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Responsabilité sociétale des entreprises : retour sur l'année 2022-2023

L'année 2022-2023 est marquée par la consolidation du reporting extra-financier, mais aussi une montée en puissance de la pression judiciaire, politique et actionnariale.

DROIT  |  Synthèse  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°323
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°323
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Responsabilité sociétale des entreprises : retour sur l'année 2022-2023
Julien Girard
Avocat au Barreau de Paris, Atmos avocas
   

La période « juin 2022 – juin 2023 » a été principalement marquée par une consolidation des réglementations encadrant le reporting extra financier et la communication environnementale, sans oublier une montée en puissance de la pression judiciaire, politique et actionnariale sur les entreprises et leurs dirigeants.

La période étudiée ne semble déroger en rien aux constats qui s'imposent à nous depuis de nombreuses années.

Le 6 septembre 2022 (1) , nous apprenions que la forêt amazonienne, dont il est inutile de rappeler le rôle pour notre planète, et donc pour nous-mêmes, avait atteint son point de non-retour. Fini le crédit, chaque jour passé ampute maintenant un peu plus notre patrimoine vert ; une course contre la montre que la très récente résolution législative (2) du Parlement européen, visant à interdire des produits de tout genre dès lors qu'ils seraient issus de la déforestation, aura beaucoup de mal à enrayer.

Moins de forêts et encore moins de glaciers. Yellowstone, Pyrénées, Kilimandjaro ou encore les Dolomites, d'emblématiques sources de vie seraient promises à une disparation certaine (3) . Ici encore, fini le crédit, chaque jour passé amputant un peu plus notre patrimoine blanc.

Inutile de multiplier les exemples du bouleversement environnemental qui se profile et dont personne aujourd'hui ne pourra dire « qu'il ne savait pas ».

Pourtant, que la transition est lente. Mais qu'espérions-nous ? Qu'un monde dicté depuis près de deux siècles par une course toujours plus effrénée vers le développement et la multiplication de la richesse puisse opérer un virage aussi violent que rapide ? Et cela dans un contexte où les efforts devraient être partagés entre ceux ayant profité des richesses et ceux qui courent toujours après ?

Non, la transition ne peut être, et ne doit pas être, un miracle, mais bien une démarche de changement qui a pris et prendra du temps et qui suppose de lourdes pertes en route.

Certes, quand nous apprenons, par une enquête du Guardian (4) , que les majors pétrolières et gazières sont en train de développer près de deux cents gigantesques projets, des bombes qui entraîneraient chacun au moins un milliard de tonnes d'émissions de CO2 au cours de leur durée de vie, soit au total, l'équivalent d'environ 18 années d'émissions mondiales actuelles, une pointe de pessimisme nous envahit.

Pourtant, du pari du géant BlackRock (5) et de son PDG Larry Fink de miser sur la rentabilité à long terme, le financement de la transition et la place centrale de la raison d'être de l'entreprise, à la reconnaissance explicite, certes légèrement contrainte, par Shell que, pour rester sous 1,5°C de réchauffement, il ne faudra plus augmenter la production de gaz et de pétrole (6) , en passant par l'accélération de la mise en œuvre du Pacte vert pour l'Europe (7) ou l'obtention de la personnalité juridique par une lagune espagnole en danger (8) à l'image des exemples (9) indiens, néo-zélandais ou australien, un optimisme relatif reprend parfois le dessus.

Ce sentiment diffus entre fatalisme et espoir s'impose dans tous composantes et vecteurs de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), à savoir une pression judiciaire grimpante (I), un activisme actionnarial qui cherche son point d'équilibre (II), un nécessaire encadrement de la communication des entreprises (III), une refonte incessante de leur reporting (IV) et leurs initiatives (V).

I- Pression judiciaire

1. Un panel d'infractions environnementales qui s'étoffe

Sans surprise, corolaire d'un étau qui se resserre et d'une prise de conscience réelle mais lente, la justice rattrape progressivement son retard en matière environnementale.

