Selon un collectif de pêcheurs d'eau douce, la majorité des neuf poissons migrateurs de l'Hexagone frôlent l'extinction. L'association recommande à l'État un moratoire sur la pêche à l'anguille et d'autres mesures immédiates pour inverser la tendance.
En amont de la Journée mondiale des poissons migrateurs, fixée au 21 mai, la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) alerte sur l'état des populations de ces poissons et prône des mesures « fortes et immédiates » pour l'améliorer. « Ce sont des espèces dites "parapluies", car en protégeant et restaurant les milieux naturels qu'elles occupent, on agit positivement sur toutes les autres espèces », souligne la FNPF dans son manifeste.
Neuf espèces dans le creux de la vague
La France compte neuf espèces de poissons amphihalins (qui vivent en eau salée, puis en eau douce, ou inversement) : le saumon de l'Atlantique (Salmo salar), la truite de mer (Salmo trutta), l'anguille d'Europe et les civelles (Anguilla anguilla), l'esturgeon d'Europe (Acipenser sturio), la grande alose (Alosa alosa), l'alose feinte de l'Atlantique (Alosa fallax), l'alose feinte méditerranéenne (Alosa agone), la lamproie fluviatile (Lampetra fluviatilis) et la lamproie marine (Petromyzon marinus). Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), huit de ces neuf espèces sont en danger critique d'extinction (l'esturgeon, l'anguille et la grande alose), en danger (lamproie marine), vulnérables (lamproie fluviatile) ou « quasi-menacées » (saumon et les aloses feintes). Sur le plan européen, les populations de ces poissons se sont réduites en moyenne de 93 % entre 1970 et 2016, selon la FNPF.
État des populations des neuf espèces de poissons migrateurs par bassins en 2022.
© FNPF / Associations Migrateurs
Pourtant, aujourd'hui, la cause majeure n'est pas la pêche. Dans son
bilan de l'année 2021, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) affirme que plus de la moitié des populations de poissons pêchés en France sont
« en bon état » ou
« reconstituables » (contre seulement 15 %, il y a vingt ans). D'après les propres observations de la FNPF, le réchauffement climatique, la mauvaise continuité écologique des cours d'eau et la pollution, notamment par les
pesticides, constituent les principales menaces qui pèsent sur les poissons migrateurs.
« Malgré les plans "Écophyto" successifs, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques est repartie à la hausse en 2020… de mauvais augure pour la nature, en générale, et les espèces piscicoles, en particulier », déplore le collectif des pêcheurs de loisir, opérant principalement en eau douce. En outre, les ouvrages installés sur les cours d'eau constituent des obstacles à la migration des poissons, mais également à la continuité écologique. « La diminution du courant favorise l'évaporation et le réchauffement, mais aussi une perte d'oxygénation dont souffrent toutes les espèces aquatiques », décrit-il. La FNPF recense en moyenne un barrage tous les cinq kilomètres, « voire un tous les 2 km sur certains bassins ». Ces ouvrages constituent une « insurmontable difficulté » pour les migrateurs. « Sur la Loire, près d'un tiers des jeunes saumons meurent avant d'atteindre l'océan (tandis que), sur le Rhône, 90 % des aloses sont bloquées par les trois premiers aménagements (rencontrés) et ne parviennent pas aux frayères de l'Ardèche. »
Quatre leviers pour renverser la marée
Certaines espèces comme le saumon, l'anguille et l'esturgeon font l'objet d'un plan national de gestion et de restauration, mais cela ne suffit pas !
Fédération nationale des pêcheurs de France
Pour améliorer la situation, la FNPF recommande l'application d'une série de mesures. En plus d'un renforcement des moyens de police de l'environnement et de la pêche, l'association appelle l'État à rattacher la protection des grands poissons migrateurs à une instance nationale telle que le Comité national de la biodiversité ou le Comité national de l'eau.
« Certaines espèces comme le saumon, l'anguille et l'esturgeon font l'objet d'un plan national de gestion et de restauration, mais cela ne suffit pas ! » s'insurge la FNPF. En ce sens, elle suggère que le
Plan national des migrateurs amphihalins (PNMA), approuvé en décembre dernier dans le cadre de l'élaboration de la nouvelle
Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB3), soit mis en œuvre au plus vite.
Par ailleurs, le collectif de pêcheurs d'eau douce demande un « moratoire général sur la pêche à l'anguille pour une durée de cinq ans » impliquant la pêche de loisir comme la pêche professionnelle. « Dans l'immédiat, pour la survie de l'espèce, nous exigeons un moratoire total et absolu (pêche et exportation) pour les prélèvements de civelles, avec un plan de soutien à la filière économique impactée », ajoute la FNPF. Enfin, cette dernière prône une suspension des appels d'offres relatifs à la micro-hydroélectricité, une interdiction de tout nouvel ouvrage sur les cours d'eau protégés ainsi qu'une accélération des aménagements d'ouvrages existants. « Nous voulons une plus grande ambition quant à la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (…) afin de ne pas limiter davantage le milieu naturel et fragiliser encore les poissons migrateurs. »
Récifs coralliens : l'ADN environnemental améliore le suivi de la diversité des poissons (article paru le 21/04/2022) La biodiversité des récifs coralliens s'avère plus importante en laboratoire qu'à l'œil nu. Une équipe internationale de chercheurs, menée par une cohorte de scientifiques français notamment du CNRS et de l'Ifremer, en atteste dans une étude... Lire la news
Impact des phytosanitaires : l'Inrae et l'Ifremer dressent un vaste état des lieux des connaissances (article paru le 05/05/2022) Pendant deux ans, une cinquantaine d'experts ont étudié la littérature scientifique pour faire le point sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur les écosystèmes. Le bilan est inquiétant, mais des solutions existent pour l'améliorer. Lire la news
Moulins : le Conseil constitutionnel valide des exemptions à la continuité écologique des cours d'eau (article paru le 13/05/2022) Les Sages de la rue de Montpensier ont décidé de ne pas remettre en cause certaines exemptions à l'obligation d'assurer la continuité écologique des cours d'eau prévues par la loi. Par une décision... Lire la news
Biodiversité : le gouvernement présente une stratégie nationale inachevée (article paru le 16/03/2022) La secrétaire d'État Bérangère Abba a dévoilé la nouvelle stratégie de l'exécutif pour mettre fin au déclin de la biodiversité. Présentée comme un premier volet en attendant la COP 15 sur la biodiversité, elle peine à convaincre les associations. Lire la news
Note Télécharger le manifeste de la FNPF Plus d'infos
Note Télécharger le bilan des populations pêchées en 2021 de l'Ifremer Plus d'infos
Note Télécharger le texte du projet de PNMA approuvé Plus d'infosArticle publié le 19 mai 2022