Le crime d'écocide ne figurera pas dans notre code pénal. L'Assemblée nationale a rejeté, jeudi 12 décembre, la proposition de loi du député Christophe Bouillon et de ses collègues socialistes visant à faire reconnaître ce crime. Ce texte « est d'abord le fruit d'une formidable mobilisation de juristes, de scientifiques, de militants de la cause environnementale qui, partout dans le monde, travaillent à faire de la reconnaissance de l'écocide l'une des grandes causes du XXIe siècle. Il est ensuite le produit de la maturation intellectuelle d'un concept débattu depuis quarante ans et qui prend ses racines dans la guerre du Vietnam », avait rappelé le député en ouverture des débats.
Que prévoyait ce texte ? Il définissait l'écocide comme « toute action concertée et délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ». Cette infraction aurait été punie de vingt ans de réclusion criminelle et d'une amende pouvant atteindre 10 millions d'euros, ou 20 % du chiffre d'affaires dans le cas d'une entreprise.
« Polluer coûte moins cher que de ne pas le faire »
« Une forme d'impunité pénale s'est installée, a expliqué Christophe Bouillon. Polluer ou détruire délibérément notre environnement coûte moins cher que de ne pas le faire. Entendons-nous bien, ce qui nous intéresse, c'est le hors-norme, l'exceptionnel, ce qui détruit massivement nos écosystèmes. Or rien ne condamne cela, tout du moins pénalement ».
Deux jours avant la discussion du texte, un collectif de responsables politiques et d'intellectuels avait publié une tribune dans le journal Libération demandant de reconnaître l'écocide « au même rang que les crimes contre l'humanité ». « Après avoir pollué plus de 400 km du littoral français et déversé des milliers de tonnes de fioul dans l'océan à la suite du naufrage de l'Erika en 1999, quelle fut l'amende infligée à Total ? 375 000 euros », rappellent les signataires. « Le président de la République lui-même a qualifié d'écocide les incendies qui se sont propagés en Amazonie en septembre dernier », ajoutaient les auteurs.
« Je comprends qu'aux termes de la théorie des jeux, la France puisse avoir peur d'adopter un outil qui criminaliserait ses entreprises sans que les autres pays la suivent dans cette voie, a expliqué le député Paul-André Colombani (Libertés et territoires). C'est un paradoxe connu de la théorie des jeux : à quel point est-il rentable de faire le premier pas ? Néanmoins, quand nous sommes en train de vivre la sixième extinction de masse et que les scénarios les plus noirs du Giec se confirment, ce paradoxe perd de son intérêt. Pour qu'il y ait théorie des jeux, encore faut-il qu'il y ait jeu. Or, à ce rythme, la partie sera bientôt finie ».
« On se fait plaisir en ajoutant un texte symbolique »
Les signataires de la proposition de loi ne sont toutefois pas arrivés à convaincre une majorité. Il faut dire que le Gouvernement ne l'a pas soutenue. Comme l'avait fait la secrétaire d'État à l'écologie, Brune Poirson, lors du rejet d'une première proposition de loi sur le même sujet en mai dernier, la garde des Sceaux a opposé des arguments attachés aux difficultés juridiques liées à une telle incrimination et à l'arsenal législatif existant. Sur le premier point, Nicole Belloubet a égrainé les critiques : inconstitutionnalité de la disposition, nécessité d'un corpus juridique international préalable, problème de compétence des juridictions, etc.
« Je ne partage pas l'idée que notre droit pénal serait lacunaire ou que les sanctions prononcées seraient dérisoires », a enchaîné Mme Belloubet. Pour la ministre de la Justice, l'arsenal législatif, avec les incriminations existantes de terrorisme écologique ou d'atteintes à l'environnement en bande organisée, permet déjà de réprimer les atteintes d'ordre exceptionnel à l'environnement. La ministre a également mis en avant les textes permettant de réprimer les rejets polluants en mer, les atteintes au patrimoine naturel ou à la conservation des espèces. « C'est donc moins le fond de notre droit pénal qu'il faut faire évoluer que notre capacité à le faire appliquer », a conclu la garde des Sceaux.
Un constat partagé par l'avocat Arnaud Gossement. « Le droit de l'environnement a-t-il vraiment besoin de lois symboliques, de bons sentiments ou de moyens humains et matériels concrets pour faire appliquer les lois déjà existantes ? », interroge le spécialiste du droit de l'environnement. La formulation très restrictive qui était proposée impose « un camion de preuves très délicates pour obtenir une condamnation pour écocide », explique le juriste. « On se fait plaisir en ajoutant un texte symbolique à d'autres textes symboliques », cingle l'avocat.
« Un positionnement à contre-courant de l'évolution du droit »
Avec ces éléments, Mme Belloubet lève le voile sur les conclusions du rapport qu'elle a commandé avec le ministre de la Transition écologique en vue de renforcer l'effectivité du droit de l'environnement. « Le rapport vient de nous être remis et il comporte d'intéressantes pistes de réflexions. Elles donneront lieu au début de l'année 2020 à des propositions concrètes du Gouvernement », a promis la ministre de la Justice.
Cette fin de non-recevoir pour la reconnaissance du crime d'écocide a toutefois douché les espoirs des écologistes. Les associations Nature Rights, Notre Affaire à tous et Wild Legal dénoncent un positionnement de la ministre « à contre-courant de l'évolution du droit pourtant attendue et réclamée par la société civile ». « Le projet de convention pour l'écocide qui va être soutenu par le Gouvernement au sein de l'ONU mettra des décennies à voir le jour, déplore la juriste Valérie Cabanes pour Notre Affaire à tous, alors que les États du Pacifique demandent dès à présent sa reconnaissance dans l'arsenal pénal international au sein de la Cour pénale internationale ».