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La loi Industrie verte poursuit le verdissement en demi-teinte de la commande publique

En consacrant plusieurs dispositions aux enjeux environnementaux de la commande publique, la loi Industrie verte contribue au développement d'un achat public plus responsable, sans toutefois répondre à toutes les attentes.

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Droit de l'Environnement N°329
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La loi Industrie verte poursuit le verdissement en demi-teinte de la commande publique
Mariane Viel
Consultante Achat public, docteure en droit
   

Représentant environ 8 % du PIB, la commande publique joue un rôle majeur dans la transition écologique de la France. La loi relative à l'industrie verte, dite loi Industrie verte, s'inscrit dans une évolution vers son « verdissement », amorcée sous l'impulsion de la Commission européenne (1) . Dans son titre II « Enjeux environnementaux de la commande publique », elle modifie le code de la commande publique afin que l'achat public se présente davantage comme « un débouché fiable et durable à une industrie française et européenne décarbonée » (2) , sans toutefois répondre à toutes les attentes.

I. L'extension de l'obligation d'adopter un Spaser

L'une des mesures phares de la loi Industrie verte est l'extension de l'obligation d'adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser) (3)  : tous les acheteurs publics dont le montant annuel d'achat dépasse 50 millions d'euros y sont désormais soumis, y compris l'État, qui n'était jusqu'alors pas concerné (4) . Cette extension doit être saluée, car les Spaser sont des outils puissants de mise en œuvre de la politique publique de l'achat durable ; en effet, leur élaboration et leur mise en œuvre nécessitent une cohérence entre les stratégies d'achat public durable et les stratégies RSE des opérateurs économiques, et le dialogue continu qu'ils impliquent entre acteurs publics et privés améliore la performance de l'achat tout en favorisant l'innovation.

II. Une possibilité d'élaborer un Spaser conjoint

La loi Industrie verte introduit également une possibilité d'élaborer conjointement un Spaser pour les acheteurs atteignant ou non le montant annuel de 50 millions d'euros d'achats (5) . Cette mesure n'apporte pas d'avancée majeure au droit positif, en l'absence de dispositif contraignant. Rien n'empêchait jusqu'ici les acheteurs non soumis à l'obligation d'élaborer un Spaser de le faire, seul ou en commun avec d'autres acheteurs (6) . Cette nouveauté, symbolique, souligne toutefois l'importance d'une implication collective et massive des acheteurs dans le verdissement de la commande publique.

III. Des objectifs du Spaser précisés

L'article L. 2111-3, alinéa 2 modifié du code de la commande publique dispose que les Spaser définissent les objectifs de la politique d'achat « de biens et de services » des acheteurs, alors que jusqu'ici, ils ne se limitaient à aucune famille d'achat : la loi Industrie verte a-t-elle voulu exclure des Spaser les achats de travaux, qui ont pourtant des conséquences économiques, sociales et environnementales significatives ? Cette interprétation ne doit pas être retenue, car elle irait à l'encontre de l'esprit du code de la commande publique selon lequel « [l]a commande publique participe à l'atteinte des objectifs de développement durable (…) » (art. L3-1).

La loi Industrie verte précise également que les éléments à caractère écologique, intégrés dans les objectifs de la politique achat, doivent viser « notamment » la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d'énergie, d'eau et de matériaux (7) . De plus, le Spaser doit contribuer à promouvoir, en plus de l'économie circulaire déjà mentionnée dans les dispositions du code, la durabilité des produits et la sobriété numérique (8) .

IV. L'absence de sanction en cas de défaut de Spaser

Dans la continuité des textes précédents, la loi Industrie verte n'a pas prévu de sanction en cas d'absence de Spaser, alors que les enjeux environnementaux et sociaux sont colossaux. De façon générale, elle n'a pas modifié les modalités de suivi de la politique d'achat durable détaillées dans le code de la commande publique (9)  ; l'efficience du suivi repose notamment sur la pression des citoyens, en particulier quand l'acheteur est un élu. Ainsi, les acheteurs doivent publier leur Spaser sur leur site internet « lorsqu'il existe ». Les indicateurs que comprennent les Spaser et qui sont exprimés en nombre de contrats ou en valeur, doivent, quant à eux, être publiés tous les deux ans.

