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La difficile mise en balance des impacts sur l'environnement et la santé dans l'autorisation administrative

Les normes et leur contrôle juridictionnel essaient de traduire les aspirations contradictoires de la société, entre protection de l'environnement et de la santé, et satisfaction des besoins dans une économie du bien-être basée sur le marché.

DROIT  |  Étude  |  Aménagement  |  
   
La difficile mise en balance des impacts sur l'environnement et la santé dans l'autorisation administrative
Olivier Delmas
Chargé de recherche en aide à la décision à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris)
   

L'évaluation socioéconomique (ESE) de projets ou de réglementations appelle à peser leurs conséquences positives et négatives sur l'ensemble de leurs aspects sociaux, environnementaux et économiques. Sont mis en balance (MEB) les effets économiques de production et d'usage d'une part, et d'amélioration ou de détérioration prévisible de l'état de santé de la population et de l'environnement, d'autre part. Les conséquences non directement visées constituent les externalités, et sont prises en compte dans l'évaluation. L'ESE peut prendre différentes formes, comme l'analyse coût-efficacité (ACE) et faire appel à l'analyse multicritères (AMC). Lorsque c'est pertinent, les coûts et les bénéfices sont évalués monétairement dans une analyse coût-bénéfice (ACB). L'ESE est utilisée dans de nombreux contextes, comme les projets d'infrastructures publiques, les réglementations des produits chimiques ou phytopharmaceutiques. Le principe de base veut que l'option qui présente une valeur économique totale nette positive dispose d'un avantage. La MEB joue un rôle critique dans l'aide à la décision des politiques publiques (1) . Sans toutefois définir une norme directement applicable, les principes de précaution, de prévention et de pollueur-payeur tels que stipulés dans le code de l'environnement introduisent la mise en balance des coûts des mesures de gestion des risques (I). La réglementation en droit interne en précise des modalités particulières de mise en œuvre mais en limite également la portée (II). Le droit de l'Union adopte des dispositions différentes selon les réglementations et les nécessités des usages (III).  Le contrôle du juge s'en trouve limité à l'appréciation de l'incertitude sur les risques (IV).

I. Un cadre normatif ouvert

1. Le principe de proportionnalité invite la mise en balance dans le principe de précaution

Selon l'article 5 de la Charte de l'environnement, l'application du principe de précaution consiste à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation d'un dommage grave et irréversible. Ce principe de proportionnalité sera précisé lors de la transcription en texte législatif à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Le législateur y a ajouté, par amendement, que les mesures envisagées devaient présenter un coût économiquement acceptable. Cette superposition de la proportionnalité et du coût acceptable peut être satisfaite par la mise en balance du dommage et du coût des mesures par une analyse coûts-bénéfices. Selon la Commission européenne, au point 6.3.4 de la communication sur le principe de précaution : « Les mesures adoptées [en matière de précaution] présupposent l'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action. Cet examen devrait inclure une analyse économique coût/bénéfices lorsque cela est approprié et réalisable. Toutefois, d'autres méthodes d'analyse, telles que celles tenant à l'efficacité et à l'impact socio-économique des options possibles, peuvent entrer en ligne de compte. Par ailleurs, le décideur peut aussi être guidé par des considérations non économiques, telles que la protection de la santé. » (2) Relevons cependant que les méthodes d'analyse coût-bénéfices proposent la monétisation des externalités, y compris sur les effets sur la santé.

2. Les tentatives de mise en balance dans le principe de prévention

La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages réaffirme le principe de prévention inscrit à l'article L. 110-1 du code de l'environnement. Elle renforce la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC), en utilisant les meilleures techniques disponibles et en précisant : « à un coût économique acceptable ». Dans un bilan de la loi établi en 2020 par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) (3) , il est noté que « donner une valeur à la biodiversité incitera aussi les gestionnaires de site à restaurer des friches industrielles ». Mais le Cese ajoute que la « marchandisation de la nature (…) ne doit pas nourrir l'illusion que tout impact peut être racheté. Là encore, il appartient à l'État de délimiter le marché par la définition des standards d'équivalence ». Au niveau des collectivités territoriales, les plans climat air énergie territoriaux (PCAET), qui visent notamment à offrir un air sain, doivent identifier « les priorités et les objectifs de la collectivité ou de l'établissement public, ainsi que les conséquences en matière socio-économique, prenant notamment en compte le coût de l'action et celui d'une éventuelle inaction ». (4) En pratique, dans les PCAET, les coûts de l'action sont partiellement évalués, les coûts de l'inaction jamais (5) .

