Les associations de protection des animaux, Aspas, Aves France et One Voice, bataillent depuis de nombreuses années devant les tribunaux pour empêcher la vénerie sous terre (ou déterrage) des blaireaux. Une chasse particulièrement cruelle. « La vénerie sous terre est une pratique de chasse consistant à déterrer des blaireaux à l'aide de chiens pour les situer et les acculer au fond de leur terrier, puis de creuser à l'aide de pioches et de pelles pour accéder aux animaux localisés. Ils sont alors extirpés avec des pinces géantes et mis à mort avec une dague ou une carabine », rappellent les associations.
Ces dernières se sont tournées vers le Conseil d'État pour tenter de faire interdire cette pratique ou, à défaut, de réduire la période d'autorisation. Par une décision du 28 juillet 2023, la plus haute juridiction administrative a rejeté leur requête, à la grande satisfaction de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et de l'Association française des équipages de vénerie (Afevst) qui étaient intervenues à l'instance. Mais les associations de protection des animaux estiment que cette décision pourra permettre de faire annuler plus facilement les périodes complémentaires de vénerie sous terre autorisées par les préfets.
Pas d'effet direct de la convention de Berne dans l'ordre juridique interne
La Conseil d'État a tout d'abord rejeté la demande formée à titre principal par les associations en vue de faire interdire la vénerie sous terre du blaireau et à abroger l'article R. 424-5 du code de l'environnement qui l'encadre. Cet article, relève la décision, a en effet pour seul objet de préciser les périodes d'ouverture de cette chasse et son abrogation ne conduirait pas à l'interdire. Ces périodes de chasse sont fixées du 15 septembre au 15 janvier, puis sur autorisation préfectorale « pour une période complémentaire à partir du 15 mai ».
La Haute juridiction réserve le même sort à la demande formulée à titre subsidiaire par les associations en vue de faire interdire cette possibilité de période complémentaire. Les requérantes avaient notamment fait valoir que l'absence de recherche de solutions alternatives à la chasse préalablement à toute autorisation complémentaire de vénerie méconnaissait l'article 9 de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage. Cet article « ne crée d'obligation qu'entre les États parties à la convention et ne produit pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne », rétorque le Conseil d'État.
« Double légitimation à la pratique »
« Une décision de la plus haute juridiction administrative qui permet de clarifier le cadre réglementaire de la vènerie sous terre », se félicite l'Association française des équipages de vénerie (Afevst). Pour celle-ci, la décision du Conseil d'État apporte une deuxième légitimation de cette pratique après la bénédiction que lui a donnée le Sénat en mars dernier. La Chambre haute a en effet publié un rapport examinant les pétitions de l'Aspas en faveur de l'interdiction du déterrage des blaireaux et du Parti animaliste pour l'abolition de la chasse à courre en France. Rapport dont les conclusions sont allées dans le sens contraire de ce qu'escomptaient les pétitionnaires.
« Le blaireau, dont les populations sont en bonne santé, doit continuer de faire l'objet d'une régulation en raison des importants dégâts qu'il cause aux infrastructures et des risques de développement de la tuberculose bovine », avait conclu le rapporteur Pierre Cuypers, sénateur républicain de Seine-et-Marne et exploitant agricole. Parmi ses propositions figurent le « maintien d'une gestion active des populations de blaireaux par la chasse et la destruction, mais aussi par des méthodes non létales (répulsifs, déplacements) », ainsi que « le passage de un à trois ans des arrêtés préfectoraux autorisant la période complémentaire ».
« À mille lieux des poncifs habituels sur la cruauté supposée de ces deux modes de chasse, le rapport du Sénat a su analyser avec finesse les réelles motivations des chasseurs tout en mettant en exergue les problématiques économiques et sanitaires auxquelles conduiraient leur interdiction », avait salué la Fédération nationale des chasseurs. L'Aspas, de son côté, avait dénoncé un rapport « atterrant ».
Interdiction de tuer les blaireautins
Mais les trois associations requérantes ne tirent pas que des conclusions négatives de la décision du Conseil d'État. « Tout en rejetant le recours des associations aux motifs que l'article contesté n'autorise pas explicitement l'abattage de "petits", il rappelle l'interdiction de tuer des blaireautins. Ce faisant, il bat en brèche l'argumentation des chasseurs, et du ministère de la Transition écologique, consistant à prétendre que cette interdiction ne s'appliquerait pas à la chasse aux blaireaux », expliquent les associations dans un communiqué commun.
« Ensuite, sans se prononcer sur les études scientifiques relatives à la biologie de l'espèce, le Conseil d'État renvoie le débat au niveau local », ajoutent les ONG, qui y voient l'opportunité de multiplier les annulations d'arrêtés préfectoraux par les tribunaux administratifs. « La réalité des dégâts que les préfectures allèguent pour fonder leurs arrêtés n'est jamais démontrée, y compris lorsqu'il s'agit de défendre ces arrêtés devant les juges administratifs (…) Il est également établi que, dans la plupart des départements, jusqu'à 40 % des blaireaux prélevés chaque année sont des petits, non matures sexuellement », expliquent l'Aspas, Aves France et One Voice. Conséquences ? « Sur la base des données scientifiques, les juges administratifs suspendent en masse les périodes complémentaires de vénerie sous terre du blaireau au motif notamment de l'impact sur les blaireautins », se réjouissent les associations.
« Arrêté de prolongation par arrêté de prolongation, (…) les censures par les tribunaux administratifs se font bien moins rares », confirme l'avocat Éric Landot dans un commentaire de la jurisprudence récente. Saisie par l'association One Voice, la juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a ainsi suspendu, le 11 mai dernier, l'exécution de l'arrêté de la préfète de l'Oise qui autorisait le déterrage pendant une période complémentaire de chasse du 15 mai au 14 septembre 2023.
« Les blaireautins, dont la période de naissance s'étend généralement de mi-janvier jusqu'en mars, sont encore en période de sevrage en mai et juin, et parfois au-delà. En outre, leur période de dépendance à leur mère, qui peut perdurer alors qu'ils sont sevrés, peut prendre fin vers l'âge de 6 à 8 mois seulement, soit après l'expiration de période d'ouverture complémentaire de la vénerie sous terre décidée par l'arrêté attaqué », relève la juge. L'exercice de la vénerie sous terre pendant la période complémentaire, ajoute-t-elle, « n'empêche pas l'exercice d'une chasse à l'aveugle au cours de laquelle des petits seront touchés et (…) leurs habitats seront détruits ». Ce qui peut « porter préjudice à des blaireautins n'étant pas encore émancipés et à la population du blaireau, eu égard à la dynamique de reproduction de cette espèce particulièrement lente ».
Si la décision du Conseil d'État a conforté la légalité du déterrage des blaireaux dans son principe, elle offre en revanche un fondement permettant aux tribunaux administratifs d'annuler plus facilement les arrêtés préfectoraux autorisant les périodes complémentaires. Un motif de satisfaction pour les associations qui contrebalance leur déception de n'avoir pu obtenir une interdiction générale.