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Protection des captages : Grenoble et sa métropole bataillent sur tous les fronts

Chlorates et perchlorates menacent la qualité de la ressource en eau de la majorité des métropolitains grenoblois. Recours juridique, discussions avec des industriels et l'État : la Ville et la Métropole essayent de réduire le risque.

Décryptage  |  Eau  |    |  D. Laperche
Protection des captages : Grenoble et sa métropole bataillent sur tous les fronts

La protection des zones de captage d'eau potable reste décidément un combat de longue haleine. Même la principale ressource grenobloise, qui dispose d'un des plus grands périmètres de protection d'Europe et d'une solide réputation dune eau de bonne qualité, pourrait être menacée. En cause ? Un fonctionnement en silos de sa gestion avec plusieurs échelons de responsabilité, une connaissance imparfaite de la circulation de l'eau souterraine et un imbroglio juridique. En effet, des déversements industriels - normalement exclus par un arrêté d'utilité publique (1) de 1967 à hauteur des champs de captage - ont été autorisés par des arrêtés ICPE.

Si la nappe qui sert à l'alimentation en eau d'une grande partie des Grenoblois n'est pas directement concernée par cette pollution, elle pourrait toutefois être contaminée par transfert de molécules indésirables. De nouvelles études identifient en effet un risque de pollution. Ce qui pousse la métropole, responsable de la surveillance des captages, de la production et de la distribution de l'eau potable, à chercher des solutions pour la préserver, tout en composant avec le contexte particulier de l'eau souterraine de la capitale des Alpes.

Des barrières pour contenir une pollution historique…

Initialement abordée comme un tout, la nappe du Drac et de la Romanche, qui alimente la métropole alpine, a été artificiellement découpée en 2013 pour assurer un meilleur suivi de sa qualité dans le cadre d'un rapportage européen. « Une partie de la nappe souterraine est extrêmement polluée, une des plus polluée du pays. Pour éviter un effet de dilution par une vision de l'ensemble de la masse d'eau, celle-ci a été divisée », explique Anne-Sophie Olmos, vice-présidente chargée du cycle de l'eau à la métropole de Grenoble. Désormais, la nappe est théoriquement répartie en plusieurs masses d'eau, dont celle en rive gauche du Drac, la masse 371, en bon état, dans laquelle Grenoble-Alpes Métropole puise 40 % de ses besoins. À l'inverse, celle en rive droite du Drac, la masse 372, est fortement contaminée, notamment par des organo-halogénés volatils (COHV) et des pesticides. Une grande partie de cette pollution n'est toutefois pas nouvelle et est liée depuis 1916 à des productions industrielles.

Pour préserver la principale ressource en eau du territoire, plusieurs solutions de protection ont été appliquées de longue date.

 Outre le périmètre de protection (2) instauré par arrêté préfectoral depuis 1967, la collectivité responsable de la production d'eau potable a mis en œuvre, depuis 1969, une barrière hydraulique pour stopper la diffusion des contaminants de la masse d'eau 372 vers la 371. Concrètement, de l'eau de bonne qualité puisée dans le Drac en amont du champ captant est injectée vers les puits d'eau potable pour créer un barrage et éviter l'arrivée d'eau contaminée.

Une autre initiative a également été mise en œuvre directement sous l'une des principales sources de contamination : la plateforme électrochimique de Jarrie. « Cette plateforme a accueilli les installations militaires qui ont fabriqué des gaz de combat [chlore et de chlorure de chaux] durant la guerre de 1914-1918, indique Raymond Avrillier, militant écologiste et maire-adjoint honoraire de Grenoble. Désormais, elle accueille des industries chimiques spécialisées dans la production du chlore, comme Arkema, et des installations qui extraient le zirconium qui sert pour la fabrication d'assemblages de combustibles nucléaires pour Framatome. » L'option retenue utilise la dépression créée par le pompage de l'eau souterraine sur la plateforme chimique pour induire une convergence des écoulements souterrains contaminés et éviter ainsi les transferts vers les puits d'eau potable.

