Le coup d'éclat médiatique de l'équipe du professeur Séralini permettra-t-il finalement de renforcer l'évaluation du risque sanitaire des OGM et des produits phytopharmaceutiques ? Si le Haut conseil des biotechnologies (HCB) et l'Agence de sécurité sanitaire (Anses) remettent en cause la robustesse scientifique de l'étude de Séralini, dans leurs avis publiés ce 22 octobre après leur saisine par le gouvernement, ils préconisent tous deux la réalisation d'études à long terme, comme le demandait le professeur Séralini.
"L'étude de Séralini a le mérite d'être ambitieuse et originale, en traitant la question des effets à long terme des OGM et des résidus de produits phytopharmaceutiques, observe Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques de l'Anses. Mais elle comporte des faiblesses d'ordre statistique et explicatif qui ne permettent pas de remettre en cause les évaluations précédentes. Elle pointe néanmoins la nécessité de s'attaquer à la question du risque chronique".
Dans le paysage scientifique, "on recense d'un côté des études réglementaires financées par les industriels et de l'autre des travaux de recherche publique, aux moyens plus limités, cherchant à investiguer des effets sanitaires potentiels peu documentés à ce jour. Cette situation n'est pas spécifique aux OGM mais ce domaine est l'un de ceux où elle est fortement marquée et où l'attente sociétale en matière de recherche indépendante est particulièrement aiguë", souligne l'Anses dans son avis.
Une étude originale, aux résultats contestables
Jusqu'ici, seules deux autres études de long terme avaient été menées à travers le monde sur du soja GM. L'une, réalisée par Sakamoto, portait sur l'impact d'une forte consommation du soja GM pour les Japonais. Elle a conclu à l'absence d'effet détectable de la consommation d'un soja OGM. L'autre, menée par Malatesta sur l'influence des OGM sur le vieillissement cellulaire, ne pointait pas d'effet significatif sur la santé mais concluait à des effets potentiels sur le vieillissement hépatique.
L'étude menée par l'équipe du professeur Séralini, publiée le 19 septembre dernier, dénonçait la toxicité des aliments issus du maïs NK603 et traités avec le Round Up. Cette étude portait sur les risques chroniques, à partir de travaux de deux ans sur des rats (dits de "vie entière").
L'Anses estime que "les conclusions avancées par ses auteurs sont insuffisamment soutenues par les données de cette publication. Celles-ci ne permettent pas d'établir scientifiquement un lien de cause à effet entre la consommation du maïs OGM et/ou de pesticide et les pathologies constatées, ni d'étayer les conclusions et les mécanismes d'action avancés par les auteurs".
Le Conseil scientifique (CS) du HCB formule les mêmes reproches : les interprétations des résultats par les auteurs sont jugées spéculatives. Le CS souligne également des imprécisions et des lacunes dans la description du dispositif expérimental, la présentation partielle des résultats et l'utilisation de nomenclatures non conventionnelles sans justification.
De fait, l'Anses comme le HCB concluent que cette étude n'apporte aucune information qui prouve l'existence d'un risque sanitaire lié à la consommation de maïs NK603, traité ou non traité par une formulation de Round Up, et ne remet donc pas en cause les conclusions des évaluations précédentes sur cet OGM.
La nécessité de consolider les connaissances et la réglementation
Cependant, cette étude a eu le mérite de poser la question des connaissances sur les effets à long terme des OGM et des produits phyto, disent en filigrane dans leurs avis respectifs le HCB et l'Anses.
Actuellement, la réglementation européenne sur les OGM ne prévoit, dans le cadre des autorisations de mises sur le marché et concernant les études de toxicité, qu'une étude de toxicité aigüe de 14 jours (ou 28 jours dans le cas de protéines nouvelles) et une étude de toxicité sub-chronique de 90 jours.
Insuffisant ? Le CS du HCB estime que "les études de toxicologie réalisées dans le cadre de l'évaluation des effets sanitaires des PGM pour leur mise sur le marché présentent des limites". De plus, selon l'Anses, "pour 55% des dossiers instruits sur les PGM, l'Agence a estimé que les données fournies par l'industriel n'étaient pas suffisantes pour permettre de conclure sur la sécurité sanitaire liée à la consommation de l'OGM et ces dossiers ont fait l'objet de demandes complémentaires transmises à l'Efsa". Les lignes directrices de l'évaluation des OGM sont en cours de révision. Elles devraient renforcer la méthodologie pour les études de toxicité sub-chroniques.
Concernant l'évaluation des produits phytopharmaceutiques, "la réglementation n'exige aucune étude de toxicité à long terme sur la préparation formulée (substance active + co-formulants)", souligne l'Anses. Ainsi, sur le Round Up ou d'autres préparations à base de glyphosate, il n'existerait aucune étude à long terme. Pas plus que sur le co-formulant présent dans la préparation Round Up GT Plus.
En outre, les études de toxicité sur les PGM tolérantes à un herbicide portent souvent sur les plantes non traitées, note le HCB. Cependant, en 2011, l'Efsa a publié de nouvelles lignes directrices visant à inclure l'évaluation des PGM traitées à un herbicide dans les études de toxicité. Ces lignes directrices sont en cours de validation pour être intégrées à la réglementation.
Dans un premier temps, l'Anses préconise d'accroître les recherches sur les effets à long terme de la consommation des OGM ou de l'exposition à des formulations phytopharmaceutiques, et de leur association. Elle se dit prête à travailler avec d'autres partenaires européens à la définition de protocoles pour ces études. Elle préconise également de travailler sur les effets de "l'exposition chronique aux xénobiotiques (substances actives, coformulants), à leurs mélanges et à leurs synergies éventuelles, notamment en matière d'effets avec les OGM".