Il est à espérer que malgré l'absence de sanction, les nouveautés qu'apporte la loi Industrie verte provoquent un élan auprès des acheteurs qui ne sont actuellement qu'un tiers à répondre à leur obligation d'élaborer un Spaser.

V. De nouveaux motifs d'exclusion de la commande publique pour les opérateurs peu vertueux

La loi Industrie verte prévoit aussi de nouveaux motifs d'exclusion de la commande publique, qui sont autant de signaux forts envoyés aux opérateurs économiques. Désormais, il est possible d'exclure les opérateurs ne respectant pas leur obligation, énoncée à l'article L. 229-25 du code de l'environnement, d'établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre pour l'année précédant celle du début de la consultation (10) .

Les acheteurs déplorent cependant que cette nouvelle exception ne soit pas accompagnée de la création d'un outil centralisant les données relatives aux exclusions de la commande publique (11) . D'autant plus que l'article 25 de la loi Industrie verte a par ailleurs habilité le Gouvernement à prévoir, par voie d'ordonnance, la possibilité d'exclure un opérateur économique qui n'a pas publié les informations en matière de durabilitécomme le demande la directive CSRD du 14 décembre 2022 - ce qu'il a fait via une ordonnance du 6 décembre 2023.

VI. La possibilité de définir un critère environnemental rappelée par la loi

La loi Industrie verte introduit par ailleurs dans la partie législative du code de la commande publique la possibilité, déjà énoncée dans la partie réglementaire du code, de prévoir un critère environnemental en cas de pluralité de critères (12) . Elle ajoute ainsi une complexité malvenue sur le sujet, critiquée par le Conseil d'État lors de l'examen de son projet (13)  ; en effet, cette disposition, qui n'apporte rien au droit positif, sera automatiquement modifiée le 21 août 2026, du fait de l'entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021 (14) , qui rend obligatoire la définition d'un critère environnemental.

VII. La protection de l'attractivité des entités adjudicatrices

Enfin, la loi Industrie verte assouplit certaines dispositions du code de la commande publique en faveur des entités adjudicatrices qui sont soumises à la concurrence privée et étrangère, afin de préserver leur compétitivité et de leur permettre ainsi de jouer pleinement leur rôle dans la transition écologique (15) .

Elle introduit de nouveau la possibilité, supprimée en 2016, de présenter des offres variables en fonction des lots à attribuer, pour des besoins dont la valeur estimée dépasse un seuil fixé par décret à dix millions d'euros HT (16) . Un soumissionnaire peut ainsi mutualiser ses moyens sur plusieurs lots et présenter une offre économiquement plus avantageuse ; par ailleurs, l'attribution groupée de lots à un même titulaire retire à l'acheteur des frais de coordination.

On peut s'interroger sur la compatibilité de cette mesure avec le principe de libre accès à la commande publique énoncé à l'article L3 du code de la commande publique ; en effet, il sera difficile pour les entreprises de petite taille de présenter des offres combinées et de rester compétitives face à de gros opérateurs économiques (17) . De plus, la loi Industrie verte n'apporte aucune méthode d'analyse des offres variables autre qu'une dérogation à la règle de l'analyse lot par lot (18)  : les entités adjudicatrices devront donc préciser ces modalités, dans leurs règlements de consultation, et notamment comment départager deux offres combinées ne couvrant que partiellement les mêmes lots.

Répond également à l'objectif d'attractivité des consultations des entités adjudicatrices l'ajout, en cas de risque d'infructuosité, d'une dérogation à l'obligation d'allotir leurs procédures (19) et d'une nouvelle possibilité de dépasser la durée maximum de huit ans pour leurs accords-cadres (20) .