3. Le principe pollueur-payeur pratique indirectement la MEB

Le principe pollueur-payeur fait indirectement appel au coût économique acceptable, en ce qu'il vise à faire supporter les coûts de prévention, soumis au coût acceptable, au pollueur. Sa mise en œuvre est basée sur différents mécanismes économiques. Par exemple, des mécanismes visent à faire pression financièrement sur les émetteurs de polluants pour rendre rentable des systèmes d'abattement de polluants (taxe carbone, taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), responsabilité élargie du producteur (REP)). Le produit de la taxe peut également servir à financer des actions collectives ou publiques de réduction des risques. L'ACB dans ce cas n'est pas directement liée à la charge des externalités, mais à un calcul de retour sur les investissements réalisés pour diminuer les taxes. Une ACB basée sur une modélisation de la dispersion des pesticides et une modélisation bioéconomique permet d'optimiser les modifications des pratiques agricoles en vue de réduire leurs impacts négatifs sur l'environnement. L'exploitant agricole peut être rémunéré sur la base des surcoûts et des manques à gagner générés par ces nouvelles pratiques, par le dispositif MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques) (6) . La collectivité considère par conséquent que le gain environnemental pour la société justifie un transfert des bénéfices environnementaux du changement des pratiques depuis la collectivité vers le pollueur qui réduit son impact (7) . Une autre manière de rémunérer les agriculteurs qui accepteraient de baisser l'utilisation de pesticides est de les autoriser à irriguer à l'aide d'eau stockée dans des « mégabassines », dans une sorte de troc, plus ou moins respecté (8) . On touche ici une limite de l'ambition de la MEB, si on la regarde seulement en termes de bénéfices et de coûts. Il convient de comparer plusieurs mesures de gestion du risque dans une analyse multicritère.

II. En droit interne, des éléments de comparaison ignorés, imposés ou esquivés

1. Le cas des infrastructures

L'Autorité environnementale (AE), dans une note de synthèse sur les évaluations des projets d'infrastructures linéaires de transport, déplore que certains enjeux environnementaux, comme la biodiversité, la consommation d'espaces naturels ou de sols agricoles, ne soient pas pris en compte. L'AE en conclut que le débat démocratique en est faussé du fait que le public ne peut comprendre les limites des évaluations (9) . Pour comparer, d'un côté, le bénéfice environnemental de la production électrique par des éoliennes en mer à la destruction de spécimens d'espèces par ces installations, la loi pour l'accélération de la transition énergétique dispose que ce bénéfice relève d'une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM), ici en l'espèce pour lutter contre le changement climatique, sans qu'il y ait lieu à évaluation ni au contrôle du juge de ce bénéfice.

2. La négation du risque en matière d'exposition aux polluants rend sans objet la mise en balance des effets sur la santé

En matière d'application de produits phytosanitaires, des distances de sécurité peuvent être imposées par décret afin de protéger les populations riveraines. Ces distances sont décriées par certains comme insuffisantes (10) . L'exposition des riverains aux pesticides permet une production agricole accrue en contrepartie d'une atteinte possible à leur santé. Cette atteinte ne fait l'objet d'aucune monétarisation et encore moins de paiement, même en cas de dommages. En effet, la réglementation ne prévoit pas d'évaluer les dommages en la matière, car la logique qui prévaut est fondée sur le décret de 1810 sur les établissements industriels insalubres et dangereux. Il vise à protéger l'exploitant de poursuites en offrant une sécurité juridique par une autorisation, basée sur une déclaration préalable de ses activités, qui est censée démontrer un risque maîtrisé. Les mesures de réduction des risques mises en œuvre en vertu du principe pollueur-payeur sont supposées les éliminer totalement, ce qui rend une mise en balance sans objet.

