Rappelons que selon la Liste Rouge de l'Union mondiale pour la nature (UICN), les espèces exotiques envahissantes sont la troisième cause de perte de la biodiversité dans le monde. Ces espèces, végétales ou animales, sont considérées comme ''invasives'' quand elles sont implantées, accidentellement ou volontairement, dans une région dont elles ne sont pas originaires et où elles se développent très rapidement. Les espèces introduites après 1500 sont considérées comme envahissantes en Europe, depuis la découverte de l'Amérique à partir de laquelle les échanges d'espèces entre continents se sont intensifiés. Mais du Nord au Sud, tous les pays sont concernés par le phénomène des invasions biologiques. Vertébrés, insectes, champignons, bactéries, algues ou plantes, ces espèces sont impliquées dans la moitié de toutes les extinctions des 400 dernières années, selon l'UICN.
''Introduites hors de leur aire de répartition naturelle par l'Homme, les plantes invasives peuvent se reproduire. Celles-ci s'installent majoritairement dans des milieux déjà perturbés tels que les bords de route, les terrains nus, les chantiers mais aussi les cours d'eau…'', a expliqué Enora Leblay, chargée de mission espèces exotiques envahissantes à la fédération des Conservatoires botaniques nationaux, partenaire de l'Institut. La croissance rapide de ces plantes, leur capacité d'adaptation et de multiplication végétative supérieure à celle des plantes indigènes, mais aussi l'absence de prédateurs ou de parasites naturels ont permis leur émergence.
Activités industrielles, échanges commerciaux et transports de marchandises (fixation de graine sur les colis, navires, véhicules, voyageurs…) figurent parmi les causes d'introductions accidentelles de ces plantes invasives dans un nouveau territoire, a rappelé Enora Leblay. Mais celles-ci peuvent être introduites de manière volontaire à des fins alimentaires comme le topinambour, cultivé comme légume pour ses tubercules riches en éléments minéraux et en inuline (type glucide). La prolifération du topinambour reste toutefois maîtrisée de manière à éviter sa propagation. Les plantes exotiques envahissantes peuvent également être utilisées à des fins ornementales dans les jardins comme la buddléia du Père David ou l'herbe de la Pampa, pour la constitution de collection botanique (renouée du Japon) ou dans les aquariums (myriophylle du Brésil). Toutes ces plantes invasives sont vendues dans le commerce… Les causes d'introduction peuvent être également naturelles : les graines des plantes peuvent être dispersées par le vent, l'eau ou les animaux.
Une pression croissante sur la biodiversité, la santé et l'économie
Mais la croissance des importations de plantes exotiques et l'intensification des déplacements ont favorisé la propagation de ces espèces qui ont un impact sur la modification des écosystèmes et le déséquilibre des milieux.
Parmi ces plantes ''colonisatrices'' : les jussies, jolies plantes aquatiques à fleurs jaunes, d'origine d'Amérique, présentes dans le Sud de la France (Languedoc Roussillon) et à l'Ouest. Introduites depuis plus d'un siècle et demi dans l'Hexagone, ces plantes peuvent se reproduire très rapidement par bouture. Une fois installées, les jussies envahissent bordures de cours d'eau, étangs ou marais… Elles y forment des herbiers très denses : ses tiges s'implantent quelquefois jusqu'à 3 m de profondeur et s'élèvent jusqu'à 60 ou 80 cm au-dessus de l'eau. Avec leurs fleurs de 2 à 5 cm de diamètre, les jussies, en recouvrant les cours d'eau, réduisent les concentrations d'oxygène jusqu'à mettre en danger la vie des poissons et le développement des autres plantes aquatiques locales. A tel point que la commercialisation de deux espèces de jussie (la jussie à grandes fleurs et la jussie à petites fleurs) est interdite depuis 2007 (arrêté du 2 mai) mais leur extension géographique continue.
Les plantes exotiques envahissantes peuvent également avoir des conséquences sur la santé humaine. Le pollen de certaines plantes comme l'ambroisie à feuille d'armoise, originaire d'Amérique du nord, présente principalement en Rhône-Alpes, provoque des allergies. Rhinites, conjonctivites, asthme, urticaires ou eczémas peuvent être causés par cette plante, qui ressemble ''étrangement'' à une fougère. C'est au moment de la pollinisation, avec un pic en septembre qu'elle peut s'avérer la plus dangereuse.Dans plusieurs départements de la région Rhône-Alpes, l'ambroisie fait l'objet d'arrêtés préfectoraux, où il y a obligation de la détruire. D'autres plantes invasives peuvent provoquer des coupures comme les feuilles de l'herbe de la Pampa, originaire d'Amérique du Sud. Quant à la berce du Caucase et le faux vernis du Japon, respectivement originaires de l'Ouest du Caucase et des régions du Sud de la Chine, elles provoquent des brûlures de la peau après contact et/ou exposition au soleil.
Les espèces exotiques envahissantes peuvent aussi avoir des conséquences économiques et sociales : impacts sur l'agriculture, le pâturage pour l'élevage et la pêche, mais aussi le tourisme et les loisirs (baignade, nautisme…).
Limiter l'introduction et la propagation
S'il n'est pas possible de faire disparaître la totalité de ces plantes, des moyens existent toutefois pour contrôler et limiter leur propagation. L'arrachage manuel ou mécanique voire le fauchage avant floraison sont recommandés. Ils doivent être réalisés de ''manière encadrée'' avec l'aide des mairies, de l'ONF ou des Jardins botaniques. Les citoyens sont notamment appelés à ne pas ramener des espèces végétales (et animales) des pays visités, mais aussi à ne pas déverser les eaux d'aquarium dans la nature. Les résidus de plantes présentes dans ces aquariums (Elodée dense, Myriophylle du Brésil) peuvent s'adapter aux milieux naturels et s'y propager, soulignent la fédération des Conservatoires botaniques nationaux et l'Institut Klorane. La mauvaise gestion des déchets de ces plantes est une cause de leur multiplication.
''Une réglementation adéquate permettrait de limiter ou interdire l'introduction de plantes invasives potentielles'', affirme l'Institut. Au niveau local, la ville de Sète a notamment supprimé ces plantes exotiques de sa gamme horticole. En France, un programme est développé avec le comité français de l'UICN, à l'Outre-mer qui abrite 49 des 100 espèces figurant parmi les plus envahissantes au monde. Au niveau européen, la Commission a également présenté, en décembre 2008, une communication sur l'élaboration d'une stratégie européenne de gestion des espèces envahissantes qui devrait voir le jour en 2010. Selon le projet européen Daisie, sur les 10.000 espèces invasives recensées en Europe, 11% d'entre elles auraient un impact écologique et 13% un impact économique.
Dans le cadre de ce projet, l'Institut Klorane diffusera dès avril une brochure d'informations sur ce phénomène de plantes invasives aux pharmacies d'officine, écoles d'horticulture, jardineries et dans les Jardins et Conservatoires botaniques. Une action pédagogique, lancée depuis février, se poursuivra au printemps sur le terrain dans des écoles partenaires du projet.