Malgré ses faiblesses, la loi Industrie verte contribue à formaliser et systématiser la prise en compte du développement durable dans l'achat public, poursuivant ainsi le mouvement de « verdissement » de la commande publique amorcé depuis les années 2000. Il est à espérer qu'elle ouvrira la voie à un meilleur accompagnement des acheteurs publics dans l'application des textes, mais aussi à des sanctions ; c'est à cette condition que l'achat public jouera pleinement son rôle de levier de la transition écologique.

1. Commission européenne, communication au Conseil et au Parlement européen COM/2003/0302, Politique intégrée des produits, Développement d'une réflexion environnementale axée sur le cycle de vie, 18 juin 2003 ; En 2006 déjà, le code de la commande publique disposait que l'acheteur public devait définir ses besoins en prenant en compte des objectifs de développement durable (art. 5). Des lois ultérieures ont renforcé les obligations de l'acheteur en matière d'achat durable : v., entre autres, L. n° 2015-992, 17 août 2015 : JO 18 août, relative à la transition énergétique pour la croissance verte, L. n° 2020-1525, 7 déc. 2020 : JO 8 déc. d'accélération et de simplification de l'action publique, L. n° 2021-1104, 22 août 2021 : JO 24 août, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets2. Gouv., Dossier de presse, Projet de loi Industrie verte, 16 mai 20233. L. n° 2023-973, 23 oct. 2023, op. cit., art. 29-I-1°, modifiant CCP, art. L. 2111-3, al. 14. Auparavant, étaient soumis à cette obligation les « collectivités territoriales et les acheteurs soumis au [code de la commande publique] dont le statut est fixé par la loi » (CCP, anc. art. L. 2111-3) dont le montant annuel d'achat dépassait 50 millions d'euros.5. CCP, art. L. 2111-3, al. 4 nouv.6. Ainsi, au 1er décembre 2022, le nombre de villes disposant d'un Spaser dépassait celui des villes soumises à l'obligation d'en élaborer un ; RTES, État des lieux sur les Spaser – décembre 2022, 30 nov. 20237. CCP, art. L. 2111-3, al. 2 modifié8. Ibid.9. CCP, art. L. 2111-3, al. 2 et 310. L. n° 2023-973, 23 oct. 2023, op. cit., art. 29-I-3° et 6° créant CCP, art. L. 2141-7-2 et L. 3123-7-211. Joannès J.-M., L'achat public durable en mode ruissellement, achatpublic.info, 10 nov. 202312. L. n° 2023-973, 23 oct. 2023, op. cit., art. 29-I-1-4° et 7° modifiant CCP, art. L. 2152-7 et L. 3124-513. CE, avis, 11 mai 2023, n° 40703514. L. n° 2021-1104, 22 août 2021 : JO 24 août, op. cit ; un décret est attendu pour avancer cette date au 1er juillet 2024 pour certains produits clés de la décarbonation comme les pompes à chaleur ou les véhicules électriques.15. Les entités adjudicatrices sont les acheteurs exerçant des activités d'opérateur de réseaux telles que la mise à disposition, l'exploitation, l'alimentation de gaz ou de chaleur, d'électricité, d'eau potable, de transport (CCP, art. L. 1212-1).16. L. n° 2023-973, 23 oct. 2023, op. cit., art. 28, modifiant CCP, art. L2151-1) ; D. n° 2023-1292, 27 déc. 2023 : JO 29 déc., fixant le seuil d'application des offres variables dans les procédures de marchés passés par les entités adjudicatrices17. C'est d'ailleurs pour cette raison que la possibilité de présenter des offres variables, autorisée par l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, avait été supprimée par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.18. L. n° 2023-973, 23 oct. 2023, op. cit., art. 28 modifiant CCP, art. L. 2152-7, al. 219. Ibid., art. 26 modifiant CCP, art. L. 2113-1120. Ibid., art. 27 modifiant CCP art. L. 2125-1,1°

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