuil "sont supérieures aux valeurs limites réglementaire et/ou normative de qualité du renouvellement d'air en France et au niveau international, qui varient usuellement entre 1.000 et 1.500 ppm de CO2".
Par ailleurs, une récente étude expérimentale sur 22 sujets humains adultes suggère un effet propre du CO2 sur la performance psychomotrice (prise de décision, résolution de problèmes) à partir de 1.000 ppm (étude Satish et al., 2012), mais cette étude "n'est pas suffisante pour élaborer une VGAI en l'absence de convergence avec d'autres études et de consensus international sur la nature des effets et le mode d'action associé", ajoute l'agence. L'Anses a également pointé l'absence d'étude chez l'Homme des effets du CO2 sur la cancérogénèse, sur la reproduction et sur le développement ou la tératogénicité. (4)
Pas d'outil unique de contrôle de l'air intérieur
Faute de données actuelles, les experts de l'Anses recommandent donc de ne pas élaborer de VGAI pour le CO2, que "ce soit pour ses effets propres ou pour les effets du confinement sur la santé". Les données épidémiologiques disponibles ne permettent pas non plus d'établir une concentration seuil de CO2 en air intérieur protégeant des effets sur la santé, la perception de confort ou la performance, analyse l'agence. Ces effets ont toutefois été observés pour des augmentations de concentration dans l'air intérieur de 100 ppm de CO2 pris en tant qu'indicateur du confinement d'air. Ils sont imputables aux nuisances induites par le confinement (sources de pollution : choix des produits de construction, de décoration, d'ameublement, des produits d'entretien ou des fournitures scolaires, nuisances sonores, transfert de la pollution extérieure, confort thermique, etc.).
Si le CO2 peut donc être utilisé comme un indicateur du confinement de l'air, rappelle l'agence, la mesure du CO2 "ne peut être considérée seule comme un indicateur de pollution chimique de l'air intérieur", prévient-elle. Si des corrélations "significatives" entre le CO2 et certains polluants ont été relevées, en particulier le formaldéhyde, l'acétaldéhyde, l'acroléine (dans les logements, pas dans les bureaux) et les particules (fractions PM2,5 et PM10 mesurées dans le cadre de la campagne nationale logement et la campagne pilote école), ces corrélations sont "faibles cependant", explique l'agence. A l'inverse, la corrélation est "très faible ou nulle" pour le benzène et le 1,4-dichlorobenzène (mesuré dans le cadre de la campagne nationale logements). La mesure du CO2 ne peut donc "être définie comme un outil unique de contrôle de la qualité sanitaire de l'air intérieur". L'évolution des concentrations de CO2 et des polluants en air intérieur "dépend notamment du renouvellement d'air", conclut l'Anses.