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Changement climatique : l'hydrodiplomatie comme outil de paix

L'édition 2024 du rapport mondial des Nations unies se penche sur les liens entre la prospérité, la paix et l'eau. Dans un contexte de changement climatique, les outils de l'hydrodiplomatie devront être affutés pour réduire les tensions.

Eau  |    |  D. Laperche
Changement climatique : l'hydrodiplomatie comme outil de paix

« L'eau pour la prospérité et la paix (1) ». Le thème retenu cette année pour le rapport mondial des Nations unies s'inscrit dans le contexte particulier du changement climatique, et des perturbations associées du cycle de l'eau. « D'un côté, les risques d'inondations et de submersions sont de plus en plus fréquents. À l'autre extrême, la moitié de la population mondiale est confrontée à de graves pénuries d'eau et, entre 2002 et 2021, les sécheresses ont touché plus de 1,4 milliard de personnes, entraînant la mort de près de 21 000 femmes et hommes », rappelle Audrey Azoulay, directrice générale de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco).

Concernant la demande en eau potable, les données montrent qu'elle continue de croître de près de 1 % par an dans une grande partie du monde, et qu'elle s'est stabilisée dans les pays d'Amérique du Nord et d'Europe depuis les années 1980. Mais en réalité, ces chiffres masquent les flux liés aux échanges commerciaux internationaux. « Si l'on tient également compte de l'eau utilisée pour la production de biens importés (eau virtuelle), cette stabilisation de l'utilisation de l'eau n'est en fait qu'une illusion, explique dans son rapport l'Unesco. Il arrive, en effet, que des économies matures externalisent des processus de production nécessitant de grandes quantités d'eau vers des pays en développement. »  Et aggravent les pénuries d'eau dans ces pays exportateurs.

Si l'eau est vitale, indispensable au bon fonctionnement des milieux dont les zones humides, elle est aussi nécessaire à un large pan du secteur économique à travers l'agriculture et l'élevage, l'industrie, mais également le monde de l'énergie. « Dans les pays à revenu élevé, environ 50 % des emplois dépendent de l'eau - un nombre qui s'élève à près de 80 % dans les pays aux revenus les plus bas, indique Richard Connor, auteur principal du rapport et expert de l'Unesco dans le domaine de l'eau.

153 pays partagent des ressources en eau

Cette dépendance économique est source de tensions (2) en cas de réduction de la disponibilité de la ressource hydrique, sur un plan très local mais également entre pays pour les ressources à cheval entre plusieurs territoires. Dans la plupart des cas, les nappes, les cours d'eau ou les lacs débordent des frontières administratives. Ainsi, 153 pays sur les 195 partagent des ressources.

Les acteurs économiques, une composante clef de l'équation

« L'activité minière au Chili et en Bolivie met en danger les Indiens Mapuches au nord de l'Argentine en contribuant à une pollution irrémédiable de la nappe phréatique et à l'aridité d'une zone qui compte déjà parmi les plus sèches et les plus complexes du monde sans que les externalités négatives ne soient jamais répercutées à la source, pointe Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et territoires. Aujourd'hui, l'exercice du devoir de vigilance reste balbutiant, et on apprend tout juste à mieux utiliser des outils de calculs comme l'empreinte eau pour évaluer l'impact des entreprises sur la ressource. »
Ce poids des activités économiques sur la ressource est également dénoncé dans un rapport d'Oxfam France la soif du profit«  ». L'association regrette l'exploitation de cette ressource par des industriels dans des pays confrontés à de fortes pénuries. Elle prend notamment pour exemple l'Éthiopie qui, entre 2021 et 2022, a exporté pour 4,1 milliards de dollars de marchandises très consommatrices d'eau (café, huiles, légumes, viande et fleurs). La moitié de ces exportations étaient destinées à l'Europe (41 %) et aux États-Unis (9 %).
« L'Europe a un rôle majeur à jouer pour limiter cette crise mondiale de l'eau annoncée, que ce soit en réduisant drastiquement sa consommation et sa production d'agrocarburants, en régulant beaucoup plus strictement les impacts sociaux et environnementaux des multinationales sur toute leur chaîne de valeur, ou encore en accroissant significativement ses financements pour favoriser l'accès à l'eau des populations les plus vulnérables à travers le monde », a indiqué Oxfam.
Celles-ci représentent 60 % des flux d'eau douce dans le monde avec, dans certains cas, un dialogue difficile pour leur partage. C'est le cas du Nil bleu, qui prend sa source dans le lac Tana, sur les hauts plateaux abyssins en Éthiopie. Ce fleuve est à la fois stratégique pour l'Égypte - le Nil bleu fournit 86 % du débit du Nil en aval -, le Soudan, mais également pour l'Éthiopie, qui est confrontée à un manque d'accès à l'eau. Et pour qui – selon des accords historiques –, les prélèvements dans le Nil bleu sont limités.

