Le solaire thermodynamique (CSP, pour Concentrating Solar Power)reprend des couleurs en France, avec en ligne de mire les marchés internationaux, ont expliqué des représentants du secteur réunis à l'occasion du 3e colloque Solaire thermodynamique organisé par le Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Après "le coup d'éclat" de la centrale Thémis en 1983, la technologie est tombée dans l'oubli en France. Mais, elle fait l'objet d'un regain d'intérêt depuis 2005, explique Roger Pujol, président de la commission Solaire thermodynamique du SER. Cependant, "il n'est pas question de construire de grandes capacités en France, mais plutôt de construire une vitrine pour l'international". En effet, si la France a fixé un objectif de 540 mégawatts (MW) d'électricité à partir de CSP en 2020, objectif qui ne sera pas atteint, selon les professionnels, la relance du secteur est avant tout motivée par l'exportation.
10% du marché mondial
Actuellement, les perspectives de développement de la filière portent, au niveau mondial, sur une capacité installée de 14 gigawatts (GW) en 2020, contre moins de 3 GW en 2012, explique Alexis Gazzo, directeur de mission chez Ernst & Young, qui a présenté une étude des retombées économique potentielles de la filière française réalisée pour le compte du SER. L'estimation est "conservative" insiste le consultant. Et pour cause, Cédric Philibert, spécialistes des renouvelables à l'Agence internationale de l'énergie (AIE), rappelle pour sa part qu'entre 2010 et 2013 l'AIE avait drastiquement revu à la baisse ses perspectives pour 2020, les réduisant de 147 GW à 17-20 GW.
Ernst & Young estime que si les industriels français captaient 10% du marché mondial entre 2013 et 2020, un marché évalué à 75 milliards d'euros, le potentiel de création de valeur directe, indirecte et induite en France serait d'"un peu plus de 1 milliard d'euros" sur la période, principalement via la fabrication d'équipements et l'ingénierie. Ainsi, chaque "tranche" de 100 MW exportée créerait environ 50 millions d'euros d'activité en France. Côté emploi, l'étude annonce une activité de l'ordre de 20.000 postes en équivalents temps plein annuel en additionnant les emplois préservés et créés, qu'ils soient directs, indirects ou induits.
Si les acteurs français du solaire thermodynamique se veulent optimistes, c'est surtout parce qu'il y a peu d'acteurs au plan mondial capables de mener à bien la totalité d'un projet. Or, la France possède des compétences sur toute la chaîne de valeur, rapporte Alexis Gazzo, et "si la France s'en donne les moyens, la part française pourrait être supérieure à 10% du marché mondial". Et les représentants de la filière d'inviter l'Etat à soutenir la filière, notamment via les appels à manifestation d'intérêt indispensables à la construction des "projets vitrines" destinés à convaincre les acheteurs étrangers.
Le photovoltaïque, un redoutable concurrent
Reste que de nombreux écueils pourraient entraver la marche en avant du CSP "made in France". Tout d'abord, après avoir rappelé que cinq projets avaient déjà bénéficié des appels à manifestation d'intérêt (AMI) passés, Jean Guillaume Peladan, directeur des Investissements d'avenir à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), se garde de promettre quoi que ce soit. Il ne ferme pas la porte à un nouvel AMI, mais il met surtout en avant les dispositifs d'investissement en capital dédiés aux entreprises innovantes, à savoir le fonds Ecotechnologies et les prises de participation de l'Ademe. Il insiste aussi sur le soutien des Investissements d'avenir ouvert aux "projets exceptionnels", hors AMI. Il n'est pas certain que la réponse satisfasse les acteurs du secteur.
Par ailleurs, les perspectives du marché mondial semblent encore très incertaines comme l'illustre la révision des estimations de l'AIE. Les déboires du projet Desertec jouent ici un rôle central. "Le message n'est pas très positif", résume Jean Guillaume Peladan, qui juge particulièrement inquiétant pour la filière que Siemens ait jeté l'éponge. Il reste des projets en Afrique du Sud, en Inde, au Maroc ou au Etats-Unis, mais rien de comparable en terme d'envergure. Quant aux futurs développements du CSP, les acteurs s'accordent sur le potentiel lié à l'usage direct de la chaleur, qui s'ajouterait au potentiel lié à la production électrique, mais les perspectives sont encore très floues. L'absence de soutien public, contrairement à la production électrique qui bénéficie de tarifs d'achat et d'appels d'offres, est un facteur pénalisant.
Par ailleurs, le net ralentissement de la recherche en France après la mise en route de Thèmis pèse sur la filière, estime Alain Ferrière, responsable de programme CSP au CNRS. En premier lieu, "il faut avoir à l'esprit" que certains pays ont réalisé un effort de recherches ininterrompu pendant 15 à 30 ans. Quant à la recherche française, "elle n'est pas très active" dans le domaine des champs solaires. C'est d'ailleurs un des paradoxes de la filière pointé par nombres d'intervenants : si la France peut offrir une offre complète, c'est surtout grâce à ses compétences dans les domaines "non solaires" des CSP, une centrale CSP s'apparentant à une centrale thermique qui substitue le soleil aux combustibles usuels.
Enfin, la comparaison avec le photovoltaïque, en terme de coût, reste défavorable au CSP et, pire encore, l'écart de compétitivité s'accroît. Pourtant, le CSP permet de produire du courant de nuit grâce au stockage de la chaleur. Cet aspect est particulièrement important pour gérer un pic de consommation nocturne. C'est pourquoi, l'Arabie saoudite veut associer 25 GW de CSP aux 16 GW de photovoltaïque annoncés pour 2032. De même, l'Afrique du Sud offre un prix d'achat 2,7 fois plus élevé que le prix de base pour l'électricité produite par les CSP entre 16h30 et 21h30. "Le thermodynamique est plus un facilitateur qu'un concurrent du photovoltaïque", estime donc Cédric Philibert. Sur le papier, l'argument fait sens, mais, dans les faits, la mise en concurrence des deux technologies "est une réalité du marché", déplore Emmanuel Peter, directrice technique adjointe d'Areva Solar. Un point confirmé par Jean Pierre Joly, directeur général de l'Institut national de l'énergie solaire (Ines). Et avec des capacités d'installation de plusieurs GW par an, cette concurrence est redoutable.