Le jugement très attendu de l'affaire « Justice pour le vivant » a été rendu
Les ONG lui reprochaient plusieurs manquements : une carence dans le processus d'évaluation des produits phytopharmaceutiques (PPP) avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM) ; le non-respect de la trajectoire de réduction de l'utilisation des PPP (prévue dans les plans Écophyto) ; un manquement à l'obligation de protection des eaux souterraines et de surface. Elles soutenaient l'existence d'un préjudice écologique résultant de ces manquements et ont demandé que l'État prenne les mesures nécessaires à sa réparation.
La reconnaissance « historique » du préjudice écologique résultant des pesticides
Le premier enjeu pour les ONG était la reconnaissance par le juge administratif d'un préjudice écologique lié à la contamination des sols, des eaux et de l'air par les pesticides. Avec peu de difficultés, le tribunal administratif, sur le fondement des études scientifiques fournies par les associations, a jugé qu'en l'absence « de toute contestation du ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire sur ce point, le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes, résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, [devait être] regardé comme établi ».
Des fautes de l'État partiellement reconnues par le juge
« (…) Il n'est pas contesté que l'objectif initial de diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques de 50 % en dix ans, reporté en 2016 à l'échéance 2025 et confirmé en avril 2019, assorti d'un objectif intermédiaire de - 25 % en 2020, n'est pas en situation d'être atteint », a observé le juge, qui a donc reconnu que, dans ces conditions, les associations étaient fondées à reprocher à l'État le non-respect de la trajectoire de réduction de l'utilisation des pesticides prévue dans les plans Écophyto.
Toutefois, il n'a pas suivi les associations en ce qui concerne les fautes relatives aux procédures de suivi et de surveillance des effets des PPP autorisés, du défaut d'indépendance des missions d'évaluation et d'autorisation reproché à l'Anses ou encore de la violation de l'interdiction de mise sur le marché de produits présentant un risque de dommage grave et irréversible à l'environnement.
La reconnaissance d'un lien de causalité entre les fautes de l'État et le préjudice écologique
Encore fallait-il établir un lien de causalité entre les carences de l'État et le préjudice écologique. Sur ce point, le juge reconnaît qu'en « dépit de ce que le déclin de la biodiversité est multicausal, le préjudice écologique (…) n'aurait pas revêtu son ampleur actuelle sans la carence de l'État à respecter ses objectifs en matière de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques ». Il établit ainsi un lien de causalité direct et certain entre la carence de l'État et le préjudice.
Par conséquent, le juge a enjoint le Gouvernement à « prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l'aggravation des dommages ». Il prescrit notamment de rétablir la cohérence du rythme de diminution de l'utilisation des PPP et de restaurer et protéger les eaux souterraines. « La réparation du préjudice devra être effective au 30 juin 2024, au plus tard », conclut-il.
Les associations prévoient de faire appel
« Après des décennies d'inaction, l'État est enfin reconnu coupable de l'effondrement de la biodiversité par son incapacité à mettre en œuvre une évaluation des risques des pesticides réellement protectrice du vivant », commentent les associations. « C'est une décision historique car la biodiversité, notamment ordinaire, reçoit ici une consécration protectrice, et je pense aux vers de terre cités dans la décision : c'est une première en droit français », réagit Dorian Guinard, de l'association Biodiversité sous nos pieds.
Mais les associations relèvent que le juge n'a pas ordonné à l'État de revoir les méthodes d'évaluation des risques, ce que préconisait pourtant la rapporteure publique dans ses conclusions. La bataille judiciaire se poursuit donc, les ONG ayant prévu de faire appel.