Le Gouvernement a choisi de rendre public l'avis (1) que le Conseil d'Etat a rendu le 1er septembre sur le projet de loi visant à mettre fin à la production d'hydrocarbures en France que Nicolas Hulot a présenté mercredi 6 septembre en conseil des ministres. Sans doute pour expliquer l'origine des modifications apportées au texte examiné par le Conseil national de la transition écologique (CNTE) le 23 août dernier et qui ont abouti au dépôt d'une version amendée (2) à l'Assemblée nationale. Ces modifications préservent davantage de droits pour les pétroliers par rapport à ce que le ministre envisageait initialement.
Intérêt général pas suffisant
Dans son avis, la Haute juridiction administrative a constaté que le projet de loi initial ménageait les situations légalement acquises des titulaires de permis exclusifs de recherche. C'est le cas du droit d'obtenir la prolongation de son permis conformément à l'article L. 142-1 du code minier (3) qui prévoit que la validité d'un permis "peut être prolongée à deux reprises, chaque fois de cinq ans au plus, sans nouvelle mise en concurrence". Le Conseil d'Etat a approuvé également le maintien du droit du titulaire d'un permis d'obtenir une concession sur les gisements exploitables découverts à l'intérieur du périmètre de ce permis. Ce fameux "droit de suite" est prévu par l'article L. 132-6 du code minier (4) .
Mais les conseillers du Palais Royal ont aussi estimé que le projet de loi ne garantissait pas suffisamment l'ensemble des droits prévus par le code minier. Il a en conséquence demandé au Gouvernement, qui l'a suivi bien qu'il ne soit pas tenu de le faire, de faire bénéficier les titulaires de permis exclusifs de recherche de l'article L. 142-2 (5) qui prévoit que "en cas de circonstances exceptionnelles", la durée de validité d'un permis de recherche peut être "prolongée de trois ans au plus, sans réduction de surface".
Mais, surtout, les auteurs de l'avis ont estimé que l'impossibilité pour le titulaire d'une concession en cours d'obtenir sa prolongation présentait des risques d'atteintes à la garantie des droits des opérateurs ainsi qu'au droit de propriété. C'est la raison pour laquelle ils ont introduit dans le projet de loi une disposition permettant au titulaire d'une concession en cours de validité d'en obtenir la prolongation, assortie toutefois d'une échéance à 2040 conforme au plan climat adopté par le Gouvernement.
En effet, expliquent-ils, l'article L. 142-7 du code minier (6) , qui prévoit que la durée d'une concession de mines peut faire l'objet de prolongations successives, chacune d'une durée inférieure ou égale à 25 ans, doit être interprété comme "permettant d'adapter la durée totale d'une concession à la durée correspondant à l'exploitation complète du gisement". En outre, ajoute-t-il, l'intérêt général attaché à l'objectif de limitation du réchauffement climatique n'est "pas suffisant pour justifier l'arrêt immédiat de toutes les exploitations en cours". Outre cette modification immédiate du projet de loi, le Conseil d'Etat préconise d'apporter des amendements ultérieurs portant sur "des mesures transitoires plus substantielles" et l' "application de la réforme dans les régions et collectivités d'outre-mer".
Exit la notion "d'interdiction"
Pour rendre compatible le projet de loi avec la Constitution et les engagements européens de la France, la Haute juridiction administrative a également demandé au Gouvernement de remplacer la notion d' "interdiction" par celle d' "arrêt progressif". Le terme a en effet disparu du titre et du corps du texte déposé à l'Assemblée nationale.
Le Gouvernement n'a en revanche pas totalement suivi le Conseil d'Etat dans sa préconisation de supprimer la distinction entre hydrocarbures "conventionnels" et "non conventionnels", puisque les termes apparaissent encore dans le projet de loi. Pour la juridiction administrative, cette distinction n'a pas de portée réelle dans la mesure où plus aucun nouveau permis de recherche portant sur les hydrocarbures ne pourra être délivré à l'avenir et où les permis en cours ne peuvent porter sur des gisements nécessitant de faire appel à la fracturation hydraulique. Si d'autres techniques nécessitaient une interdiction, l'Etat disposerait des outils nécessaires dans le cadre de la police des mines, estime le Conseil d 'Etat.
Enfin, particulièrement attentionné à l'égard des exploitants d'hydrocarbures, ce dernier incite l'exécutif à prendre des mesures permettant d'accélérer l'instruction du "stock anormalement élevé de demandes" de permis (129 demandes initiales recensées au 1er juillet 2015) et, si besoin, à atténuer les effets de la loi nouvelle via "des mesures transitoires plus substantielles" ou "des possibilités de dérogations".