En premier lieu, dans le cadre de la révision de la directive du 19 novembre 2008 sur la criminalité environnementale, le Parlement européen a adopté, le 29 mars dernier, une proposition de directive (10) visant à reconnaître l'écocide dans le droit de l'Union européenne, en le définissant comme  (11) « tout acte causant des dommages graves et étendues, ou graves et durables, ou graves et irréversibles à l'environnement ».

Une fois la notion définie, les eurodéputés se sont penchés sur un cadre d'application étendue de la nouvelle infraction, à savoir une illicéité fondée sur toute violation du droit de l'Union européenne, sur une notion du dommage environnemental qui couvre autant les dommages à la santé humaine que les dommages « à la qualité de l'air, à la qualité du sol ou la qualité de l'eau, à la biodiversité, aux services et fonctions des écosystèmes, aux animaux ou aux plantes », ou encore sur une liste élargie d'infractions identifiées, avec l'ajout des violations à la réglementation sur le mercure, aux directives sur les OGM, à la politique commune de la pêche et d'infractions liées aux incendies de forêt.

Mais qu'en est-il du nerf de la guerre, à savoir les sanctions encourues ?

Pour les personnes physiques, à l'instar de ce qui est prévu pour le préjudice écologique en France (12) , la restauration des écosystèmes est logiquement mise en avant, au détriment que des mesures de privation de liberté et de la stricte compensation financière qui, pour cette dernière, ne constitue qu'une solution de substitution.

De leur côté, les personnes morales encourent une amende susceptible d'atteindre 10 % de leur chiffre d'affaires mondial moyen, au cours des trois exercices précédant les décisions, ladite amende devant rester proportionné à la gravité et à la durée du dommage causé à l'environnement, ainsi qu'aux bénéfices engendrés par l'opération en cause.

Un bémol cependant : « étrangement », les États, les organismes publics exerçant des prérogatives de puissance publique et les organisations internationales publiques ne sont pas concernés.

Voici donc une réelle étape, mais encore faut-il que les États membres et la Commission européenne y adhèrent…

2. Une judiciarisation qui ne faiblit pas

Plus encore, la déferlante judiciaire continue de s'emparer de l'enjeu climatique pour tenter de faire obstacle projets jugés non conformes aux exigences des requérants.

Débutons avec Eacop (13) /Tilenga, un gigantesque projet d'extraction et de transport de pétrole impliquant près de 400 puits de forage et la construction du plus grand pipeline chauffé au monde, qui relierait la région du Lac Albert (Ouganda) au port Tanga (Tanzanie). Sa tête de pont, la société TotalEnergies, a toujours été la cible privilégiée d'une opposition virulente qui fait notamment valoir des conséquences « carbone » catastrophiques ; un bilan qui dépasserait même les émissions cumulées des deux pays concernés. Sans parler des nombreuses zones protégées traversées…

Or, récemment, la pression médiatique s'est mutée en pression financière. Sous l'impulsion de la société civile, des investisseurs (BNP, Société générale, Crédit agricole, Barclays, HSBC,) ont finalement renoncé au pétrolier, Axa, Zurich, Swiss Re ou encore Hannover Re ne s'engageront pas dans son assurance et l'État français ne délivrera pas de garantie à l'export.

Une pression politique et judiciaire a également émergé. Le 15 septembre 2022, le Parlement européen a voté un texte (14) , certes non contraignant, réclamant l'arrêt des forages dans les zones protégées et sensibles et appelant les protagonistes à décaler l'exécution d'un an afin d'étudier « la faisabilité d'un autre itinéraire » et d'« envisager d'autres projets reposant sur les énergies renouvelables ».

En décembre 2022, s'est ouvert devant le tribunal judicaire de Paris, un procès emblématique, avec en ligne de mire le respect par TotalEnergies de son devoir de vigilance. Rappelons que la loi française impose (15) aux multinationales la publication d'un plan afin de prévenir les risques d'atteintes aux droits humains et à l'environnement.