... qui comportent des failles

Une situation qui reste toutefois insatisfaisante pour la métropole. « Nous surveillons les puits des captages tous les jours depuis le transfert de compétence en 2015 et les transferts sont avérés : certains puits sont plus touchés que d'autres ; nous retrouvons des contaminants, principalement des chlorates et des perchlorates, souligne Anne-Sophie Olmos. Par ailleurs, nous ne sommes pas à l'abri d'un accident sur la plateforme chimique qui perturbe le pompage ou d'un problème sur notre barrière hydraulique. »

“ Nous surveillons les puits des captages tous les jours depuis le transfert de compétence en 2015 et les transferts [de pollution] sont avérés ” Anne-Sophie Olmos, Grenoble-Alpes Métropole
Pour mieux comprendre l'origine de la contamination de ses puits par des solvants organochlorés malgré les protections en place, la métropole de Grenoble a sollicité la société d'ingénierie et de conseil Antea pour réaliser une étude, avec des campagnes de prélèvements et d'analyse lancées en 2020 et 2021 sur les deux masses d'eau. Les résultats, dévoilés fin 2022, montrent que la nappe d'eau 372 contaminée l'est principalement du fait des rejets des plateformes chimiques de Jarrie et de Pont-de-Claix. Les principaux polluants sont deux COHV (le tétrachloroéthylène et l'hexachlorobutadiène) ainsi qu'un pesticide (le béta-hexachlorocyclohexane). Ils décrivent également les relations entre les deux masses d'eau et montrent les situations dans lesquelles les transferts de contaminants sont effectivement possibles. « Nous avons obtenu de l'agence régionale de santé qu'elle mandate deux hydrogéologues agréés pour qu'ils donnent un avis au vu des connaissances nouvelles de l'étude d'Antea, précise Bruno Maneval, directeur général adjoint du pôle environnement de Grenoble-Alpes Métropole. Le rapport dit clairement qu'il faut aller vers un déplacement des rejets des industriels en aval de la zone d'influence des captages. »

Car malgré les différents niveaux de protection de la zone de captage établies par l'arrêté de 1967, des autorisations de rejets industriels ont été accordées. « Ces autorisations successives de rejets n'auraient pas dû être délivrées, estime Anne-Sophie  Olmos. Par ailleurs, les chlorates et les perchlorates n'étaient pas autorisés avant 2016. C'est à la suite d'un contrôle de la Dreal qu'il y a eu une régularisation et qu'ils ont été autorisés. » Depuis, un arrêté préfectoral complémentaire impose une « maîtrise des rejets aqueux chargés en chlorates ».

Bataille juridique pour stopper les rejets industriels

« Nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir une forme de vulnérabilité de la nappe et de l'eau potable, estime Christophe Ferrari, président de Grenoble-Alpes Métropole. Nous avons fait des demandes auprès de l'État, du préfet de l'Isère et des différents services pour qu'ils revoient à la baisse les autorisations de rejets d'Arkema et que l'exutoire ne soit plus situé en proximité de la Romanche mais plus en aval, pour les éloigner des puits de captage. Nous avons aussi rencontré les directions nationale et locale d'Arkema pour qu'ils prennent en compte ce risque. » Une évaluation technique et financière du déplacement du point de rejet a été réalisée et des discussions sont en cours avec l'industriel.

Un certain nombre de recours ont également été lancés pour tenter de faire cesser la contamination des masses d'eau. « J'ai porté des référés-suspension, libertés, et au fond, en suspension et en annulation des autorisations environnementales de rejets pollués des ICPE, mais à chaque fois, le juge m'a opposé qu'il n'y avait pas d'urgence à agir comme la contamination durait depuis des décennies et que des mesures de protection ont été mises en place, indique Raymond Avrillier. Le dossier au fond en instruction par le tribunal administratif est en attente sans réponse du préfet depuis plus d'un an ».

Autre initiative : la Ville de Grenoble a ouvert une procédure administrative contre la préfecture de l'Isère pour annuler les autorisations de rejets. Elle a également déposé plainte contre X concernant la contamination des deux masses d'eau. La vice-présidente chargée du cycle de l'eau à la métropole a, quant à elle, fait un signalement auprès du procureur concernant ces rejets mais aussi pour signaler l'installation de carriers dans le lit du Drac, en face des champs de captage. « Le statut d'agent du service public ou élu implique, quand nous avons connaissance d'une irrégularité, de la signaler au procureur, indique Anne-Sophie Olmos. Le procureur a donc ouvert deux enquêtes depuis février 2023. La Ville de Grenoble s'est portée partie civile sur les deux points. »

Une dérogation DCE pour la masse d'eau 372

De son côté, l'État s'attelle à gérer la situation au regard des objectifs de qualité imposés par l'Europe. Le mauvais état de la nappe 372 est contraire à l'objectif poursuivi par la directive-cadre sur l'eau (3) . À la suite de l'état des lieux des masses d'eau du bassin Rhône-Méditerranée-Corse réalisé pour le cycle de gestion des eaux 2016-2021, il a été décidé de définir un objectif moins strict pour cette nappe et des études ont été réalisées par le BRGM,  (4) puis Anteagroup (5) pour justifier cette demande de dérogation. 

