De quoi s'agit-il ? De développer une « grille intelligente » (smart grid ou Intelligrid), sur le modèle d'Internet. L'enjeu est d'informatiser suffisamment le réseau pour savoir tout ce qui s'y passe. Exemple : lorsque survient une demande inattendue et très importante de courant, un modèle de simulation se met en marche pour envisager des scénarios correctifs. Et surtout, ce réseau répond à un défi : intégrer les énergies renouvelables, intermittentes et décentralisées. Sur le smart grid seront branchées des milliers de sources de production d'électricité. Pas seulement des centrales classiques, mais également des unités de très petite taille, desservant un marché local, fonctionnant à partir d'énergies renouvelables.
Comme l'a rappelé en introduction Christian Stoffaës, du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies, la configuration du système, aux Etats-Unis, se prête bien au pilotage des réseaux électriques par informatique. Ce sont en effet quelque 200 à 300 monopoles locaux qui se partagent la desserte du vaste territoire des Etats-Unis. L'arrivée du smart grid devrait être facilitée par la structure décentralisée du réseau étasunien, pour l'heure alimentée par le gaz et le charbon, plus que par le vent et le solaire.
En France, la situation est tout autre. Seuls les petits barrages ont résisté à l'émergence des grands réseaux électriques à haute tension. Les petites installations ont été éliminées par les grosses pour faire baisser les coûts. Peut-il y avoir une politique énergétique régionale ? Quatre fois oui, répond Jean-Marie Chevalier, professeur à Paris-Dauphine. Le contexte est favorable : ''les citoyens ont de plus en plus envie d'agir dans l'environnement où ils vivent tous les jours. Les pouvoirs locaux peuvent développer des mini systèmes énergétiques décentralisés, comme c'est le cas en Allemagne ou au Danemark. Les démarches exemplaires se multiplient, comme l'écocité de Masdar, qui veut devenir le laboratoire mondial des systèmes énergétiques de demain. Le signal-prix, enfin, doit refléter la réalité, d'où la pertinence d'une taxe carbone au niveau européen''. En résumé, le Grenelle et le paquet énergie-climat européen traduisent un monde beaucoup plus « bottom up », où le maître mot serait la diversité, s'enthousiasme M. Chevalier.
Reste à le traduire en actes. Difficile de passer d'une culture où ''on a eu tendance à éloigner la production du consommateur, où l'Etat s'occupe de tout, à une culture des énergies renouvelables qui répondent au désir des consommateurs de savoir d'où vient ce qu'ils consomment'', déplore Antoine Saglio, directeur général d'Eneryo, société productrice d'énergies renouvelables, qui réclame une visibilité plus claire, ''un plan pour transformer notre système énergétique''.
Evolution culturelle
Quant à Sandrine Mathy, présidente du Réseau action climat (RAC), elle s'interroge sur la marge de manœuvre qui va rester aux collectivités locales, privées de taxe carbone, mais en première ligne pour mettre en œuvre les promesses du paquet énergie-climat. Dépourvues de capacité fiscale, les collectivités ne pourront guère déployer des politiques régionales de l'énergie. Les derniers développements du Grenelle de l'environnement les privent aussi de certains droits à l'expérimentation, comme celui d'introduire, par exemple, des péages urbains. Et les nouveaux Schémas régionaux de l'air, de l'énergie et du climat (SRAEC) vont subordonner les initiatives régionales à l'avis des préfectures, donc à l'Etat, rognant ainsi leur autonomie, souligne Sandrine Mathy. Pourtant, rappelle Jean-Marie Carton, vice-président de la CAPEB (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) ''chaque région a des capacités à produire différentes''.
La maîtrise de la demande en électricité est d'autant plus d'actualité que la voiture électrique va faire irruption sur le marché français dès 2011, estime Thierry Koskas, directeur de programme du Véhicule électrique chez Renault SA. En 2020, les véhicules électriques représenteront 10 à 15% du marché. Entre 200.000 et 300.000 véhicules électriques seront vendus annuellement dans les années 2020. Face à ces demandes nouvelles, un déploiement rapide de plus d'un million de bornes est à envisager. La puissance installée cumulée de ces bornes dépasserait 30 gigawatts, plus de la moitié de la puissance de pointe appelée sur le réseau de distribution. ''Certes, personne n'imagine, même dans 10 ou 20 ans, voir un million de véhicules solliciter au même moment ces bornes, notent Marc Bussieras et Pierre Mallet de la direction réseau d'ERDF, mais le dimensionnement du réseau devrait être sérieusement secoué''.
Le smart grid pourra-t-il répondre à ces tensions et les alléger ? Les réseaux intelligents sont censés rétablir une symétrie entre l'offre et la demande. En associant technologies de l'information et de la communication au réseau, ils faciliteront la convergence entre production et usages. Reste à vérifier si les citoyens - derniers maillons de la chaîne - auront leur mot à dire dans les modes d'appropriation de ces machines intelligentes par les grands réseaux eux-mêmes.