
Responsable du pôle économie durable chez Alcimed
Actu Environnement : Alcimed a réalisé pour l'Ademe une étude sur les plastiques biosourcés. Quels en étaient les contours ?
Arnaud Gabenisch : Le point de départ de notre étude pourrait se résumer en une question : les plastiques biosourcés, mythe ou réalité ? Les plastiques biosourcés sont à un stade très amont de leur développement : ils représentent 0,3 % de la production mondiale. Même si le marché décolle à 3 ans, il restera sur des parts très faibles à moins de 1%, ce qui témoigne de leur potentiel de développement. De nombreux freins ont été identifiés. Le premier est que les plastiques biosourcés n'atteignent pas encore la technicité des plastiques pétrochimiques dans le cas d'applications techniques. Or, pour l'instant, les industriels se placent dans une logique de substitution et non de recherche de nouveaux apports spécifiques. Leurs coûts sont plus élevés, car leur développement ne permet pas encore de réaliser des économies d'échelles.
Des inquiétudes sont également émises par les industriels sur la disponibilité des ressources agricoles et sur leur origine. Se pose notamment une problématique d'image, liée aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Aux Etats-Unis par exemple, des plastiques sont produits à partir d'agromatériaux GM. Les industriels ont également des doutes sur l'apport réel que peuvent avoir les plastiques biosourcés en termes marketing. Quel est l'impact sur les ventes dans l'industrie automobile d'une voiture qui est produite en partie avec des plastiques biosourcés ? Néanmoins et même s'il reste beaucoup de questions, on voit que le marché commence à bouger avec des produits de grande consommation qui sortent, notamment au travers de grands groupes tels que Danone (Volvic, Actimel) ou Coca Cola avec la Plant Bottle.
AE : Avez-vous fait des comparaisons en termes d'impact environnemental ?
AG : La réflexion autour de l'analyse de cycle de vie (ACV) est très difficile à appréhender. Nous avons tenté de comparer les plastiques biosourcés et pétrochimiques mais se posent des questions de périmètres d'études. La nature évolutive et l'absence de standardisation des ACV empêchent toute comparaison à périmètre constant (indicateurs non stabilisés, impacts mal maîtrisés…).
A partir du moment où on développe des écomatériaux, il faut s'inscrire dans une logique d'écoconception et se poser la question notamment de la fin de vie du produit. Les filières de recyclage sont peu développées aujourd'hui et ne permettent pas ou peu de valoriser les plastiques biosourcés recyclables et compostables. Les industriels hésitent encore entre utiliser du plastique recyclé ou du biosourcé. Les deux ne sont pas antinomiques, il faut travailler sur ces sujets.
AE : Y a-t-il des matières premières à privilégier néanmoins en France ?
AG : En France, les plastiques biosourcés s'inscrivent d'abord dans une logique de diversification des filières agricoles, comme les agrocarburants. Le sucre et les huiles sont les plus utilisés. Mais il ne faut pas oublier les plastiques de deuxième génération sur lesquels reposent beaucoup d'espoirs. Ils peuvent être produits à partir de déchets alimentaires ou de bois (polymères cellulosiques). Ces matières premières s'affranchiront des questions de concurrence d'usage. Ces matériaux sont encore très émergents, de nombreux défis technologiques restent à relever, notamment au niveau des procédés. Leur utilisation ne devrait pas intervenir avant 2020-2025.
AE : Dans quels secteurs pourraient être développés les plastiques biosourcés et pour quels usages ?
AG : Dans l'emballage et l'agriculture, les secteurs les plus avancés dans ce domaine, ces plastiques sont privilégiés pour leur biodégradabilité (à ne pas confondre avec les plastiques fragmentables). Si dans un premier temps, la biodégradabilité a constitué un vecteur de développement important, elle ne constitue qu'une des possibilités. D'autres spécificités doivent être développées. Le secteur du bâtiment peut être fortement utilisateur de plastiques biosourcés (contours de fenêtres, câbles, gaines, interrupteurs…).
Il faut raisonner en termes de fonctionnalité et non forcément dans une logique de substitution du plastique pétrochimique. La substitution peut constituer un premier pas pour augmenter les volumes, mais les plastiques biosourcés peuvent afficher de nouvelles caractéristiques techniques, liées à la résistance, à l'élasticité… De nouveaux développements potentiels sont envisageables afin d'enrichir les gammes de produits par des plastiques qui n'existaient pas jusqu'alors.
AE : L'étude identifie également les leviers d'action pour développer les plastiques biosourcés…
AG : Il s'agit de rompre le cercle vicieux entre faibles capacités, coûts de production importants et demande frileuse. Cela passe d'abord par une bonne communication. Et la priorité, c'est de tous utiliser la même appellation et la même définition. On entend beaucoup parler de bioplastiques, cela n'est pas un bon terme. Le préfixe ''bio'' peut mener à une confusion et une mauvaise compréhension du consommateur final. Il n'est pas favorable à l'acceptabilité. Nous préférons le terme de plastiques biosourcés. Ensuite, se posent des questions de gouvernance. Les entreprises sont confrontées à des difficultés pour trouver la bonne information. Il faut simplifier les guichets.
Enfin, il faut fixer des objectifs nationaux pour développer ces matériaux, avec des mises en oeuvre décalées selon les secteurs d'applications : à court terme pour les marchés les plus matures et à moyen / long terme pour les marchés non matures ou techniques. Cela peut passer par la législation (interdiction des sacs de caisse par exemple comme en Italie) ou des incitations économiques. La R&D ne doit pas être oubliée afin de développer de nouvelles fonctionnalités et de nouveaux besoins. Un pas a été franchi dans le cadre des investissements d'avenir. Enfin, il faut organiser les conditions de la transition pour permettre aux acteurs de la plasturgie, nombreux en France, de s'adapter et en visant le tissu de PME.