3. Les valeurs seuils fixent une obligation réglementaire sans considération de MEB

Les valeurs seuils de concentration de polluants dans les eaux de boisson ou les aliments jouent un rôle prépondérant comme outils de gestion des risques par une approche déterministe du risque toxique. Un respect vaut présomption de sécurité, leur atteinte est universellement considérée comme nécessaire, et un dépassement un motif de mise en œuvre de moyens sans nécessairement d'évaluation socioéconomique et encore moins d'ACB. Le cas se présente avec la présence généralisée des métabolites du chlorothalonil dans les eaux de boisson. « C'est une catastrophe comme les producteurs d'eau potable n'en ont sans doute jamais connue, dont la facture pourrait se chiffrer en milliards d'euros et dont une part importante risque de demeurer durablement ingérable.» (11) Les options de gestion ne peuvent être comparées sur la simple atteinte de ces valeurs seuils, lesquelles sont fixées selon une logique qui ne repose pas sur le danger spécifique d'un composé particulier. Elles comportent un niveau d'incertitude élevé, et utilisent des facteurs de sécurité qui, s'ils sont utiles en matière de prévention, peuvent biaiser une MEB. L'estimation des risques et donc de leur coût se fait par approche probabiliste avec facteurs de précaution, alors que l'estimation des coûts des dommages évités est fondée sur le calcul d'une espérance sans facteur de précaution.

III. En droit de l'Union, des dispositions variables selon l'usage

1. La mise en balance des impacts des produits phytosanitaires est sans objet car les risques sont supposés maîtrisés

Dans son considérant 8, le règlement phytosanitaire pose une double ambition : « Le présent règlement a pour objet de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l'environnement, et dans le même temps de préserver la compétitivité de l'agriculture communautaire.» Le conflit entre ces deux exigences va transparaître dans l'ensemble du règlement, et plus généralement dans les politiques agricoles. La mise en balance n'est prévue que dans le cas de la substitution, en comparant le produit à d'autres solutions, et non pour autoriser un produit. L'absence de solution de traitement n'est donc pas une option envisagée par le règlement. La substitution est introduite au considérant 19 : « Certaines substances actives présentant certaines propriétés devraient être identifiées au niveau communautaire comme substances dont on envisage la substitution. Il convient que les États membres examinent régulièrement les produits phytopharmaceutiques contenant de telles substances actives en vue de les remplacer par des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives nécessitant moins d'atténuation des risques ou par des méthodes non chimiques de prévention ou de lutte ». L'expression « certaines propriétés » désigne des propriétés toxiques ou écotoxiques acceptables pour une autorisation (12) . L'objectif de la substitution est donc de diminuer les contraintes d'atténuation du risque en ce qu'elles peuvent avoir une incidence sur la compétitivité. L'article 50 donne les éléments de mise en balance des risques et des bénéfices : l'existence d'alternatives plus sûres pour la santé humaine ou animale ou l'environnement, mais sans inconvénients économiques et pratiques majeurs, ainsi que le risque de résistance des cibles au traitement. L'annexe IV précise les risques et les inconvénients pratiques ou économiques. En l'absence d'alternative de produit à substituer, il n'y a donc pas de mise en balance, ce qui rend sans objet une évaluation des coûts des dommages sur la santé et l'environnement des produits, ni des coûts engendrés par les phénomènes de résistance, ni des bénéfices économiques liés aux traitements.