Inutile de préciser les attentes placées dans la décision du juge des référés, ni quelle ne fut pas la déception des requérantes en apprenant le 28 février dernier qu'elles étaient déboutées, non seulement sur un plan procédural, mais aussi sur le constat suivant : « les griefs et les manquements reprochés à la société TotalEnergies du chef de son devoir de vigilance, au cas présent, doivent faire l'objet d'un examen en profondeur des éléments de la cause excédant les pouvoirs du juge des référés (…) étant observé qu'aucune illicéité, en l'état, n'est caractérisée avec l'évidence requise en référé ou de manière manifeste ».

Enfin, et c'est ici sans doute le plus intéressant, la décision traduit la réelle complexité liée à l'application du devoir de vigilance, le juge estimant que « cette législation assigne des buts monumentaux de protection des droits humains et de l'environnement à certaines catégories d'entreprise précisant à minima les moyens qui doivent être mis en œuvre pour les atteindre » et que « la loi ne vise directement aucun principe directeur, ni aucune autre norme internationale préétablie, ni ne comporte de nomenclature ou de classification des devoirs de vigilance s'imposant aux entreprises ».

Revers de la médaille, le groupe pétrolier a parallèlement choisi l'attaque comme défense et a récemment assigné Greenpeace et Factor-X en justice, faisant valoir qu'elles avaient, dans un rapport de novembre 2022 (16) , diffusé des informations fausses et trompeuses.

Ajouté au dépôt par Follow This, une organisation d'actionnaires activistes, d'une proposition de résolution « suggérant » que TotalEnergies aligne ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 sur l'Accord de Paris, cela augurait d'une assemblée générale mouvementée.

Nous n'avons pas été déçus… Violences, échauffourées, gaz lacrymogène, blocage et un pouvoir politique à l'extrême limite de son devoir de réserve en estimant que les militants étaient « dans leur rôle d'alerter ». Un rôle qui s'étendrait donc à celui de bloquer la tenue de l'assemblée générale d'une entreprise privée ?

Si le secteur énergétique a inauguré le contentieux de la vigilance, il n'est aujourd'hui plus le seul.

En effet, en octobre dernier, BNP Paribas, payant sans doute son soutien initial à ce même projet Eacop, avait été mise en demeure (17) par trois ONG de revoir un plan de diligence qui ne permettrait pas d'identifier, d'atténuer et de prévenir les risques induits par ses activités. … avec trois mois pour répondre. Ce qu'elle ne fit pas de façon satisfaisante aux yeux des ONG.

En février 2023, celles-ci ont finalement assigné la banque devant le Tribunal judiciaire de Paris, en sollicitant qu'il lui enjoigne, sous astreinte, de publier et mettre en œuvre un nouveau plan contenant un certain nombre de mesures précises (18) et la condamne à (19) « mettre en œuvre, dans un délai de six (6) mois suivant la décision à intervenir, l'ensemble des mesures raisonnables propres à prévenir l'aggravation de l'aggravation du réchauffement climatique résultant de ses activités de Financements et d'Investissements ».

Cette action contentieuse fut suivie par une lettre ouverte (20) signée par 600 scientifiques français appelant les membres de son conseil d'administration à démissionner si la banque continuait à soutenir directement ou indirectement l'ouverture de nouveaux gisements d'énergies fossiles :

« Certain·es membres du Conseil d'administration sont engagé·es publiquement pour la sauvegarde de l'environnement et la défense des droits humains, que ce soit à travers des fondations, des travaux scientifiques ou encore des mandats électifs. Nous les appelons solennellement à demander en Conseil d'administration que BNP Paribas cesse de soutenir directement ou indirectement toute ouverture de nouveaux gisements d'énergies fossiles, et à en démissionner si cette mesure n'était pas adoptée. »

Outre les deux exemples précités, une dizaine de société font face à ce type de contentieux en France. Nous pensons, entre autres, à EDF pour son projet de parc éolien sur les terres de la communauté autochtone mexicaine d'Unión Hidalgo, à La Poste sur la question de la sous-traitance de ses activités ou encore à Danone et à sa stratégie de « déplastification ».

