
Aurélien Brulé : L'association Kalaweit reçoit à Bornéo et Sumatra en Indonésie, des gibbons victimes du trafic de l'homme pour leur donner une chance de pouvoir un jour repartir dans la forêt. Cela fait maintenant 10 ans que je suis en Indonésie pour mener à bien ce projet.
À la base, il s'agissait simplement de récupérer ces animaux confisqués par les autorités ou qui nous étaient donnés directement par les populations, pour ensuite les réhabiliter et les relâcher. Mais au fil du temps, notre projet de « sanctuaire pour gibbons » s'est élargi pour devenir un véritable projet de conservation. Nous avons désormais plus de trois cent gibbons. Nous possédons également une radio, une cinquantaine d'employés autour du projet et environ mille familles partenaires de Kalaweit à qui nous offrons des aides pédagogiques et médicales soit parce qu'elles protègent la forêt, soit parce qu'elles nous aident à recevoir des animaux.
Grâce à Kalaweit, nous avons également réussi à créer des « micro-projets » de réserves afin de protéger la forêt et les animaux qu'elle abrite : trois mille hectares à droite, mille hectares à gauche…vraiment, je préfère dire que nous sauvons les meubles car cela n'est plus du tout à l'échelle de ce que l'on pouvait faire il y a quelques années, lorsqu'il s'agissait de protéger des centaines de milliers d'hectares. À l'heure actuelle, si nous voulons faire quelque chose de réaliste, il faut vraiment faire petit mais concret.
AE : Quelles difficultés rencontrez-vous au quotidien dans votre combat pour la sauvegarde des gibbons et de leur habitat ?
AB : Notre principal challenge, c'est la déforestation. Les compagnies produisant de l'huile de palme sont en train de défricher toute la forêt. Comme les animaux n'ont plus d'habitat, ils se retrouvent de plus en plus au contact des hommes. Les gens les attrapent et en font des animaux de compagnie. Le problème va en s'aggravant et en s'accélérant.
Auparavant nous étions confronté à une déforestation sélective. Après leur passage, les compagnies forestières laissaient une forêt, même dégradée. Les animaux pouvaient donc y subsister. Mais aujourd'hui, une fois que les compagnies qui produisent de l'huile de palme sont installées il ne reste plus un seul arbre. C'est une course-poursuite au quotidien pour tenter de sauver ce qu'il reste.
AE : Vous arrive-t-il de recevoir des menaces de la part des compagnies ?
AB : L'industrie de l'huile de palme est une corporation dont on doit se méfier au jour le jour. L'Etat indonésien cautionne bien évidemment ce marché très alléchant. Tout est donc fait pour que ces plantations puissent se développer le plus vite possible sur les terres vierges de Bornéo.
Depuis 1998 il y a également une autonomie des provinces, ce qui signifie que chacune d'entres elles doit essayer de trouver ses propres sources de revenus. Pour une province comme Bornéo, il n'y a donc pas d'autres choix que d'utiliser le bois et l'huile de palme comme sources de revenus pour la région. C'est pour cette raison que les gouvernements provinciaux accueillent à bras ouverts les compagnies qui produisent l'huile de palme dont la plupart ne sont d'ailleurs pas indonésiennes mais étrangères.
Avec vingt-cinq à quarante mille auditeurs qui écoutent quotidiennement notre radio, nous avons fait le choix de nous exposer depuis longtemps. Nous y diffusons des messages afin de sensibiliser les auditeurs quant à la cession des terres aux compagnies.
AE : Vous vous apprêtez à mener une expédition d'un mois dans une zone encore totalement vierge. Quelle est la particularité de ce lieu ?
AB : Le lieu sélectionné se trouve dans la chaîne de montagnes Muller qui peut atteindre les 1700 mètres d'altitude. La zone se situe au centre de Bornéo et plus précisément encore, au nord de la province centrale de Kalimantan.
Mon objectif est d'y être largué en hélicoptère le plus haut possible, car plus on monte en altitude, moins l'écosystème est connu. Je connaîtrais réellement le site de l'expédition le jour même de mon arrivée, puisque nous aurons quarante minutes de carburant une fois arrivés sur la zone pour trouver un endroit où l'hélico' pourra me déposer.
Si d'autres parties de la chaîne de montagnes Muller ont déjà été explorées, la zone où je me rends est encore quasiment vierge. Il n'y a pas de rivières assez importantes, donc navigables pour pouvoir s'y rendre. De plus, la zone est très éloignée des principales villes de la province et le relief y est très accidenté. Toutes ces difficultés en font une zone encore ignorée des compagnies forestières. Il reste donc beaucoup à découvrir dans ce lieu, comme des grottes, des rhinocéros et peut-être, des groupes de la tribu Dayak Punan.
AE : En quoi cette mission peut-elle avoir un impact sur la préservation de la forêt ?
AB : En plus d'être un défi personnel le but de l'expédition est d'attirer l'attention sur la forêt. J'aurai avec moi, deux caméras et du matériel pour pouvoir filmer la zone. Dans un premier temps, l'objectif est donc de faire prendre conscience que « oui la situation est catastrophique, oui on perd 2 millions d'hectares de forêt tous les ans mais il reste encore des terres vierges à protéger ».
Après l'expédition, nous espérons recevoir les aides de personnes qui croient en nos projets mais aussi le soutien nécessaire pour créer de nouveaux micro-projets de réserves. Le pari a long terme est que nous puissions arriver à créer des réserves qui certes, ne sont pas énormes mais qui sont réellement protégées sur le terrain. Si partir seul, sans moyens et sans contacts avec l'extérieur pendant un mois dans la forêt peut attirer l'attention afin de réaliser ces projets, alors le pari sera gagné.
Bien qu'il ne soit plus à l'échelle de ce que nous pouvions imaginer dans le passé où toute l'île de Bornéo était vierge, l'avenir, c'est de protéger le peu de zones qui le sont encore. C'est le combat à mener !
Passionné par les gibbons, Aurélien Brulé est parti à leur rencontre à 18 ans en Indonésie. Mais une fois sur place à Bornéo, il a constaté la réalité de la déforestation et de la destruction de l'espèce, dont les individus étaient capturés, vendus et tués. Pour tenter d'y faire face, le jeune homme a monté le programme Kalaweit désormais devenu le plus grand programme de réhabilitation de gibbons au monde.
Les initiatives locales et concrètes tentent non seulement d'enrayer l'extinction de l'espèce, mais également de limiter la déforestation. Car outre la perte de biodiversité, la déforestation est communément considérée comme l'une des causes du réchauffement climatique. En effet, les forêts – tropicales et autres – absorbent le CO2, atténuant ainsi les effets des émissions sur le climat.