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La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage va être inscrite dans la loi

Les députés ont inscrit dans la loi la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage pour répondre aux préoccupations du monde rural. A priori simple calque de la jurisprudence, cette évolution pourrait toutefois avoir des effets de bord.

Gouvernance  |    |  L. Radisson
La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage va être inscrite dans la loi

« L'objectif est le bien-vivre ensemble sur un même territoire. » C'est ainsi que la députée Nicole Le Peih présente l'objet de la proposition de loi visant à « adapter la responsabilité civile aux enjeux actuels ». Ce texte, qu'elle a déposé avec ses collègues du groupe Renaissance, a été adopté, (1) lundi 4 décembre, en première lecture par l'Assemblée nationale.

Juridiquement, il s'agit de faire entrer la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage dans la loi alors qu'elle résulte d'une construction jurisprudentielle. « Le droit de la responsabilité civile, pilier du code napoléonien, s'est en effet progressivement affiné au fil de la jurisprudence. En 1986, la Cour de cassation a tiré du principe général et centenaire de responsabilité un fondement autonome en matière de trouble de voisinage, aux termes duquel "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage" », a rappelé le garde des Sceaux.

Pourquoi une réforme ?

La question se pose de l'utilité d'inscrire dans la loi un régime de responsabilité qui fonctionne même s'il résulte d'une création prétorienne. « Quel est l'intérêt de toucher à la responsabilité civile à travers un texte qui ne va pas au-delà d'une simple reconnaissance formelle de principes déjà bien établis par la jurisprudence, laquelle est utile et ne saurait être confondue avec du "bavardage" ? » a ainsi interrogé le député socialiste Gérard Leseul. « Introduire ce principe général dans le code civil le rendra plus accessible et renforce la sécurité juridique du droit français, tout comme l'égalité de nos concitoyens devant la loi », a répondu Éric Dupond-Moretti. Ce qui signifie que les règles de mise en jeu de cette responsabilité pourraient évoluer. Dans le régime actuel, l'anormalité du trouble est appréciée in concreto par le juge, c'est-à-dire au cas par cas. L'encadrement législatif pourrait conduire à une application plus homogène de ce régime sur l'ensemble du territoire.

“ Introduire ce principe général dans le code civil le rendra plus accessible et renforce la sécurité juridique du droit français ” Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux
Le texte retenu par l'Assemblée, qui vise à créer un article 1253 dans le code civil, est le suivant : « Le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte. » Cette rédaction permet de garantir aussi la responsabilité de l'usufruitier et de l'occupant avec titre, tout en écartant celle du constructeur, a expliqué Nicole Le Peih. Elle a reçu un avis favorable du garde des Sceaux, mais assorti de réserves car elle pourrait aboutir à la responsabilité du « voisin occasionnel » à laquelle Éric Dupond-Moretti s'est dit opposé.

Répondre aux préoccupations du monde rural

Le texte pose ensuite une exception à ce principe de responsabilité fondée sur la théorie dite « de la pré-occupation ». « L'auteur d'un trouble anormal de voisinage pourra s'exonérer de cette responsabilité de plein droit dès lors que le trouble résulte d'une activité préexistante à l'installation du nouveau voisin, conforme à la réglementation en vigueur et qui s'est poursuivie dans les mêmes conditions après l'installation du nouvel arrivant », a expliqué le ministre de la Justice. Il s'agit là de reprendre le contenu de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation (2) , qui pose cette théorie et que le texte prévoit d'abroger.

« Cette disposition a également pour objectif de répondre aux préoccupations du monde rural », indiquent incidemment les auteurs de la proposition de loi dans l'exposé des motifs. Il semble en fait qu'il s'agisse là de la motivation principale de ce texte, bien que la responsabilité pour troubles de voisinage soit susceptible de concerner un grand nombre d'acteurs, y compris en milieu urbain. « En mars dernier, au Salon de l'agriculture, alors que j'allais à la rencontre de ceux qui nous nourrissent, j'avais fait part de mon intention de mettre un terme aux procès abusifs en matière de voisinage », a rappelé Éric Dupond-Moretti. Et d'ajouter : « On dénombre plusieurs centaines de procédures en cours engagées contre des agriculteurs par des voisins quérulents se plaignant de nuisances liées à leur activité. L'odeur du bétail, le bruit de tracteurs, le chant du coq ou encore le meuglement des vaches poussent parfois les nouveaux habitants à saisir la justice, à l'instrumentaliser et à s'opposer à des installations qui étaient là bien avant leur arrivée. »

L'attention manifestée par la FNSEA à ce texte est là pour confirmer la motivation agricole. « Parce qu'il encadre les actions pour troubles anormaux du voisinage, un tel texte est indispensable pour donner sécurité et visibilité aux agriculteurs. Surtout dans un contexte où l'activité agricole est amenée à évoluer pour répondre aux attentes en matière de souveraineté alimentaire et énergétique et pour la planification écologique », a appuyé le syndicat agricole majoritaire en amont de la discussion en séance publique.

