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Préemption dans les espaces sensibles : la validation législative est conventionnelle

Le juge administratif estime conventionnelle la loi palliant l'erreur de codification du code de l'urbanisme, qui avait supprimé l'article permettant au Conservatoire du littoral de préempter les zones sensibles délimitées avant 1985.

DROIT  |  Commentaire  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°321
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°321
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 Préemption dans les espaces sensibles : la validation législative est conventionnelle
Samuel Deliancourt
Premier conseiller, rapporteur public, CAA Lyon, professeur associé, faculté de droit de Saint-Étienne, université Jean-Monnet
   

Une association a décidé de céder une partie des terrains dont elle est propriétaire. D'une superficie d'une dizaine d'hectares (ha), situés au bord du lac Léman, ceux-ci avaient été classés en 1979 par le préfet de la Savoie en espaces naturels sur le fondement de la loi du 31 décembre 1976 (1) portant réforme de l'urbanisme. Faisant suite à la déclaration d'intention d'aliéner (DIA), le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres qui s'était substitué (2) au département avait décidé, sur le fondement de l'article L. 215-14 du code de l'urbanisme (3) , de les préempter. Alors que les recours sont souvent exercés par les acquéreurs évincés, c'est ici le vendeur, l'association donc, qui a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Grenoble. Ce dernier a fait droit à sa demande d'annulation par un jugement du 25 janvier 2021 dont le Conservatoire a relevé appel devant la cour administrative d'appel de Lyon.

Pourquoi cette annulation ? En raison d'une erreur de codification… L'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme, ratifiée par l'article 156 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, a procédé à une nouvelle codification des dispositions relatives aux espaces naturels sensibles (ENS), et notamment celles relatives au droit de préemption dans ces espaces, aux articles L. 215-1 et suivants. Ce texte a également abrogé, à compter du 1er janvier 2016, la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure, mais sans reprendre les dispositions de l'article L. 142-12 dudit code ! Aussi, depuis cette date, le droit de préemption prévu aux articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme n'était-il plus applicable dans les zones de préemption qui avaient été créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d'aménagement, sauf à ce que les départements les ait incluses dans les zones de préemption qu'ils avaient eux-mêmes créées au titre des ENS. Il s'agit d'une malfaçon législative, d'une erreur légistique. L'exercice du droit de préemption par le Conservatoire de l'espace littoral dans les espaces délimités avant l'intervention de la loi du 18 juillet 1985 était donc dépourvu de toute base légale et l'annulation était tout aussi inévitable que fondée (4) . Cette maladresse emportait de nombreuses conséquences juridiques, pratiques et financières importantes : le Conservatoire a conclu dans ces zones créées avant 1986 une centaine de transactions. Depuis 2016, les actes d'acquisitions sont estimés à 4,5 millions d'euros pour une surface de 290 ha.

Le législateur est intervenu afin d'éviter que les décisions de préemption prises soient annulées. C'est ainsi que fut voté l'article 233 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets qui a rétabli, à l'article L. 215-4-1 du code de l'urbanisme, ce droit de préemption dans les zones concernées et prévu en son II que : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les décisions de préemption prises entre le 1erjanvier 2016 et l'entrée en vigueur du présent article, en tant que leur légalité est ou serait contestée par un moyen tiré de l'abrogation de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme par l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ierdu code de l'urbanisme ». La constitutionnalité de cette disposition avait été contestée, sans succès, devant la cour administrative d'appel de Lyon (5) , qui était également saisie de sa conventionnalité dans le cadre de l'appel de ce jugement d'annulation intenté par le Conservatoire.