2. Toutefois, la mise en balance intervient dans les demandes de dérogation

L'article 53 du même règlement stipule qu'un État membre peut autoriser, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques dangereux et non autorisés, en vue d'un usage limité et contrôlé, lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables. Le considérant 24 fournit des éléments de comparaison : « l'objectif de protection de la santé humaine et animale et de l'environnement, en particulier, devrait primer sur l'objectif d'amélioration de la production végétale ». Comment cette primauté doit-elle s'entendre ou se mesurer ? Une affaire du 19 janvier 2023 tente une illustration de la mise en balance dans une demande de décision préjudicielle concernant l'autorisation de néonicotinoïdes. L'avocate générale examine tout d'abord la question : « L'expression « qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables » utilisée à l'article 53 du règlement doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle accorde une égale importance, compte tenu des termes du considérant no 8 du règlement, d'une part, à la garantie d'un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l'environnement, et, d'autre part, à la préservation de la compétitivité de l'agriculture communautaire ? » Cette question vise à déterminer la manière dont il convient de mettre en balance ces deux objectifs. L'avocate générale considère au point 45 que : « La prévention des effets nocifs sur la santé humaine ou animale ou d'effets inacceptables sur l'environnement doit, en principe, prévaloir sur les considérations économiques ». Entre santé et environnement, elle relève au point 46 que ce règlement « n'a pour objet que d'exclure les conséquences inacceptables sur l'environnement, mais tout effet nocif sur la santé humaine ou animale. » Le tout l'emporte sur l'inacceptable. Et à choisir entre l'économie et l'environnement, elle précise au point 48 que : « En cas de conséquences « simplement » négatives pour l'environnement, la marge de mise en balance est plus étendue. Des intérêts économiques importants peuvent donc éventuellement primer des atteintes mineures à l'environnement ». Mais la Cour ne répondra pas à cette question, ayant déjà apporté la réponse à la requête préjudicielle dans une question examinée en amont.

3. Des éléments d'externalités négatives ignorés

Le considérant 12 du règlement phytosanitaire tend à priver la mise en balance d'externalités négatives de l'usage des produits. En effet, il pose qu'il convient, par souci de prévisibilité, d'efficacité et de cohérence, qu'une procédure détaillée soit établie pour évaluer si une substance active peut être approuvée. Il précise en outre que les informations que les parties intéressées sont tenues de soumettre en vue de l'approbation d'une substance devraient être précisées. Or la jurisprudence (13) et la littérature (14) démontrent qu'aucune procédure, même détaillée, n'est en mesure d'évaluer l'ensemble des externalités négatives des produits phytosanitaires, et que toutes sources de connaissances scientifiques solides doivent être utilisées. La mise en balance est susceptible d'être biaisée par manque ou occultation de données toxicologiques et écotoxicologiques.

4. Le règlement Reach prévoit des modalités plus précises mais discutées de la mise en balance

Les conditions d'une autorisation des substances chimiques sont énoncées à l'article 60 du règlement Reach. Au paragraphe 4, il est précisé que lorsque le risque pour la santé et l'environnement de l'usage d'une substance dite « extrêmement préoccupante » n'est pas maîtrisé, son autorisation peut cependant être octroyée « s'il est démontré que les avantages socioéconomiques l'emportent sur les risques (…) et qu'il n'existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées ». Cette décision est arrêtée après prise en compte d'un ensemble d'éléments et en tenant compte de l'avis du comité d'évaluation des risques et du comité d'analyse socioéconomique. Parmi ces éléments figurent les avantages socioéconomiques découlant de son utilisation et les conséquences socioéconomiques d'un refus de l'autorisation, dont le demandeur ou d'autres parties intéressées doivent apporter la preuve. L'article 68 et l'annexe XVI du règlement détaillent les modalités de l'analyse socioéconomique, qui est en pratique une analyse coûts-bénéfices. Des dispositions similaires s'appliquent au cas de l'instruction des procédures de restriction, avec la nécessaire démonstration que les bénéfices d'une restriction d'accès au marché d'un produit chimique l'emportent sur ses coûts. La place de l'ACB parmi les méthodes d'analyses socioéconomiques fait l'objet de propositions afin de rendre l'application du règlement Reach plus efficace (15) .

IV. Le contrôle du juge limité à l'incertitude et à l'erreur d'appréciation manifeste

1. Les juges examinent l'incertitude sur les risques pour l'application du principe de précaution

Une évaluation exhaustive des risques n'est pas exigée pour appliquer le principe de précaution, y compris lorsqu'il s'avère impossible de déterminer avec certitude l'existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, et dès lors que la probabilité d'un dommage réel pour l'environnement persiste (16) . Dans le cas du sulfoxaflor, les mesures de gestion du risque prévues dans la demande d'autorisation sont jugées insuffisantes pour lever les incertitudes sur les risques résiduels. Le tribunal s'appuie sur l'article 5 de la Charte de l'environnement inscrite dans la Constitution, et sans référence à l'article L. 110-1 du code de l'environnement et donc au coût économiquement acceptable. Dès lors, les autorisations sont annulées sans que le jugement soit motivé par une absence de MEB (17) . Une précision supplémentaire est fournie dans l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon (18) qui précise qu'« il appartient au juge (…) de vérifier que l'application du principe de précaution est justifiée, puis de s'assurer de la réalité des procédures d'évaluation du risque mises en œuvre et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution ».