« Offrir un droit à polluer aux industriels »

La rédaction retenue par l'Assemblée nationale pour encadrer l'exception au principe de responsabilité est la suivante : « La responsabilité prévue au premier alinéa n'est pas engagée lorsque le trouble anormal causé à la personne lésée provient d'activités, quelles que soient (sic) leur nature, préexistant à l'installation de la personne lésée, qui sont conformes aux lois et règlements et qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine de l'aggravation du trouble anormal. » Ce dernier membre de phrase permet de préciser que « la responsabilité doit également être écartée lorsque aucune aggravation du trouble n'a été constatée suite à une modification des conditions d'exploitation », a expliqué Nicole Le Peih. Il s'agissait là d'une des revendications de la FNSEA. Tout en se disant favorable à cet amendement, le garde des Sceaux a dit craindre « de possibles effets de bord » et annoncé qu'il en retravaillerait la rédaction.

Même si l'objectif affiché est de reprendre les exonérations de responsabilité prévues par l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, la rédaction en diffère, ne serait-ce que par le fait qu'elle concerne maintenant aussi les activités sportives. Or, en la matière, chaque mot peut compter. « En visant les activités préexistantes à l'installation, "quelle que soit leur nature", on permet à une entreprise qui bénéficierait des conseils juridiques avisés de grands cabinets d'exploiter les interstices de cette rédaction pour faire valoir un droit qui ne me paraît pas légitime », a alerté le député LFI Hugo Bernalicis.

« Si ce texte tend à simplifier le cadre législatif (…), il ne doit pas offrir un droit à polluer aux industriels et aux gros exploitants », a également averti la députée écologiste Sandrine Rousseau. « La proposition de loi risque aussi d'être contre-productive dans la mesure où le code civil s'applique à toutes et à tous. En faisant de ce texte l'étendard d'une défense de la ruralité, la majorité se risque à glisser dans une caricature qui pourrait nuire aux nombreuses autres personnes qui seront également concernées par cette évolution législative », a plaidé la députée de Paris.

« Ce texte ne vise pas seulement à protéger nos agriculteurs, il a aussi pour objet de mieux sécuriser les activités industrielles et artisanales qui font vivre nos campagnes », a d'ailleurs expliqué le député Modem Bruno Millienne, favorable à cette proposition de loi, qui doit maintenant être examinée par le Sénat.

1. Télécharger la proposition de loi telle qu'adoptée par l'Assemblée
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43074-ppl-troubles-anormaux-voisinage.pdf
2. Consulter l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041563715

Réactions2 réactions à cet article

Il s'agit là d'une nouvelle régression considérable, qui touche un principe fondamental du droit : le droit à la réparation d'un préjudice. D'autant plus, s'il a été reconnu par un juge. le principe dit de pré-occupation), déjà introduit dans notre droit à la demande des agriculteurs, va cette cette fois beaucoup loin. L'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, qui serait ainsi remplacé, vise les occupants dont le permis de construire aurait été accordé postérieurement aux activités en cause. Donc le champ ne s'appliquait pas aux riverains autres que ceux détenteurs d'un PC. De plus, il ne prévoit pas, contrairement à cette nouvelle disposition, un fonctionnement nouveau des activités en cause, dont il est bien sûr bien difficile de prouver qu'ils ne sont pas à l'origine du préjudice.
Disposition particulièrement contraire à l'apaisement, au droit démocratique et cela ne ferait qu'empirer les situations tendues.

Gabriel Ullmann | 06 décembre 2023 à 10h01 Signaler un contenu inapproprié

Encore un projet de texte de loi destiné à détricoter pan par pan le code de l'environnement et, plus largement, à supprimer des voies de recours pour les riverains face à des nuisances industrielles qui peuvent s'avérer insupportables au quotidien (le chant du coq Maurice n'entre cependant pas pour moi dans cette catégorie).
Que la FNSEA, faux nez de l'agrobusiness (qui tire en réalité les ficelles et qui est tout à fait en capacité financière de bénéficier "des conseils juridiques avisés de grands cabinets"), soit étroitement associée à ce projet de régression du droit n'a rien de bien étonnant.
Où comment une minorité d'actifs (400 000 en 2019, moitié moins encore dans 10 ans) - mais largement vache à lait d'une industrie lourde - est en capacité, grâce à une majorité politique ultra libérale toute acquise, de continuer à imposer ses diktats à la société toute entière.

Pégase | 15 décembre 2023 à 10h47 Signaler un contenu inapproprié

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