La Convention européenne des droits de l'homme ne proscrit pas l'intervention de lois de validation mais elle les encadre. Si, en principe, le pouvoir législatif n'est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 s'opposent (6) , sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement judiciaire du litige. « Pour être compatible avec ces stipulations, l'intervention rétroactive du législateur en vue de modifier au profit de l'État les règles applicables à des procès en cours doit reposer (7) sur d'impérieux motifs d'intérêt général ». La limitation de recours contentieux (8) comme l'insécurité juridique  (9) ou encore un intérêt financier destiné à assurer un équilibre, admis tant par le Conseil d'État que la Cour de cassation (10) , constituent autant de motifs. La cour administrative d'appel de Marseille, saisie d'une question similaire, avait jugé  (11) que « La mesure de validation résultant des dispositions précitées du II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021, qui n'institue pas un droit de préemption, est précisément définie dans le temps comme par son objet, ne poursuit pas un objectif exclusivement financier, et tend à sécuriser juridiquement les actes concourant à la politique menée par les départements en faveur de la protection des espaces naturels sensibles et de la préservation de la biodiversité ». La disposition législative querellée valide en effet l'exercice du droit de préemption, lequel ne porte pas atteinte au droit de propriété, dans des espaces sensibles préalablement délimités dans un souci de protection et d'ouverture desdits espaces au public. Aussi, suivant en cela la position précédemment adoptée par la juridiction d'appel phocéenne, la juridiction d'appel lyonnaise estime que « les décisions de préemption ainsi validées par le II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021 ont été adoptées sur le fondement des articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme, précédemment codifiés aux articles L. 142-1 et suivants du même code. Il résulte de ces dispositions que le droit de préemption dans les espacesnaturelssensiblesinstitué au profit des départements, et, par substitution, du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, poursuit l'objectif de protection et d'ouverture au public de ces espaces, lequel constitue un objectif d'intérêt général. Les espaces soumis à ce droit sont ceux dans lesquels la qualité des sites, des paysages, des milieuxnaturelsou des champsnaturelsd'expansion des crues mérite d'être préservée et les habitatsnaturelssauvegardés. L'exercice de ce droit n'est possible que dans des zones préalablement délimitées à cette fin, dans le cadre d'une politique d'ensemble de protection, de gestion et d'ouverture au public de ces espaces, à laquelle ne pourrait se substituer de façon équivalente la juxtaposition d'initiatives privées de protection de ces espaces. Les décisions de préemption doivent elles-mêmes répondre aux objectifs de cette politique et être justifiées par la protection des parcelles en cause et leur ouverture ultérieure au public, sous réserve que la fragilité du milieunaturelou des impératifs de sécurité n'y fassent pas obstacle. En vertu de l'article L. 215‑21 du code de l'urbanisme, les terrains acquis en vertu de ce droit de préemption doivent faire l'objet d'un aménagement, compatible avec la sauvegarde des sites, des paysages et des milieuxnaturels, en vue de leur ouverture au public, sous la même réserve, et la personne publique qui en est propriétaire doit les préserver, les aménager et les entretenir dans l'intérêt du public. Enfin, en vertu de l'article L. 215-22 du même code, si un terrain acquis par l'exercice de ce droit n'a pas été utilisé comme espacenaturel, dans les conditions ainsi définies, dans un certain délai, l'ancien propriétaire ou ses ayants cause universels ou à titre universel peuvent en obtenir la rétrocession. ». Est ainsi censuré le motif d'annulation retenu par les premiers juges.

La cour examine ensuite les autres moyens soulevés par la voie de l'effet dévolutif de l'appel. L'association soutenait notamment que la DIA était irrégulière en raison des pressions qui auraient été exercées par le notaire mandaté par le Conservatoire sur celui qui la représentait, sans cependant le prouver, et que le délai d'efficacité stipulé dans la promesse unilatérale de vente n'avait pas été respecté. Ce dernier moyen est écarté comme inopérant (12) , l'irrégularité de la DIA envoyée après l'expiration dudit délai étant, en l'absence de fraude établie, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption.

1. L. n° 76-1285, 31 déc. 1976 : JO 1er janv. 19972. C. env., art. L. 215-53. Drobenko B., Le droit de préemption des espaces naturels sensibles comme technique de maîtrise foncière environnementale, RJE 2006, p. 1254. V. CE, 29 juill. 2020, n° 439801, GFA Jourdain Pugibet, AJDA 2021, p. 254, note Viangalli F. et Yolka Ph.
5. CAA Lyon, 5 juill. 2022, n° 21LY00702
6. V. par ex. CEDH, 9 déc. 1994, n° 13427/87, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis ; CEDH, 22 oct. 1997, n° 24628/94, Papageorgiou ; CEDH, 28 oct. 1999, n° 24846/94, Zielinski c/ France7. CE, avis, 27 mai 2005, n° 277975 : Lebon, Provin8. Par ex., CE, 18 nov. 2009, n° 307862 : Lebon T., Société Établissements Pierre Fabre, Procédures 2010, comm. 23, note Deygas S.9. Par ex., CE, 26 janv. 2011, n° 344204 : Lebon T., SAS Auxa10. Cass 1ère civ., 9 juill. 2003, n° 99-15.213, Dolléans, JCP G 2004, II 10016, note Prétot X.11. CAA Marseille, 21 mars 2022, n° 21MA00201812. V. par ex., CE, 26 juill. 2011, n° 324767 : Lebon T., SCI du Belvédère ; CE, 12 févr. 2014, n° 361741 : Lebon T., Société Ham Investissement ; CE, 1er mars 2023, n° 462877 : Lebon T., Corandi

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