A la demande du Sénat, la Cour des comptes a sorti sa calculette et a enquêté sur les soutiens financiers publics mobilisés pour développer les énergies renouvelables (1) . Tarif d'achat d'électricité, complément de rémunération, crédit d'impôt, subventions d'investissement... Ces soutiens prennent plusieurs formes. Pour 2016, la somme de ces dépenses a atteint 5,3 milliards d'euros. Deux tiers de ce budget correspondent à des charges contractées avant 2011, date du moratoire sur le photovoltaïque. Les contrats de tarifs d'achat courent en effet sur 15 voire 20 ans. Si la France atteint son objectif de 23% d'ENR dans son mix énergétique en 2020, cette enveloppe passera à 7,5 milliards en 2023 dont 6,5 milliards rien que pour les ENR électriques. Même si pour l'instant la trajectoire française n'est pas orientée favorablement pour atteindre cet objectif, les estimations budgétaires inquiètent la Cour des comptes.
Surtout qu'elle constate, en regard, que "le tissu industriel français à peu profité des ENR". "Contrairement à d'autres Etats européens, la France n'est en effet pas parvenue à se doter de champions dans ce secteur". En cause ? "Le manque de stratégie claire et de dispositifs de soutien stables et cohérents". Les retombées économiques sont réelles puisque le chiffre d'affaires réalisé dans toutes les activités a plus que doublé depuis 2006 en passant de 10,4 à 21,3 milliards d'euros en 2016. Mais seuls quelques industriels ont su tiré leur épingle du jeu en se positionnant sur des marchés spécifiques : chaudières biomasse de grande puissance, panneaux solaires hydrides ou éoliennes résistantes aux cyclones... Et c'est sans oublier les impacts sur la balance commerciale de la France. Les filières les plus importatrices d'équipements sont le solaire et l'éolien, les deux filières sur laquelle la France s'appuie le plus pour modifier son mix énergétique.
Préparer une PPE cohérente financièrement
A ce constat, la Cour des comptes associe des recommandations. Et notamment, alors que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) est en révision, elle appelle à plus de cohérence entre objectifs et budget. Selon elle, le coût des ENR doit être connu de tous et faire parti du débat. "Les coûts de production et les prix, actuels et prévisionnels de l'ensemble du mix énergétique programmé dans la PPE doivent être utilisés pour contenir le volume des soutiens publics associés aux objectifs". Une approche que ne partage par Fabrice Boissier, délégué général de l'Ademe : "L'incertitude est énorme donc la prospective doit être prudente. La maîtrise de la demande en énergie sera un facteur déterminant et notamment au niveau européen. Il ne faut pas regarder que les coûts mais aussi les bénéfices sociaux et environnementaux de ces filières".
Un dixième des soutiens pour la chaleur
Concernant les ENR, cette réflexion budgétaire pourrait bénéficier à la chaleur renouvelable qui aujourd'hui doit être multipliée par cinq d'ici 2030 mais à qui le gouvernement n'octroie qu'un dixième des soutiens. Selon l'Ademe, le ratio moyen de soutien via le fonds chaleur est de 30€ par tonne équivalent pétrole (tep), alors que le soutien aux centrales solaires photovoltaïques au sol représente aujourd'hui environ 140€/tep. "Ces charges ne sont ainsi pas proportionnelles au poids des filières dans la production énergétique actuelle ou programmée : en 2016, les EnR thermiques représentaient 60% de la production d'énergie renouvelable (hors transport) et seulement 10% des charges de soutien." Le doublement du fonds chaleur est ainsi une évidence pour la Cour des comptes. Surtout que, selon Fabrice Boissier de l'Ademe, "la hausse de la taxe carbone dans les années à venir diminuera les besoins en subventions pour les projets. Pour 2020 on aurait besoin de 300-350 millions d'euros".
Pour les ENR électriques, le ton de la Cour des comptes est plus contraignant. Elle défend l'outil des appels d'offres pour contenir les prix et préconise que les parcs de six turbines y soient soumis. Aujourd'hui seuls les parcs de plus de six mâts passent par appel d'offres. Une proposition défendue par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) mais à laquelle le Syndicat des énergies renouvelables (SER) n'est pas favorable.
Vers un plafond de dépenses annuelles de soutien ?
En matière de gouvernance, la Cour des comptes préconise de mieux associer le Parlement à la définition des objectifs et aux volumes financiers de soutien aux ENR. Une préconisation à laquelle le sénateur Jean-François Husson adhère totalement : "Le Parlement n'a pas voix au chapitre pour la préparation de cette PPE, qui se fait par décret. C'est une anomalie démocratique au regard des budgets que cela induit", estime-t-il, "alors que depuis la réforme de la CSPE [charge pour le servive public de l'électricité] les parlementaires sont amenés à se prononcer sur l'enveloppe budgétaire via la loi de finances." Sur ce point Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, auditionné par les sénateurs, a expliqué que "nous envisageons un mécanisme qui permettrait de présenter dans le budget voté chaque année non seulement les crédits nécessaires pour les engagements de l'année à venir mais aussi la traduction pluriannuelle des engagements, comme par exemple les calendriers d'appel d'offres".
Nombre de sénateurs prônent toutefois l'écriture d'une loi de programmation. Une option malvenue pour Jean-François Carenco, président de la CRE. "Il faut éviter de se fixer des choses dans une loi alors qu'on est sur un sujet qui évolue énormément. Dès que l'on voudra sortir des clous, on sera confronté au tribunal. Il faut que ça reste évolutif", estime-t-il. Mais Jean-Francois Husson n'exclut pas de proposer une telle loi en ce sens. Elle pourrait être l'occasion de modifier la loi de transition énergétique pour acter du recul de l'objectif nucléaire de 50% et pour intégrer de nouveaux objectifs de déploiement ENR. Mais ces objectifs seront-il choisis en fonction des objectifs que la France se fixe ? Ou en fonction du budget qu'elle est prête à y consacrer ?