2. Le juge se refuse de procéder à la mise en balance dans le principe de précaution

Le tribunal considère au point 194 de l'arrêt portant sur la requête en annulation de non-renouvellement du thirame (19) que la Commission était tenue de procéder à l'examen des avantages et des charges d'un renouvellement de l'autorisation. Mais en quoi consiste cet examen ? Au point 195, le tribunal rappelle que : « Le point 6.3.4 de la communication sur le principe de précaution ne précise pas le format et l'envergure de l'examen des avantages et des charges. (…) L'autorité qui applique le principe de précaution jouit d'une marge d'appréciation considérable quant aux méthodes d'analyse ». Au point 196, il est précisé qu'il suffit à la Commission d'avoir pris connaissance des effets, positifs et négatifs, économiques et autres, susceptibles d'être induits par l'action envisagée ainsi que par l'abstention d'agir, et d'en tenir compte lors de sa décision. En revanche, il n'est pas nécessaire que ces effets soient chiffrés avec précision, si cela n'est pas possible ou nécessite des efforts disproportionnés. Ces effets eux-mêmes ne sont pas normalisés, au moins dans le règlement applicable au cas d'espèce. Au point 200, le tribunal ajoute que « les institutions de l'Union jouissent, (…) d'un large pouvoir d'appréciation en ce qui concerne la définition des objectifs poursuivis et le choix des instruments d'action appropriés. Il y a lieu, par ailleurs, de préciser que, en raison de la nécessité de mettre en balance plusieurs objectifs et principes, ainsi que de la complexité de la mise en œuvre des critères pertinents, le contrôle juridictionnel doit nécessairement se limiter au point de savoir si les institutions de l'Union ont commis une erreur d'appréciation manifeste ».

3. Le juge ne substitue pas à l'autorité administrative pour déterminer les éléments de comparaison

Une affaire du 6 octobre 2021 (20) illustre un cas de mise en balance de substances chimiques encadrée par le règlement Reach et de l'effet potentiel sur le résultat des facteurs de risques pris ou non en considération. Elle porte sur la contestation de l'autorisation du DEHP (21) dans sa réutilisation à partir de déchets de PVC recyclés en contenant. L'avocate générale souligne que la question essentielle posée à la Cour pour la première fois porte sur le contrôle de la mise en balance qui sous-tend l'autorisation et, par conséquent, sur les aspects à prendre en considération à cet égard, ainsi que sur le contrôle de l'analyse de solutions de remplacement. Le DEHP est soumis à autorisation du fait de sa toxicité pour la reproduction. Par ailleurs, il est signalé comme perturbateur endocrinien et, de ce fait, classé en tant que « substance extrêmement préoccupante », inscrit à la liste de l'annexe XIV des substances candidates à autorisation, sans pour autant que ce classement impose une demande d'autorisation à ce titre. Les comités d'évaluation des risques et d'analyse socioéconomique ont estimé que les avantages socioéconomiques du recyclage l'emportaient sur les risques d'usage du DEHP. La Commission a suivi ces avis en autorisant le DEHP recyclé, sachant que le caractère perturbateur endocrinien n'a pas été mis dans la balance. Dans sa conclusion, l'avocate générale propose à la Cour d'annuler l'autorisation, par application du principe de précaution, pour prendre en compte le caractère perturbateur endocrinien. La Cour ne suivra pas cette proposition, au motif que le DEHP n'est que candidat à une inscription à l'annexe XIV au titre de son caractère perturbateur endocrinien. Elle préfère suivre une classification à une appréciation des faits, laissant à l'autorité administrative le soin de modifier au préalable cette classification.