Pour en finir avec une liste qui pourrait s'étendre, comment ne pas mentionner la mise en cause du principe d'obsolescence programmée, l'un des piliers de la politique marketing et commercial d'Apple ? En décembre 2022, l'association Hop a déposé plainte contre le gérant américain, l'accusant de limiter les possibilités de réparation de ses produits par des réparateurs non-agréés.

Une pratique dont nous avons tous été témoins : ralentir volontairement les anciens modèles de smartphones afin d'accélérer leur remplacement.

Aujourd'hui, c'est la pratique de « sérialisation », consistant à associer les numéros de série des composants et périphériques d'un produit à celui de l'iPhone, via notamment des micro-puces, qui est visée. Un frein, selon l'association, à la réparation indépendante et au reconditionnement des produits Apple et, par conséquent, une aide à l'obsolescence programmée.

II- Activisme actionnarial

Depuis de nombreuses années, l'activisme actionnarial est sur une pente ascendante, porté notamment par l'enjeu climatique. À chaque saison d'assemblées générales, les propositions de résolutions à impact sont présentes et exigeantes, avec succès et échecs à la clé.

Mais plutôt qu'un catalogue, il nous semble opportun de nous attarder sur un cas récent qui cristallise les attentions et qui résume un des enjeux de l'activisme actionnarial : comment, face à un succès relatif (mais qui reste un succès) de la pratique, éviter de franchir les limites de ce qui ne serait non plus un échange constructif et ferme au sein d'une entreprise mais une action militante appuyée par des méthodes inadéquates ?

Le 26 mai dernier, les actionnaires de la société TotalEnergies étaient ainsi amenés à se prononcer, entre autres, sur une résolution, porté par des actionnaires (très) minoritaires, l'enjoignant de se doter d'objectifs d'émissions indirectes (dites de scope 3), alignés avec l'Accord de Paris sur le climat.

Dans un communiqué de presse préventif du 28 avril 2023, le conseil d'administration de TotalEnergies avait estimé que la résolution proposée (21) « n'apport[ait] pas de réponse crédible aux enjeux du changement climatique et serait contraire aux intérêts de la Société, de ses actionnaires et de ses clients » et que son adoption « conduirait à rendre la Compagnie responsable de ces émissions alors que l'usage de ces produits relève de la décision de ses clients », mais ne s'oppose pas à sa présentation. En d'autres termes, nous sommes passés de la réprobation à l'argumentation de fond et donc au débat d'opinion. En cela, la réaction de TotalEnergies, même si l'on pourrait être tenté de considérer qu'elle suit le sens du vent, est positive.

En revanche, la riposte le fut moins. Car le cirque orchestré pour entraver la tenue de l'AG du 26 mai dernier est à l'image de ce qu'il faut éviter, à savoir pousser à l'extrême une pratique au risque d'en compromettre l'efficacité et l'objectif : une révolution intérieure par la prise de conscience des actionnaires.

L'enjeu des prochaines années sera probablement de ne pas hystériser le débat afin de continuer le travail d'ores-et-déjà réalisé, notamment par les investisseurs et la société civile, afin de s'immiscer dans le débat actionnarial. Débat actionnarial qui sera, à n'en pas douter, l'un des principaux vecteurs de la prise de conscience et du changement nécessaires.

III- Haro sur le Greenwashing

Un autre vecteur du changement doit être la maîtrise et le contrôle de la communication et du marketing des entreprises. Or, une récente enquête (22) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), menée en 2021 et 2022, ne laisse guère place au doute :141 avertissements, 114 injonctions et 18 procès-verbaux liés à la communication environnementale des entreprises étudiées.

