C'est parce que la Fédération nationale des chasseurs (FNC) était « témoin d'un rejet croissant de la chasse » et d'un détournement fréquent de l'objet des consultations publiques qui deviennent « parfois le théâtre d'actions concertées de la part de réseaux associatifs nationaux », qu'elle avait déposé, en février 2022, un recours visant à réformer le dispositif réglementaire encadrant les consultations publiques sur les projets de textes en matière d'environnement.
À l'appui de ce recours, elle avait également posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement, estimant que le législateur n'avait pas défini les garanties légales suffisantes relatives à la fiabilité des avis exprimés pour assurer l'exigence constitutionnelle du principe de participation prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement. La FNC regrettait tout particulièrement que « les opinions exprimées soient souvent dépourvues de fiabilité, une même personne pouvant par exemple multiplier les pseudonymes et exprimer son avis sans limitation, voire sans modération », relevait le rapporteur public du Conseil d'État, Stéphane Hoynck. Par une décision du 5 mai 2022, le Conseil d'État a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, estimant qu'elle ne présentait pas un caractère sérieux.
« Garantie sur la fiabilité des avis exprimés »
Par une nouvelle décision en date du 27 juillet 2023, la Haute Juridiction administrative rejette la requête de la FNC visant à faire annuler le refus du Premier ministre d'abroger l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement, qui encadre les consultations du public, et d'édicter des dispositions réglementaires supplémentaires « de nature à garantir la fiabilité de la participation du public ».
Le Conseil d'État considère que même dans l'hypothèse où le décret n'apporterait pas de garanties suffisantes pour assurer la fiabilité de la participation, cela ne serait pas de nature à le rendre illégal, « aucune disposition ni aucun principe [n'obligeant le pouvoir réglementaire] à épuiser sa compétence en un seul décret ». Sur le refus d'édicter des dispositions réglementaires supplémentaires, le Conseil d'État rappelle les termes de sa décision du 5 mai 2022 portant sur la QPC.
Quant à l'absence de mesures tendant à prévenir certains dysfonctionnements comme des usurpations d'identité ou la prise en compte d'observations en doublon, l'édiction de telles mesures « n'est en tout état de cause pas nécessaire au respect des principes d'égalité et d'impartialité, qu'il appartient aux autorités publiques (…) de garantir », juge le Conseil d'État.
Défaillances dans le processus de consultation
Toutefois, si les textes législatifs et réglementaires prévoient de telles garanties, elles ne sont, pour autant, pas toujours mises en œuvre. En témoigne l'expertise menée par la Commission nationale du débat public (CNDP) en 2019 à la demande de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). L'autorité administrative indépendante avait relevé plusieurs défaillances dans le processus de consultation du public : accès à l'information hétérogène et difficile, absence de prise en compte « substantielle » des avis exprimés, biais méthodologiques, absence de publication de la synthèse et de la motivation de la décision, etc.
Dans ses conclusions sur la décision du Conseil d'État du 5 mai 2022, le rapporteur public avait d'ailleurs relevé l'intérêt des interrogations de la Fédération nationale des chasseurs. « Les questions d'effectivité de la participation du public et les risques de dévoiements des consultations du public ne sont pas une question dénuée de pertinence. Mais il nous semble que c'est surtout à l'occasion de contentieux dirigés contre des décisions ayant fait l'objet d'une procédure de participation du public qui aurait vicié la procédure d'adoption qu'un tel débat pourrait avoir lieu », estimait Stéphane Hoynck.
Et il ajoutait : « L'Administration doit être attentive au risque de « contrefaçon d'opinion », que les consultations en ligne peuvent susciter, et ne pas s'en tenir au nombre d'avis rendus dans un sens donné pour forger son appréciation de la position du public sur une question environnementale ». Sauf que les pratiques dénoncées par les uns et par les autres se retrouvent dans les deux camps. La consultation qui s'est tenue entre le 15 juin et le 6 juillet dernier sur le projet d'arrêté sur le classement des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts, qui a recueilli près de 50 000 contributions en trois semaines, vient de nouveau l'illustrer.
Dans la synthèse des observations, publiée cette fois conformément à la réglementation, le ministère de la Transition écologique relève que certains messages défavorables ont été « explicitement écrits pas des adhérents d'associations de protection de la nature, reprenant les principaux arguments soulevés par ces associations ». Mais, de la même façon, il note, du côté des contributions favorables, « des messages-type de participation » proposés par des acteurs cynégétiques. Ce que dénonçait pourtant la Fédération nationale des chasseurs à l'origine des recours.
Compte tenu de l'usage répandu de cette pratique de part et d'autre, et du rapport de force constaté (71 % d'avis défavorables et 29 % d'avis favorables au projet), c'est sans doute davantage la question de la prise en compte par l'Administration de l'opinion majoritaire qui pose question. Le ministère de la Transition écologique a en effet publié le texte début août sans modification, à l'instar de nombreux autres textes antérieurs et au grand dam des associations de protection de la nature. C'est d'ailleurs ce défaut de prise en compte qui avait motivé la saisine de la CNDP par la Ligue pour la protection des oiseaux en décembre 2018.