La concertation sur la mise en place d'un nouveau cadre de régulation pour la filière photovoltaïque, menée par Jean-Michel Charpin, inspecteur général des Finances et Claude Trink, ingénieur général des Mines, démarrait ce 20 janvier dans une ambiance des plus tendues. Depuis que le gouvernement a décidé de maintenir sa décision de suspendre pendant trois mois les autorisations de raccordement au réseau des installations photovoltaïques de plus de 3 kilowatts crête (kWc), via la publication d'un décret le 10 décembre dernier, les professionnels sont vent debout. Gel des investissements et de l'emploi, licenciements, frilosité des banques… Autant de conséquences pour la filière d'ores et déjà dénoncées par le secteur.
L'association professionnelle de l'énergie solaire Enerplan a d'ailleurs entamé deux recours contre cette décision, démarches qu'elle a présentées à la presse ce 20 décembre, quelques heures avant la première rencontre des parties prenantes. ''On ne se fait pas énormément d'illusions sur la concertation, commente André Joffre, vice-président d'Enerplan. Je crains une opération de communication qui vise à faire avaliser par les professionnels le rapport Charpin…''.
Un recours contre le manque de transparence du gouvernement
Les emplois sont également touchés. ''Evasol a créé 380 emplois en trois ans et nous avions prévus 150 emplois supplémentaires en 2011. Des emplois qui sont désormais suspendus'', déplore Stéphane Maureau, PDG de la société.
Selon le Syndicat national des installateurs du photovoltaïque (Synaip), 60 % du carnet de commande de ses 100 adhérents ont été annulés. ''L'impact du moratoire ne pèsera pas trois mois mais dix à douze mois, le temps que les dossiers soient redéposés et validés'', explique le vice-président du Synaip.
Si la plupart des parties prenantes est d'accord avec l'idée d'assainir cette file d'attente, la méthode employée par l'Etat est jugée injuste et inefficace. ''On sait qu'il y a des projets d'opportunité dans cette file d'attente. Le gouvernement nous avoue en off qu'il n'a pas les méthodes pour séparer le bon grain de l'ivraie. Or, avec ce moratoire, ce sont certainement les spéculateurs qui vont s'en sortir le mieux'', analyse André Joffre, et d'interroger : ''pourquoi cette file d'attente est gardée comme un secret d'Etat ?''.
Enerplan demande que soit publié le détail de cette liste sur laquelle se fonde le gouvernement (localisation des projets, types, puissance installée…) afin que la concertation se fasse dans la transparence. ''Le gouvernement a un mois pour répondre. Le 10 janvier, Enerplan se réserve la possibilité de saisir la Commission d'accès aux documents administratifs'', prévient Arnaud Gossement.
Un recours devant le Conseil d'Etat pour faire annuler le décret
Mais Enerplan ne s'arrête pas là… Après le fonds, la forme : ''ce texte n'est pas un décret de suspension mais bel et bien un décret de purge qui a plongé toute la filière dans un coma artificiel'', analyse Richard Loyen, délégué général d'Enerplan.Le moratoire est en effet mis en place le temps qu'un nouveau cadre réglementaire soit défini. Et c'est là que le bât blesse, explique Arnaud Gossement : ''les règles auront changé après le moratoire, ce n'est donc pas une suspension mais une purge. Les dossiers devront être refaits après ce délai de trois mois. La procédure de suspension est détournée, la loi est violée''.
Autre point important : la rétroactivité du décret, publié le 10 décembre : "la jurisprudence est constante: le Conseil d'Etat a toujours considéré qu'un décret ne peut être rétroactif. Le droit européen estime également que la rétroactivité viole le principe de confiance légitime ", avance le juriste.
''La rétroactivité des dispositions fait que les projets actuellement en cours de construction ne pourront pas bénéficier du tarif d'achat'', ajoute Richard Loyen.
Ainsi, Enerplan, l'association des producteurs de l'électricité solaire indépendants (APESI) et l'association des producteurs-exploitants agricoles ont décidé de saisir ''au plus tard le 21 décembre au matin'' le Conseil d'Etat afin de demander l'annulation de ce décret. Une telle décision du Conseil d'Etat conduirait à une indemnisation des entreprises, a précisé Arnaud Gossement.