Parmi les allégations pointées, certaines ont été jugées trop « globalisantes » et ne renvoyant pas à un impact particulier et d'autres non justifiées par des informations essentielles. Prenons comme exemple un pot de miel avec la mention « pour chaque pot vendu, un don est
reversé à l'association (X) qui lutte pour la sauvegarde des abeilles » alors qu'un seul don avait été
fait par l'entreprise en 2016, ou encore un modèle de pommeau de douche utilisé dans
un hôtel « permettant 30 ou 40 % d'économie d'eau ».

D'autres furent jugées imprécises ou ambiguës, comme celles renvoyant à la mention « zéro déchet » sans préciser si cela faisait référence à la fabrication ou à l'utilisation du produit, ou encore contraires aux dispositions légales comme la mention « des produits encore plus respectueux de la planète » sur des emballages de produits chimiques.

En outre, l'encadrement de la publicité a vu un nouveau palier franchi en 2021, avec la loi dite « Climat et Résilience » et ses décrets d'application (23) . Or, est d'application active, depuis le 1er janvier 2023, l'interdiction d'affirmer dans une publicité qu'un produit ou un service est neutre en carbone ou d'employer toute formulation de signification ou de portée équivalente, à moins que l'annonceur concerné ne rende aisément disponible au public un certain nombre d'informations (24) , comme son bilan précis d'émissions de gaz à effet de serre ou encore la démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées.

Toute entreprise qui s'engagerait vers de propos tels que « Neutre en carbone », « zéro carbone », « avec une empreinte carbone nulle », « climatiquement neutre », « intégralement compensé », « 100 % compensé » ou toute formulation de signification ou de portée équivalente, est prévenue ! Les allégations environnementales sont désormais scrutées et certaines entreprises en font déjà l'amère expérience.

Citons le cas d'Air France et de son outil commercial visant à proposer une option "Environnement" avec pour ambition de réduire l'empreinte carbone de leur vol : selon le prix du billet, nous participerions au financement de projets de reforestation ou encore à l'investissement dans le développement et l'achat de carburants alternatifs.

Au-delà du principe même (contestable ?) de faire peser ostensiblement le coût de la transition écologique sur les consommateurs, plusieurs associations ont estimé que cette pratique induisait en erreur les voyageurs en laissant croire que l'on peut prendre l'avion sans émettre de CO2 en payant une simple option.

Marche arrière d'Air France : suppression de la mention explicite à des projets de reforestation tout comme celle d'une compensation directe des émissions carbone, et remplacement par un engagement plus doux, à savoir la promesse d'une contribution à la réduction des émissions de CO2 sur les futurs vols.

Cet exemple traduit un contexte dans lequel les pressions institutionnelles, actionnariales, et réglementaires ont une réelle influence sur les décisions des entreprises, sans qu'il soit nécessaire d'en arriver à un combat judiciaire. Nous ne le regretterons pas.

Contexte dans lequel, en mars dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de nouvelle directive (25) visant à lutter contre les allégations environnementales trompeuses, en introduisant des sanctions contre le greenwashing et des règles strictes pour l'approbation de écolabels.

L'idée est d'adapter opportunément la réglementation actuelle (26) et de mettre en place des critères communs afin de lutter contre l'écoblanchiment et les allégations environnementales trompeuses. Et cela notamment afin que (27) « les consommateurs bénéficient de plus de clarté, d'une plus grande assurance qu'un produit vendu comme étant écologique l'est réellement et d'une information de meilleure qualité pour choisir des produits et des services respectueux de l'environnement ».

A l'instar de la réglementation française, mais avec spectre qui dépasse la neutralité carbone, la proposition de directive vise les allégations explicites, telles que « T-shirt fabriqué à partir de bouteilles en plastique recyclé », « livraison avec compensation de CO2 », « emballage comprenant 30 % de plastique recyclé » ou encore « protection solaire respectueuse des océans ».