Il convient de souligner que, pour la Commission européenne, « la Communauté dispose du droit de fixer le niveau de protection (…) qu'elle estime appropriée ». (22) Autrement dit, pour la Commission, les éléments de la MEB pour l'application du principe de précaution relèvent de choix politiques. Dès lors, il conviendrait d'examiner les mécanismes de construction de ces choix, de leurs modalités de mise en œuvre et des possibles contrôles juridictionnels.

Le DEHP est soumis à autorisation (inscription à l'annexe XIV) du fait de sa toxicité pour la reproduction. Par ailleurs ses propriétés de perturbateur endocrinien sont documentées mais non encore retenues comme motif d'inscription à l'annexe XIV, bien que ce soit un cas stipulé à l'article 57 sous f). Les comités d'évaluation des risques et d'analyse socio-économique ont estimé que les avantages socio-économiques du recyclage l'emportaient sur les risques d'usage du DEHP. La commission a suivi ces avis en autorisant le DEHP recyclé, sachant que le caractère perturbateur endocrinien n'a pas été mis dans la balance. L'avocate générale dans sa conclusion propose à la cour d'annuler l'autorisation par application du principe de précaution pour prendre en compte le caractère perturbateur endocrinien. La cour ne suivra pas cette proposition, au motif que le caractère perturbateur endocrinien du DEHP n'est pas encore retenu comme motif à une inscription à l'annexe XIV. La Cour préfère suivre une classification à une appréciation des faits, laissant à l'autorité administrative le soin de modifier au préalable cette classification.

1. OCDE, Analyse coûts-avantages et environnement : Avancées théoriques et utilisation par les pouvoirs publics, 2018, Éditions OCDE, Paris2. Commission des communautés européennes, Communication sur le recours au principe de précaution n° COM(2000) 1 final, 2 févr. 2000, pt. 6.3.43. Cese, avis, Bilan de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, sept. 20204. Introduit depuis le 30 juin 2016 à l'article R. 229-51 du code de l'environnement5. Les PCAET sont inventoriés sur le site Internet de l'Ademe.6. CGDD, Évaluation des risques liés aux pesticides pour les écosystèmes aquatiques. Recommandations issues du programme de recherche « Pesticides », Le point sur, déc. 20157. L'article L. 411-2, II, 3° du code de l'environnement prévoit que les pratiques agricoles imposées pour la préservation des espèces naturelles peuvent bénéficier d'aides lorsqu'elles induisent des surcoûts ou des pertes de revenus lors de leur mise en œuvre.8. Grimonprez B., Alternatives aux pesticides conventionnels : les voies de la normalisation, Dr. Env. 2022, p. 889. AE, Note de l'Autorité environnementale sur les évaluations socio-économiques des projets d'infrastructures linéaires de transport, n° 2017-N-05, 13 sept. 201710. Générations Futures, Pesticides : les chartes d'engagement dites de bon voisinage sont illégales selon un collectif d'ONG et leurs conseils, 13 déc. 202211. Foucart S., L'eau potable en France contaminée à vaste échelle par les métabolites du chlorothalonil, un pesticide interdit depuis 2019, Le Monde, 7 avr. 202312. Ibid., art. 24 et ann. II.413. CJUE, 1er oct. 2019, n° C-616/17, Blaise14. Delmas O., Leçons sur la mise en œuvre des présomptions en matière d'autorisation des produits phytosanitaires, Dr. Env. 2020, p. 31315. ClientEarth, Socio-economic assessment and Reach authorization, oct. 202116. Lormeteau B. et Audrain-Demey G., Synthèse – Biodiversité avr. 2021 – mars 2022, Dr. Env. 2022, p. 13717. TA Nice, 29 nov. 2019, n° 1704687, Association générations futures et a.18. CAA Lyon, 29 juin 2021, n° 19LY01017, 19LY01031 (glyphosate)19. Trib. UE, 9 févr. 2022, n° T-740/18 Taminco BVBA Arystsa Life Science Great Britain Ltd c. Commission européenne20. CJUE, 6 oct. 2021, n° C-458/19, P-ClientEarth c. Commission européenne21. Phtalate de bis(2-éthylhexyle)22. Commission européenne, communication, op. cit., introduction pt. 3

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