Ce sujet revient régulièrement dans l'actualité, à coup d'images chocs diffusées par les opposants à ces pratiques qui sont loin d'être anecdotiques : chaque année, en Europe, 12 millions d'animaux sont utilisés à des fins expérimentales, 2,3 millions en France (contre 7 millions en 1980). Aux Etats-Unis, ce sont 22 à 25 millions d'animaux qui sont sacrifiés pour la recherche…
80 % des tests sont réalisés dans le domaine de la santé humaine. La raison ? Les animaux utilisés présentent 80 à 85 % d'homologie génétique avec l'homme. En Europe, la plupart des animaux sacrifiés sont des rongeurs (77,5 %), essentiellement des souris. Les autres espèces, comme les chiens, les chats ou les singes (12.000 primates par an en Europe), sont employés dans une moindre mesure.
Bien-être animal versus bien être humain ?
Cruauté, dénoncent les opposants à l'expérimentation animale. Mal nécessaire, répondent les scientifiques. Le sujet est sensible et révélateur des contradictions propres aux sociétés modernes. Car, dans une société où le risque est omniprésent (perturbateurs endocriniens, ondes électromagnétiques, cocktails de produits toxiques, faible dose…) et où le citoyen demande de plus en plus de sûreté et de protection, comment concilier avancée des connaissances et limitation des tests sur animaux ?
L'entrée en vigueur en 2007 du règlement européen Reach (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques) souligne ces contradictions. L'objectif ? Combler le déficit de connaissances sur les substances chimiques présentes dans notre quotidien. Ainsi, ce sont plusieurs milliers de substances qui devront être évaluées d'ici 2020, pour certaines desquelles, seuls les tests sur animaux existent aujourd'hui. Pour éviter la multiplication des tests sur animaux (de 16 à 38 millions d'animaux estimés), l'industriel doit démontrer que l'essai sur animal est nécessaire. La mise en place de consortiums pour chaque substance devrait également réduire le nombre de tests.
Comme cet exemple le prouve, pour l'instant, les politiques ont choisi la voie de la rationalisation : oui à l'expérimentation animale, en dernier recours, lorsque les méthodes alternatives n'existent pas.
L'UE prend la voie de la réduction
Le 7 avril dernier, le Parlement et le Conseil européens ont conclu un accord fixant les principes d'une future loi sur l'expérimentation animale. Si elle est adoptée, cette loi devrait permettre de réduire le nombre d'animaux utilisés à des fins scientifiques.
C'était déjà l'objectif de la directive européenne de 1986, transposée en droit français en 2001. Le texte introduisait alors le principe des 3 R, pour réduction, remplacement, raffinement. Il s'agit de rationaliser les protocoles de recherche afin de limiter le nombre d'animaux utiles pour chaque test et d'utiliser le plus possible l'imagerie et la modélisation pour éviter les sacrifices. Le texte incite également les chercheurs à remplacer les animaux utilisés (primates, chiens, chats, lapins) par des espèces dites ''inférieures''. Un choix éthique discutable, car anthropocentré : ces espèces inférieures ne le sont qu'au regard de l'homme. Le dernier R, pour raffinement, vise à respecter la dignité des animaux lors des tests, à limiter la douleur via le recours à l'anesthésie et à respecter les conditions de vie des espèces. Enfin, l'utilisation d'animaux ne peut être réalisée que pour les expériences ayant pour but de faire avancer la recherche sur l'homme, les animaux et les maladies (cancers, scléroses multiples, maladie d'Alzheimer…).
Pour aller plus loin, l'Union européenne a interdit, à partir de septembre 2009, les tests sur animaux pour les produits cosmétiques, à l'exception des tests de toxicité de longue durée qui seront bannis en 2013.
Le nouveau projet de loi européen, qui devrait être étudié en commission parlementaire début mai, aborde quant à lui la question des méthodes alternatives, notamment in vitro. Un enjeu de taille : l'interdiction pure et simple des tests sur animaux en UE, sans développement de méthodes alternatives, accentuerait le phénomène de délocalisation des tests. ''L'éthique n'est pas universelle dans l'espace et dans le temps. Alors que l'Europe tend vers l'utilisation des tests sur animaux en dernier recours, aux Etats-Unis, la santé humaine prime sur le bien-être animal. En Asie, le sujet provoque encore moins d'états d'âme. D'ailleurs, les laboratoires asiatiques proposent de plus en plus aux industriels européens d'effectuer les tests chez eux'' note Jean-Louis Touraine.
Le Brésil, la Chine et l'Inde pourraient ainsi devenir les laboratoires du monde. ''Comme cela a été le cas pour les tests sur les hommes il n'y a pas si longtemps, il y a une tendance à faire effectuer les tests qui ne répondent pas à l'éthique européenne et américaine ailleurs. Il faut développer les méthodes de substitution et les faire adopter sur les autres continents''.
Le chemin à parcourir est encore long
Seulement, la lenteur de validation des méthodes alternatives en Europe freine leur développement. Depuis sa création en 1991, le Centre européen de validation des méthodes alternatives (Ecvam) n'a validé qu'une trentaine de méthodes. Selon le rapport de l'Opecst, la certification d'un test de remplacement peut aujourd'hui prendre plusieurs années…
En 2007, la France a donc créé une plate-forme de développement des méthodes alternatives en expérimentation animale, sous forme d'un Groupement d'intérêt scientifique (GIS) réunissant pouvoirs publics, associations, instituts académiques et industriels. L'idée ? Engager les développements scientifiques nécessaires, faire évoluer les procédures, favoriser les échanges entre les différents acteurs, et remettre en question les habitudes. ''Il y a un gros gâchis dans l'utilisation des animaux aujourd'hui, on pourrait accroître les connaissances acquises lors de chaque test et employer ainsi moins d'animaux, note Philippe Hubert, directeur des risques chroniques à l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) et directeur du GIS. Il ne faut pas oublier que l'expérimentation animale n'est qu'une partie dans la compréhension des mécanismes : nous devons aller vers des données maximales, réaliser des essais beaucoup plus sophistiqués. Il faut organiser la circulation de données. Il y a une nécessité d'orchestrer, d'harmoniser et de piloter cette réflexion, de valoriser et de disséminer les méthodes''.
Les organes artificiels ou reconstruits, ''domaine de développement extrêmement prometteur'', sont pour l'instant limités à quelques champs de la science. Ils pourraient pourtant être davantage utilisés dans le cadre de la santé humaine ou animale. ''Il faut également améliorer la toxicologie prédictive''. Les tests in vitro, les cultures cellulaires… tendent également à être développées aujourd'hui.