Mais elle va plus loin en visant la prolifération des labels. Face au constat qu'il existe aujourd'huia minima 230 labels environnementaux, la Commission européenne insiste sur un état de fait, source avérée de confusion et de méfiance chez les consommateurs, et sur la nécessité d'encadrer cette multiplication.

Si le projet était adopté, la création de nouveaux labels publics ne serait pas autorisée, à moins que ceux-ci soient élaborés au niveau de l'UE, et tout nouveau système privé devrait faire preuve d'une ambition plus élevée que les systèmes existants et serait soumis à autorisation préalable.

IV- Reporting, la CSRD plus ambitieuse que la NFRD

Le 16 décembre dernier, a été publiée la directive sur le reporting de durabilité des sociétés (CSRD), sur la route de la responsabilité sociale des entreprises, avec pour objectifs premiers de renforcer les obligations de transparence des entreprises et de transformer l'Union européenne en une économie moderne, efficace dans l'utilisation des ressources et compétitive.

Le texte prévoit un reporting fondé sur trois axes d'information :

  • les facteurs environnementaux, à savoir les informations telles que l'atténuation du changement climatique, l'adaptation au changement climatique, l'utilisation des ressources en eau et ressources marines, l'économie circulaire, la pollution, la biodiversité ou les écosystèmes ;
  • les facteurs sociaux et des droits de l'Homme ;
  • la gouvernance (organes d'administration, de gestion et de surveillance de l'entreprise ; principales caractéristiques des systèmes de contrôle interne ; éthique des affaires).

Portée par l'application du principe de « double matérialité », à travers lequel les entreprises concernées doivent identifier non seulement leurs enjeux majeurs à travers les impacts, les risques et les opportunités que ceux-ci sont susceptibles d'entrainer pour les entreprises elles-mêmes, mais aussi les impacts qu'elles peuvent avoir sur la société au sens large et sur l'environnement, la directive dite CSRD est ambitieuse.

Une fois ce travail réalisé, les informations afférentes devront être traitées et publiées dans le rapport de gestion de l'entreprise, dans une section spécifique et indentifiable, et accompagnées de l'avis d'un cabinet d'audit agréé.

Mais qui sont les entreprises concernées ? Le texte a vu grand par rapport aux anciens textes, notamment la directive NFRD, et contraint (i) toutes les sociétés dont les titres sont cotés sur un marché réglementé européen, quels que soient la valeur de leur bilan, le montant de leur chiffre d'affaires et le nombre de leurs salariés, (ii) ainsi que les grandes entreprises non cotées à savoir celles dépassant deux des trois seuils suivants : un total de bilan supérieur à 20 millions d'euros, un chiffre d'affaires net supérieur à 40 millions d'euros et un nombre moyen de salariés supérieur à 250.

En outre, la directive CSRD dépassent le strict cadre européen en visant les entreprises, non-européennes, dont les titres sont cotés sur un marché réglementé européen, mais aussi celles réalisant plus de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires au sein de l'Union européenne et ayant au moins une filiale cotée sur un marché réglementé européen, ou une filiale européenne ou encore une succursale européenne dont le chiffre d'affaires est supérieur à 40 millions d'euros.

Côté calendrier d'application de ces nouvelles obligations, quatre étapes successives sont prévues :

à partir du 1er janvier 2024 pour les entreprises déjà soumises à une obligation de reporting extra-financier dans la cadre de la directive NFRD (grandes entreprises cotées de plus de 500 salariés) ; à partir du 1er janvier 2025 pour toutes les grandes entreprises remplissant 2 sur 3 critères (28)  ; à partir du 1er janvier 2026 pour les PME cotées remplissant 2 sur 3 critères (29) (avec une possibilité de différer leur obligation de reporting pendant 2 ans); et enfin, à partir du 1er janvier 2028, pour les filiales européennes de sociétés mères non européennes qui réalisent plus de 150 M€ de chiffre d'affaires en Europe et une filiale ou succursale basée dans l'Union européenne.

Pour respecter ce calendrier, la France devra transposer la directive, par voie d'ordonnance (30) , avant le 9 novembre 2023.

