Après une première enquête sur l'exposition des populations aux perturbateurs endocriniens via les céréales et les insecticides ménagers, l'association Générations Futures, spécialisée sur la question des pesticides, s'est penchée cette fois-ci sur les fraises vendues dans le commerce en provenance de France et d'Espagne.
Pourquoi la fraise ? Car il s'agit d'un fruit communément consommé par les femmes enceintes ou les jeunes enfants, populations particulièrement vulnérables aux perturbateurs endocriniens, explique l'ONG. Or, ces substances sont soupçonnées d'être à l'origine de cancers hormonaux-dépendants, de perturbations du métabolisme et de la reproduction, de problèmes cardiovasculaires mais aussi de troubles mentaux et du comportement.
Sur les 49 échantillons analysés (voir méthodologie en encadré), 91% contenaient un ou plusieurs résidus de pesticides (100% des fraises espagnoles), et 71% contenaient des pesticides perturbateurs endocriniens (PE). Si la proportion est plus importante parmi les fraises espagnoles (78%), il reste que 65% des échantillons français contiennent au moins un résidu de pesticide PE.
"Nous avons retrouvé en tout 37 molécules différentes dont 8 perturbateurs endocriniens", précise François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.
Cela ne signifie pas pour autant que les producteurs sont hors-la-loi. La présence de résidus de pesticides est admise par la réglementation dès lors que les limites maximales en résidus (LMR) ne sont pas dépassées. Un seul dépassement de cette limite a d'ailleurs été constaté dans le cadre de cette enquête, soit un taux de non-conformité de 2%.
Le porte-parole de l'ONG soupçonne toutefois certains producteurs de faire tourner les fongicides de manière à éviter le dépassement des LMR. L'étude a en effet mis en évidence un échantillon français qui comptait douze résidus de pesticides différents.
"La présence de résidus ne signifie pas risque pour la santé des consommateurs", indique Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), en réaction à la publication de cette enquête. "Il n'y a pas lieu d'affoler ni les politiques, ni les consommateurs", ajoute le représentant des producteurs de pesticides, qui rappelle que les substances font l'objet d'analyses dans le cadre de leur autorisation de mise sur le marché. Quant à la présence de perturbateurs endocriniens, ce dernier rejette l'étude de l'ONG dans la mesure où les critères permettant de les définir ne sont pas encore déterminés.
Présence de pesticides interdits
Plus inquiétant, l'enquête a mis à jour la présence d'endosulfan dans deux échantillons français, un insecticide organochloré interdit en Europe depuis 2005, et du carbosulfan dans deux échantillons espagnols, insecticide également interdit en Europe depuis 2007. Des résidus de pesticides dont l'usage est interdit sur la fraise ont également été retrouvés. "La présence de pesticides interdits en Europe ou sur la culture de la fraise dans plus de 18% des échantillons testés est proprement inacceptable", s'indigne François Veillerette.
"La présence de produits interdits est inadmissible", estime également Jean-Charles Bocquet, qui soutient les mesures de renforcement des contrôles de produits frauduleux, de lutte contre la contrefaçon et les pratiques illégales.
Des discussions en cours sur les perturbateurs endocriniens
En présentant cette nouvelle étude, Générations Futures cherche à peser sur les discussions en cours sur les perturbateurs endocriniens. Au plan français d'abord, au moment où la stratégie nationale relative à ces substances est en cours de finalisation. Au plan européen ensuite avec l'échéance du 14 décembre 2013, date à laquelle la Commission doit fixer les critères permettant de définir les perturbateurs endocriniens dans le cadre du règlement "pesticides".
L'ONG dénonce une disposition figurant dans la dernière version de la stratégie nationale qui prévoit la possibilité de réviser les critères d'exclusion des pesticides PE après une étude d'impact prenant en compte les effets sur la santé et l'environnement, ainsi que les substances actives disponibles. "Il s'agit d'un retour en arrière par rapport au règlement européen qui s'appuie sur les critères de danger des substances et non sur une évaluation des risques", dénonce François Veillerette, qui précise que les ONG ne pourront soutenir la stratégie si cette disposition, soutenue par le seul Medef, était conservée.
Quant au règlement européen, Générations Futures demande au Gouvernement d'être très ferme envers les pays qui voudraient limiter la définition de perturbateurs endocriniens. "L'Allemagne et l'Angleterre sont très faibles sur ces propositions car ils sont gros producteurs de pesticides", dénonce le porte-parole de l'ONG. Or, la définition de ces critères est d'autant plus importante, qu'ils seront utilisés également dans le cadre du règlement "biocides" et du règlement Reach.
De son côté, Jean-Charles Bocquet demande à ce que les critères permettant de définir les perturbateurs endocriniens soient scientifiquement définis. Le caractère de PE de certains produits n'est pas avéré mais seulement suspecté, souligne le directeur de l'UIPP.
En tout état de cause, un travail d'intense lobbying est en cours de part et d'autre en vue de l'échéance du 14 décembre 2013.