Annoncée le 16 juillet, la nouvelle stratégie forêt de l'Union européenne vient appuyer le train de mesures Fit-for-55, destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030. Pour atteindre cet objectif, l'UE mise principalement sur l'atténuation des émissions à la source, mais elle désire aussi renforcer ses puits de carbone pour éventuellement dépasser ses objectifs climatiques. Seul bémol, la perte du couvert arboré s'accélère en Europe et l'état de conservation « médiocre », dans lequel se trouvent les forêts actuellement, impacte la capacité de stockage de ces puits de carbone. Dans ces conditions, l'UE propose aux États membres une nouvelle stratégie de gestion qui pose les grandes lignes à suivre pour accroître les puits de carbone et met en lumière l'intérêt de garder les forêts en bonne santé. Condition sine qua non, selon la Commission, pour bénéficier de forêts « multifonctionnelles ».
Protéger les forêts et augmenter leur résilience
Virginijus Sinkevicius, le commissaire à l'environnement, souligne : « Seules des forêts résilientes pourront permettre d'assurer cette multifonctionnalité ». Dans les termes, la nouvelle stratégie forêt propose de protéger les forêts en place, d'en planter d'autres et d'instaurer des modes de gestion « proches de la nature ».
« Pour la première fois, un cadre est proposé pour construire une politique forestière s'appuyant sur les écosystèmes et un objectif clair de restauration de la biodiversité », salue Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour l'association Canopée. En effet, la stratégie s'engage à « protéger strictement » les « forêts anciennes et primaires ». Elle devrait d'ailleurs définir plus précisément ces termes d'ici la fin de l'année.
Cependant, les forêts primaires sont rares en Europe. Il est donc essentiel de restaurer et accroître la résilience des forêts dégradées par les nombreuses pressions que sont la sécheresse, les feux de forêt, et les insectes ravageurs comme le scolyte. Et comme la capacité de stockage des forêts dépend aussi des modes d'exploitation, la stratégie européenne entend peser sur les pratiques de gestion potentiellement problématiques, telles que les coupes rases et les monocultures. En cela elle s'oppose donc directement à l'industrie du bois. Mais surtout, le document prône un système d'indemnisation pour les propriétaires qui décideraient d'adopter des techniques vertueuses ou de laisser intacte une partie de leur domaine. Une certification volontaire est également prévue, qui valorisera les techniques de gestion les plus vertueuses.
Le paradoxe du bois comme énergie renouvelable
La biomasse ligneuse étant considérée comme une énergie renouvelable en Europe, l'exploitation des forêts non primaires devrait augmenter avec la sortie du paquet Fit-for-55. Une situation qui risque de compromettre les objectifs d'agrandissement des puits de carbone. Balancée entre la chèvre et le chou, la Commission souligne dans sa stratégie « la nécessité de maintenir l'utilisation de la biomasse ligneuse dans les limites de la durabilité » et incite les États membres à suivre le « principe de l'utilisation en cascade ».
Conjointement à cette stratégie, la Commission a déposé une feuille de route pour la plantation de 3 milliards d'arbres d'ici à 2030 afin de verdir les espaces urbains et péri-urbains. La Commission espère ainsi aider à compenser la perte de biodiversité observée à travers toute l'Europe.
Un sujet sensible
Pour que ces efforts ne soient pas vains, l'Europe a besoin de données complètes sur l'état des forêts. Pour le moment, la gestion de la filière bois revenant aux États membres, les données sont encore parcellaires. C'est pourquoi la stratégie forestière annonce une proposition législative qui harmonisera la collecte des données au niveau européen et qui contraindrait les États membres à transmettre leurs rapports. Une possibilité que certains pays ne cautionnent pas. Après la fuite de documents préparatoires en juin, dix pays européens dont la France, ont écrit une lettre à la Commission pour dénoncer « le manque de prise en compte des aspects socio-économiques » de cette stratégie. Ils ont fait valoir que la filière bois représentait 3,6 millions d'emplois en Europe.
En parallèle, pour les associations de protection de l'environnement comme Canopée, ces propositions vont « dans le bon sens » quoique potentiellement « insuffisantes » au regard des pressions croissantes qui pèsent sur les forêts. « Le fait que la commission ait résisté aux sirènes des partisans d'une gestion forestière plus intensive est à souligner », relève Sylvain Angerant, fondateur de l'association.