V- L'union fait la force

Il y a encore quelques années, il nous semblait opportun de lister les principales initiatives d'entreprises. Aujourd'hui, elles sont tellement nombreuses, et réjouissons-nous de ce foisonnement, qu'il serait vain de vouloir transcrire une tendance. En revanche, il n'est jamais inutile de constater que certaines se regroupent pour décupler l'efficacité des décisions liée à leur responsabilité environnementale et sociale. Les exemples sont également très nombreux, mais attardons-nous sur deux d'entre eux. Ainsi, les énergéticiens français, à l'instar des leurs homologues dans le monde, sont souvent pointés du doigt pour leur prise de position ou pour leur frilosité dans le changement, mais, quel qu'en soit le fondement, il convient de noter une avancée quand il y a une. Ainsi, une fois n'est pas coutume, les trois dirigeants des plus grandes entreprises françaises de l'énergie (Engie, TotalEnergies et EDF) ont appelé, en juin 2022, ont lancé un « appel commun ». Tout en défendant leur bilan, ils axent leu réflexion sur un axiome sans aucun doute vrai mais qu'il n'est pas usuel d'entendre de ce côté de la barrière : « Plus que jamais, la meilleure énergie reste celle que nous ne consommons pas ». Ils iront même jusqu'à souhaiter une « prise de conscience et à une action collective et individuelle pour que chacun d'entre nous chaque consommateur, chaque entreprise change ses comportements et limite immédiatement ses consommations énergétiques, électriques, gazières et de produits pétroliers ». Cet appel est constitutif d'un réel virage dans les discours, et il est à ce titre important. Et cela même si l'on comprend à travers les lignes de cette tribune (31) que la préoccupation principale demeure les conséquences d'une guerre à nos portes et que les enjeux climatiques paraissent un accessoire susceptible de profiter de cette urgence géopolitique : « Nos objectifs de long terme en faveur de la neutralité carbone seront encore plus vite atteints par cette mobilisation. Nous poursuivons nos engagements et actions pour accélérer la transition énergétique. Elle n'est plus seulement un impératif face à l'urgence climatique, mais une réponse aux enjeux de souveraineté énergétique ». Mais la nécessité climatique, traitée étonnamment comme un objectif à long terme, ne devrait-elle pas s'arranger de toute urgence tant qu'elle progresse ?

Sans transition, en mai 2023, WWF (32) , l'agence de notation de la santé des sols Genesis, et les groupes Rémy Cointreau et Moët Hennessy ont annoncé collaborer afin d'imaginer un concept, dénommé « crédit environnemental », ayant pour objectif de promouvoir des solutions complètes d'évaluation de l'impact des groupes spiritueux sur l'utilisation des sols et ainsi de sortir d'une vision considérant lesdits sols comme de simples puits carbones.

Ils seraient maintenant appréciés comme un ensemble d'écosystèmes vivants générateurs de biodiversité qui ne serait pas antinomique avec une exploitation rémunératrice.

Une fois le principe présenté, qu'en est-il concrètement des actions ? Celles-ci se traduisent par la mise en place d'un coefficient visant à pondérer la valeur du crédit carbone et reposant sur plusieurs items dont les impacts sur la santé du sol, le risque de toxicité sanitaire et environnemental lié aux traitements phytosanitaires et les diverses composantes de la biodiversité.

Enfin, serait-on tenté d'avancer, une initiative qui permet d'incorporer l'enjeu climatique, certes primordial, dans une problématique plus vaste, à savoir la maîtrise de l'empreinte humaine. Et de ne pas opposer frontalement cette problématique à la rentabilité.