« L'Éthiopie a pris la décision de construire un barrage dont la première pierre a été posée en avril 2011, explique Franck Galland, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. Le barrage Renaissance entre désormais en exploitation, mais il n'y a toujours pas d'accords sur son édification avec les pays de l'aval : Égypte et SoudanL'Union africaine a tenté sans succès des médiations tout comme les États-Unis, la Russie et des pays de L'UE dont la France. Je pense que la solution pourrait venir de la Chine, si elle s'implique pour permettre une gestion concertée des ouvrages sur le Nil. »

Ces accords pourraient prévoir par exemple, en cas de sécheresse, de s'entendre sur des lâchers d'eau pour mieux alimenter et ne pas pénaliser l'aval. « Pour l'instant, l'Égypte refuse de se mettre à la table des négociations, constate Christophe Brachet, adjoint au directeur général de l'Office international de l'eau (OiEau), conseiller au Réseau international des organismes de bassin (RIOB). Avec des partenaires techniques, nous avons essayé de proposer sans succès des outils pour dialoguer à nouveau avec l'Éthiopie, sur le temps de remplissage du barrage. Car les conséquences ne sont pas les mêmes selon la période : en trois à quatre ans ou en six à sept ans. »

Fleuve Sénégal, un exemple de gestion concertée

Dans d'autres cas en revanche, le dialogue débouche sur des situations de partage et de gestion concertée, comme le montre la gestion du fleuve Sénégal, par un dispositif spécial. « Certains, dont l'écrivain Erik Orsenna, ont proposé à juste titre que l'Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) soit nommée comme prix Nobel de la paix, ce serait un beau symbole », estime Franck Galland. Sous l'impulsion des chefs d'État du Mali, de la Mauritanie, de la Guinée Conakry et du Sénégal, l'OMVS a été créée en 1972 avec l'objectif de promouvoir la gestion conjointe des ressources en eau partagées entre ces États.

« Ces quatre pays ont décidé de s'unir et de construire ensemble les cinq barrages qui existent aujourd'hui, précise Christophe Brachet. Ces ouvrages sont des propriétés communes et indivisibles des quatre pays. Ils permettent de partager l'eau et l'électricité. »

Un exemple de coopération à saluer, mais qui reste pour l'instant un cas isolé. « Sur les 153 pays partageant des eaux transfrontalières, seuls 32 ont conclu des accords de coopération pour au moins 90 % de la superficie de leurs bassins transfrontaliers, note le rapport de l'Unesco. Qui plus est, il existe très peu d'accords spécifiques aux aquifères. »

Un certain nombre d'institutions, les Nations unies, la Commission économique européenne des Nations unies (CEE-Onu), le Réseau international des organismes de bassin, et des conventions internationales essayent pourtant de faciliter les rapprochements. Par ailleurs, en 2015, une initiative, « le Panel mondial de haut niveau sur l'eau et la paix », a été lancée et a travaillé jusqu'en 2017 à l'élaboration de recommandations.  « C'était une initiative diplomatique suisse, avec 15 états signataires, (3) dont la France, indique Franck Galland, qui représentait le Ministère français des affaires étrangères dans le panel. Notre rapport (4) mettait clairement en perspective la problématique que pose aujourd'hui la raréfaction des ressources en eau pour la paix et la sécurité dans certaines régions du monde. »

Une hydrodiplomatie à développer

Parmi les propositions du Panel figure la création d'un Observatoire mondial pour l'eau et la paix (Omep) comme instrument d'hydrodiplomatie. Ce dernier sera finalement concrétisé en 2019. Dans son premier bilan (5) annuel publié en 2022, l'Omep lance des pistes d'évolution pour le futur. « Les organismes de bassins versants sont l'un des piliers de la gouvernance mondiale de l'eau, note-t-il. Bien que les RBOs aient permis de progresser, notamment dans le domaine de la coopération autour des bassins transfrontières, de nouveaux défis se présentent à eux. Ils sont liés à la détérioration de l'environnement, au renouvellement de la classe politique, au changement de régime politique dans certains pays, à la complexité des processus participatifs et aux nouvelles contraintes géopolitiques. »

Parmi les principales pistes de réflexions à lancer, selon l'observatoire : la numérisation à travers des portails de données ainsi que la connexion des bases de données nationales et régionales. L'objectif ? Améliorer le diagnostic des conflits entre les États riverains, mais aussi développer la confiance mutuelle. Second axe : le renforcement de la gouvernance des eaux souterraines et leur connexion avec les eaux superficielles. Et enfin, un soutien aux processus participatifs et l'intégration des préoccupations soulevées sur le plan local dans la planification stratégique.

1. Télécharger L'Eau pour la prospérité et la paix
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43715-eau-paix-prosperite-unesco.pdf
2. Lire Retenues, le stockage d'eau en question<br /><br />
https://www.actu-environnement.com/dossier-actu/retenues-eau-secheresse-nappes-agriculteurs-associations-environnementales-scientifiques-98
3. Le Cambodge, la Colombie, le Costa Rica, l'Espagne, l'Estonie, la France, le Ghana, la Hongrie, la Jordanie, le Kazakhstan, le Maroc, Oman, le Sénégal, la Slovénie et la Suisse. 4. Télécharger Une question de survie du Panel mondial de haut niveau sur l'eau et la paix
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43715-question-survie-panel-mondial-haut-niveau-eau-paix.pdf
5. Télécharger le premier rapport annuel de l'Observatoire pour l'eau et la paix
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43715-premier-rapport-annuel-observatoire-mondiale-pour-eau-paix.pdf

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