« Un industriel est déjà venu nous voir avec un projet : il imaginait fabriquer une ombrière recouverte de nos panneaux solaires », confie Anis Jouini, chercheur à la tête de l'Institut national de l'énergie solaire (Ines) du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Mais que peuvent avoir ces panneaux, fabriqués par des scientifiques, de si attirants pour un acteur privé ? Il ne s'agit ni particulièrement de son rendement énergétique ni de son prix, mais de son bilan carbone.
Le 17 janvier 2023, l'équipe d'ingénieurs et de chercheurs du CEA a annoncé être parvenue à fabriquer un panneau photovoltaïque au bilan près de trois fois inférieur à celui de n'importe quel autre panneau commercialisé, d'origine chinoise dans la majorité des cas. Leur nouveau démonstrateur photovoltaïque bas carbone affiche un bilan chiffré à 317 kilogrammes d'équivalent dioxyde de carbone par kilowatt-crête (kgCO2e/kWc), dans les meilleures conditions d'ensoleillement possibles. À titre de comparaison, les panneaux chinois disponibles sur le marché affichent des bilans estimés entre 700 et 800 kgCO2e/kWc. Pour obtenir ce résultat, les scientifiques du CEA n'ont remplacé qu'un seul composant. « Nous avons voulu montrer à la filière solaire qu'il était possible d'améliorer le bilan environnemental du photovoltaïque sans bouleverser la chaîne d'approvisionnement, en jouant directement sur les matériaux principaux », souligne Anis Jouini.
Une question d'épaisseur
Un panneau bas carbone à haut rendement
La compétence des chercheurs de l'Institut national de l'énergie solaire du CEA ne s'est pas arrêtée à la seule amélioration du bilan carbone. Leur démonstrateur photovoltaïque bas carbone affiche également une puissance de 566 watts-crête (Wc) pour un rendement de 22,9 % « parmi les meilleurs de ce qui fait dans le monde », assure Anis Jouini, le directeur de l'Ines. En comparaison, la plupart des panneaux actuellement commercialisés oscillent entre 200 et 400 Wc pour un rendement de 20 % ou moins. En conservant le modèle de fabrication conventionnelle, l'équipe de l'Ines a pu recourir à l'hétérojonction à haute performance, une technique prenant chaque cellule en silicium cristallin en sandwich entre deux couches de silicium amorphe en couche mince. Par ailleurs, l'interconnexion des cellules solaires a bénéficié d'un procédé dit de « paving » : un chevauchement d'un millimètre qui supprime l'espace entre les différentes cellules. « Cela permet de densifier encore davantage le panneau et d'augmenter son rendement » sans altérer les matériaux utilisés.
S'agissant de la touche finale, le cadre en aluminium, l'équipe du CEA l'a remplacé par un cadre en matière végétale, une essence de bois indifférenciée mais qui « répondait à des critères de durabilité suffisants et dont il est possible de se fournir facilement partout en Europe », assure le directeur général de l'Ines au CEA. D'après l'analyse du cycle de vie réalisée par le laboratoire, cette substitution entraînerait une économie de « plus de 50 kgCO2e/kWc ». Pour finir, l'agent encapsulant thermoplastique, qui forme une couche de protection hermétique autour de cellules photovoltaïques une fois montées en un module, a même été dépourvu de toutes traces de fluor pour « faciliter le recyclage ». Un essai demeure par ailleurs en cours pour recourir à un polymère thermoplastique entièrement bio-sourcé.
S'il reste à ce démonstrateur photovoltaïque bas carbone de passer les derniers tests normatifs dans les mois qui viennent (à savoir, faire face à des hautes températures ou des irradiations aux ultraviolets en enceintes climatiques), le CEA-Ines a bon espoir de le voir passer à l'échelle industrielle « très rapidement ». D'autant qu'ils comptent l'accompagner de leur « outil interne » de diagnostic environnemental pour tous les paramètres techniques.