1. Coalition of the Initiative « Amazonia for Life : Protect 80 % by 2025 », Amazonia against the clock : a regional assessment on where and how to protect 80 % by 2025, sept. 20222. Résolution législative du Parlement européen du 19 avril 2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise à disposition sur le marché de l'Union ainsi qu'à l'exportation à partir de l'Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts (COM(2021)0706 – C9-0430/2021 – 2021/0366(COD))

3. Unesco et Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), World heritage glaciers: sentinels of climate change, 20224. Carrington D. et Taylor M., Revealed : the ‘carbon bombs' set to trigger catastrophic climate breakdown, The Guardian, mai 20225. Larry Fink's Annual Chairman's Letter to Investors, 20236. Gabbatiss J., Analysis: Shell admits 1.5C climate goal means immediate end to fossil fuel growth, CarbonBrief, 20 avr. 20237. Commission européenne, Mettre en œuvre le pacte vert pour l'Europe – la décennie décisive, juill. 20218. Mar Menor9. Le Gange et son affluent la Yamuna (Inde), Parc national Te Urewera (Nouvelle-Zélande), fleuve Yarra (Australie)10. Proposition dir. n° COM(2021)851 final, 15 déc. 2021 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal et remplaçant la directive 2008/99/CE11. Définition retenue par le Panel International d'experts de la Fondation Stop Ecocide12. C. civ., art. 124913. East Africa Crude Oil Pipeline14. Parlement européen, Joint motion for a resolution on violations of human rights in Uganda and Tanzania linked to investments in fossil fuels projects, 14 sept. 2022 - 2022/2826(RSP)15. C. com., art. L. 225-102-416. Greenpeace, Bilan carbone de TotalEnergies : le compte n'y est pas, 3 nov. 202217. Les Amis de la Terre, mise en demeure, devoir de vigilance / Groupe BNP Paribas, 26 oct. 2022

18. Communication d'une cartographie précise des risques d'atteintes graves à l'environnement, à la santé et à la sécurité et aux droits humains en matière climatique ; mise en place de procédures d'évaluation régulière de la chaîne de valeur ; mise en œuvre d'actions adaptées de prévention ; mise en place d'un mécanisme d'alerte ; publication d'un dispositif de suivi périodique des objectifs19. NAAT, Amis de la Terre, Oxfam France, Assignation devant le tribunal judiciaire de Paris de la société BNP Paribas S.A., 2023

20. Lettre ouverte au Conseil d'administration de BNP Paribas, L'Obs, 24 févr. 202321. Communiqué de presse, TotalEnergies, Assemblée générale des actionnaires du 26 mai & Climat : TotalEnergies inscrit la résolution consultative présentée par un groupe d'actionnaires représentant moins de 1,4% du capital et recommande aux actionnaires de la rejeter22. DGCCRF, Bilan de la première grande enquête de la DGCCRF sur l'écoblanchiment des produits non-alimentaires et des services : un quart d'anomalies et de nombreuses suites, 25 mars 202323. D. n° 2022-539, 13 avr. 2022 : JO 14 avr. ; D. n° 2022-538, 13 avr. 2022 : JO 14 avr.24. C. env., art. L. 229-6825. Proposition dir. 2023/0085, 22 mars 2023, relative à la justification et à la communication des allégations environnementales explicites (directive sur les allégations écologiques)26. Dir. 2005/29/CE, 11 mai 2005 : JOUE L 149, 11 juin, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, définit le cadre juridique des allégations27. Commission européenne, Protection des consommateurs : permettre des choix durables et mettre fin à l'écoblanchiment, communiqué de presse, 22 mars 2023

28. 250 employés, 40 M€ de chiffre d'affaires ou 20 M€ de total du bilan

29. 10 à 250 employés, 700 k€ à 40 M€ de chiffre d'affaires, ou 350 k€ à 20 M€ de total du bilan30. L. n° 2023-171, 9 mars 2023 : JO 10 mars, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture31. MacGregor C., Lévy J.-B., Pouyanné P., Tribune. « Le prix de l'énergie menace notre cohésion », par les patrons d'Engie, EDF et TotalEnergies, lejdd, 25 juin 202232. World Wildlife Fund (Fonds mondial pour la nature)

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