Les réseaux de distribution de l'électricité sont appelés à être profondément reconfigurés pour intégrer la production décentralisée de sources renouvelables à grande échelle, mais aussi pour favoriser une offre adaptée à la demande. Les smart grids pourraient alors servir à mettre à la disposition du consommateur final des outils et services lui permettant de connaître sa consommation personnelle, et donc d'agir sur elle. Une table ronde a fait le point sur ces questions lors de la conférence SG 2011, à la Cité des sciences, le 26 mai.
Comme pour l'Internet ou la téléphonie mobile, les smart grids seront ce que les consommateurs auront décidé d'en faire et devront répondre au développement de nouveaux usages de la consommation d'électricité, selon la CRE (Commission de régulation de l'électricité). La transformation du rôle du consommateur est essentielle : pour satisfaire un équilibre offre-demande de plus en plus contraint, des outils de maîtrise de la consommation et de la production répartie seront nécessaires. Le succès des Smart grids dépendra donc de l'adhésion des consommateurs à ce nouveau concept.
Les smart grids bouleversent la chaîne de valeur, entre monde des télécommunications, technologies de l'information, production et distribution de l'électricité. Elles ne relèvent pas d'un modèle économique défini, ou d'un périmètre fixé à l'avance, mais recoupent la gestion en temps réel de la fourniture d'énergie, les infrastructures, les services de maintenance, la maîtrise de la demande d'électricité, la gestion en temps réel des réseaux, l'efficacité domestique et tertiaire… Les acteurs potentiels en sont très diversifiés : collectivités locales, industriels du véhicule électrique, opérateurs de distribution, centres commerciaux, acteurs du bâtiment, usagers… Pour Jean-François Gomez, manager de l'innovation chez Microsoft, « ce qui va faire le succès des smart grids, c'est le logiciel. Dans le contexte de la société de l'information et de la conversation, le client prend le contrôle. Il participe à la réduction des consommations. Il y a là un côté émotionnel. Il va pouvoir se targuer de moins consommer ».
De la convivialité au contrôle
A qui profitent les smart grids ? « Chacun devrait pouvoir y trouver son intérêt », résume Christine le Bihan-Graf. Les smart grids n'auront de succès que si elles sont conviviales. Pour la directrice générale de la CRE, le consommateur doit pouvoir trouver sa place dans le système relationnel que peuvent former les smart grids, qui sont cependant « un objet encore indéterminé ». Entre réseau social et ipad, l'appropriation de la maîtrise des consommations d'énergie par le consommateur est une question clé dans la conduite du changement. Les smart grids vont solliciter un nouveau mode de pensée à travers un renversement de paradigme, celui du temps réel : simplicité, maîtrise, recoupement de données, mise en réseau selon un modèle facebook… Dans une démarche citoyenne, l'usager peut devenir partie prenante d'une collectivité mondiale. Le régulateur se trouve en responsabilité de créer un environnement à la fois favorable à un modèle d'affaires rentable, et compatible avec l'intérêt du consommateur.
Derrière cette convivialité de la mise en réseau, via le cloud computing et la mise en relation « machine to machine », que Valérie le Peletier, directrice chez Orange Business Services, décrit comme « un domaine de croissance clé », se profile potentiellement une industrie des données personnelles recueillies par les compteurs intelligents. Pour Christophe-Alexandre Paillard, directeur des affaires juridiques, internationales et de l'expertise à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le risque est que les compteurs, type compteur électrique Linky d'ERDF (Electricité Réseau distribution France), ne servent à utiliser des données comportementales à des fins qui n'ont rien à voir avec la protection des consommateurs : « La CNIL n'est pas tout à fait satisfaite des semblants de réponse, notamment sur qui possède au final les compteurs. L'information est parcellaire, la protection des compteurs laisse totalement à désirer. Il va falloir travailler dur avant de parvenir à quelque chose de satisfaisant », met en garde M. Paillard. Le groupe de l'article 29, qui rassemble les CNIL européennes, a rendu un avis en décembre 2010 qui va dans le même sens.
Des préoccupations que partage Caroline Keller, chargée de mission Energie auprès d'UFC- Que Choisir, qui s'étonne que les consommateurs puissent être considérés comme un « frein » au développement des smart grids. Au cours de la soixantaine de consultations organisées par la CRE et des expérimentations de Linky à Lyon et en Touraine, beaucoup d'améliorations ont été suggérées. Pour Caroline Keller, « le besoin principal c'est, pour le consommateur, de mieux connaître sa consommation en temps réel et de la maîtriser, selon les objectifs fixés par le Grenelle de l'environnement. Pour nous, c'est une mission que ne remplit pas le compteur Linky, car la moitié des compteurs sont à l'extérieur des logements. Pour accéder à l'information relevée par ces compteurs, le consommateur devra acheter un boîtier payant. La généralisation va être décidée sans qu'un outil complet ait été testé. »
En attendant la parution cet été de l'arrêté ministériel de pérennisation du compteur Linky, la CRE a émis une première délibération sur les smart grids le 24 mars dernier, et produira une évaluation des premières expérimentations courant juin. La directive du 13 juillet 2009 sur le marché intérieur de l'électricité prévoit que « les Etats membres veillent à la mise en place de systèmes de mesure qui favorisent la participation active des consommateurs au marché de la fourniture d'électricité ». La directive fixe l'objectif que 80% de la population puisse disposer de ces outils de comptage évolués en 2020, sous réserve que leurs avantages soient avérés. En France, cela représente un marché de quelque 35 millions de compteurs.