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C'est le nombre de masses d'eau souterraine pour lesquelles un objectif moins strict que le bon état chimique va être fixé pour la période 2022 à 2027 dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, dont la masse d'eau 372, soit 12 % des nappes.

Pour tenter néanmoins de bloquer de nouvelles contaminations qui s'ajouteraient à la pollution historique, un projet s'est intéressé à l'une des principales sources : l'ancienne décharge industrielle de la plateforme de Pont-de-Claix. Nommé « remédiation optimisée de la décharge ouest » (Rodéo), il vise à créer une sorte de sarcophage pour éviter le lessivage du sol et l'entraînement des substances dans les eaux souterraines. Porté par Solvay, les travaux ont démarré en janvier 2024, pour une durée estimée à trente-six mois.

Un premier petit pas vers l'amélioration de la nappe. Car aujourd'hui, la contamination est telle qu'elle exclut certains usages. « Avant la sécheresse de 2022, la Ville de Grenoble a souhaité creuser des forages pour remplir nos piscines publiques d'eau de nappe [nappe 372], pour éviter de mettre de l'eau potable, explique Anne-Sophie Olmos. Mais l'ARS nous a informés de l'existence d'un nouveau décret interdisant une utilisation pour de la baignade au-delà de certains seuils de pollution, qui dans ce cas sont dépassés. Si nous voulions faire autrement, ce serait à la Ville de Grenoble de payer la dépollution de la contamination industrielle. » Ce qu'elle n'envisage pas.

L'animation des eaux souterraines pourrait être portée par la métropole

La question des usages possibles de la masse d'eau contaminée - par exemple l'arrosage des jardins dans le cas de puits privés – a d'ailleurs suscité beaucoup de questions et d'inquiétudes de la population... sans obtenir de réponses claires de l'État. « Chacun a tendance à travailler en silo : la Dreal s'occupe des ICPE, l'ARS surveille les résultats d'analyse pour l'eau potable. Et les services de l'État ont du mal à répondre aux questions des maires, détaille Bruno Maneval. Pour y remédier, les services de l'État ont sollicité la Métropole pour qu'elle prenne en charge l'animation du travail collectif et le portage de l'ingénierie afin que les actions soient menées en prenant en compte la globalité du sujet. » En mars dernier, la métropole a voté en faveur de cette prise de compétence supplémentaire, celle de l'animation de la gestion des eaux souterraines. « Nous sommes aujourd'hui en attente de la prise de compétence officielle, détaille Anne-Sophie Olmos. Et ensuite, nous pourrons effectuer un suivi beaucoup plus récurrent et complet de cette nappe, avec un poste qui pourra être financé par l'agence de l'eau. Le protocole que nous mettrons en place devrait être travaillé dès la validation de la compétence nouvelle. »

Autre chantier à forts enjeux, mais au long cours : la révision de la déclaration d'utilité publique de 1967. « Nous avons demandé à des hydrogéologues agréés par l'État de déterminer ce qui influence la nappe, ce qui va délimiter les périmètres de protection des champs de captageUne étude pour comprendre les effets du changement climatique sur les nappes est également lancée ; elle devrait prendre un peu de temps… La révision de la DUP ne pourra pas se faire avant 2026 ou 2027, estime Anne-Sophie Olmos. Nous transmettrons l'ensemble des résultats aux services de l'État, qui établiront l'arrêté en les prenant en compte… ou pas. »

1. Télécharger l'arrêté portant déclaration d'utilité publique de travaux projetés par la ville de Grenoble
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-44071-declaration-utilite-publique-protection-zone-captage-eau-grenoble.pdf
2. Lire Protéger les captages en amont pour soulager les réseaux
https://www.actu-environnement.com/ae/dossiers/eau-potable-reseaux/proteger-captages-amont-soulager-reseaux.php
3. Lire Elaboration des Sdage 2022027 : le défi du bon état des eaux <br /> <br />
https://www.actu-environnement.com/dossier-actu/bon-etat-directive-cadre-europeenne-eau-dce-sdage-2022-2027-consultation-87
4. Télécharger le rapport du BRGM
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-44071-elaboration-argumentaire-objectif-moins-strict-dce.pdf
5. Télécharger le rapport d'Anteagroup
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-44071-qualite-eaux-souterraines-grenobloises-anteagroup.pdf

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