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Renouvellement du glyphosate : où est passé le principe de précaution ?

Dorian Guinard rappelle qu'il existe un certain nombre d'incertitudes sur les risques du glyphosate pour la biodiversité, ce qui pose a minima la question de l'applicabilité du principe de précaution par les juges, tant européens que nationaux.

DROIT  |  Tribune  |  Agroécologie  |  
Droit de l'Environnement N°328
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°328
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Renouvellement du glyphosate : où est passé le principe de précaution ?
Dorian Guinard
Maître de conférences en droit public à l'université Grenoble Alpes
   

Le glyphosate, substance active parmi les plus utilisées en France (1) et en Europe, est une molécule utilisée dans la fabrication des herbicides, absorbée par la plante et transportée ensuite par la sève. On retrouve la substance dans plusieurs types d'agricultures : céréalière en intercultures, mais aussi viticulture et arboriculture. Bref, s'en passer remettrait en cause les méthodes de l'agriculture conventionnelle (et très probablement aussi, dans un premier temps, les rendements et le prix des denrées). Son autorisation arrivant à expiration en fin d'année 2023, la Commission européenne avait proposé, le 13 octobre 2023, un renouvellement de dix ans au Comité permanent des végétaux et denrées alimentaires (Scopaff), suivant l'avis de l'autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) (2) qui ne relevait pas, le 6 juillet 2023, de « domaines de préoccupation critique » concernant la substance. Faute de majorité des États membres, la décision devait être prise par le Comité d'appel (3) , où ne s'est pas non plus dégagée de majorité le 16 novembre 2023, la France et l'Allemagne s'étant abstenues (la France avait voté contre en 2017). La décision est ainsi revenue à la Commission (4) . Cette dernière a décidé ledit renouvellement le 15 décembre 2023, avec quelques restrictions d'usage sans grande portée. Cette décision va être contestée par, a minima, différentes associations, notamment « Pesticide Action Network Europe », devant les juges de l'Union. Le renouvellement du glyphosate, abondamment commenté au prisme de la santé humaine et de son caractère potentiellement cancérogène, invite cependant à revenir sur plusieurs points peu traités par les médias et relatifs aux impacts de la molécule sur la biodiversité, ce qui rend nécessaires quelques remarques portant sur le principe de précaution (I). Il implique aussi de faire le point sur le droit positif et d'évoquer les latitudes d'action de la France sur la commercialisation de produits contenant cette substance active (II).

I. Les lacunes dans l'évaluation des risques concernant la biodiversité : une applicabilité patente du principe de précaution ?

L'EFSA, dans son rapport précité sur l'évaluation des risques associés au glyphosate, relève qu'il n'existe pas de « méthodologies harmonisées et d'objectifs de protection spécifiques convenus » concernant les risques associés aux utilisations représentatives du glyphosate. De façon générale, « les informations disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions définitives sur cet aspect de l'évaluation des risques ». L'EFSA relève de plus qu'en matière d'écotoxicologie, « le corpus de données disponibles a permis d'adopter une approche prudente en matière d'évaluation des risques, approche qui a mis en évidence un risque élevé à long terme pour les mammifères dans 12 des 23 utilisations proposées du glyphosate ». Autrement dit, l'autorité européenne reconnaît elle-même des lacunes méthodologiques d'évaluation (pas d'harmonisation), une impossibilité de tirer des conclusions fiables sur l'évaluation des risques et un risque élevé à long terme pour plus de la moitié des utilisations du glyphosate concernant les mammifères. Surgit alors et fort logiquement une applicabilité éventuelle du principe de précaution, étrangement absente du discours de la Commission européenne sur ce point. Qu'implique ce principe en matière de pesticides ?

Il constitue tout d'abord le fondement de la politique de l'Union en matière environnementale, comme le stipule l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Le règlement du 21 octobre 2009, norme centrale dans la réglementation des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques, dispose également que le principe de précaution « devrait être appliqué et le présent règlement devrait assurer que l'industrie démontre que les substances ou produits fabriqués ou mis sur le marché n'ont aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale ni aucun effet inacceptable sur l'environnement » (5) et son article premier rappelle que ce principe est le fondement du règlement et ce « afin d'éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine et animale ou à l'environnement ». Le même article prend soin de préciser que « les États membres ne sont pas empêchés d'appliquer le principe de précautionlorsqu'il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l'environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire». Les juges de l'Union ont précisé les significations et les implications de ce principe. Faire l'exégèse de la jurisprudence sur la question n'est pas le but de cette tribune : rappelons simplement ici que, notamment depuis 2010 (6) , et singulièrement depuis 2019 et l'arrêt « Blaise » de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) (7) , des mesures restrictives peuvent être prises « lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé », raisonnement évidemment applicable en cas de risques d'effet inacceptable sur l'environnement, étant précisé que le contrôle des juges ne porte que sur une potentielle erreur manifeste d'appréciation du législateur de l'Union. Sur le strict plan de la biodiversité, il est patent qu'il existe une incertitude scientifique compte tenu des lacunes méthodologiques évoquées précédemment et que les risques avérés à long terme pour les mammifères concernant la moitié des utilisations constituent, sans doute, des effets inacceptables pour l'environnement. Il est donc étonnant que la Commission ne se soit pas prononcée sur cette question et n'ait pas proposé, a minima, un raisonnement écartant le principe de précaution concernant les écosystèmes. C'est désormais aux États membres de prendre position, individuellement, sur chaque produit contenant du glyphosate, jusqu'en 2033, sauf annulation du renouvellement ou modification de la position de la Commission éventuellement fondée sur de nouvelles données scientifiques.

Les latitudes d'action de la France sont en l'espèce plus importantes que l'on pourrait à première vue le penser, étant entendu que les surtranspositions - le fait d'aller au-delà de ce que prescrit le droit de l'Union - sont inexistantes, le droit procédant ici des règlements européens.

II. Renouvellement du glyphosate et latitudes d'action de la France

Le droit des produits phytopharmaceutiques implique que l'Union européenne autorise les substances actives, les États membres ayant la compétence d'autoriser la commercialisation des produits, schématiquement définis comme l'assemblage de ces substances avec des coformulants. Pourtant annoncé par le Président de la République le 27 novembre 2017 au plus tard « dans les trois ans » (8) , le retrait des produits composés de glyphosate n'a pas du tout été initié par l'exécutif. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) exerce toutefois un contrôle réel sur les AMM de ces produits. En effet, sur les 69 produits ayant demandé une demande de renouvellement de leur autorisation, 36 ont été retirés du marché en décembre 2019 par l'Anses en raison de l'insuffisance ou de l'absence de données scientifiques permettant d'écarter tout risque génotoxique (9) . De plus, sur les 11 nouvelles demandes d'autorisation, 4 ont été refusées pour des motifs similaires. On comptait ainsi 40 produits à base de glyphosate commercialisés en 2020, mais 3 ont, depuis cette date, vu leur AMM être annulée par les juges administratifs, acteurs désormais centraux du droit des pesticides.

Ces derniers ont en effet participé à l'évolution du droit positif ces quatre dernières années. Par deux décisions de 2019 puis 2021 (10) , les juges lyonnais ont annulé l'AMM du « RoundUp Pro 360», au terme de décisions particulièrement motivées scientifiquement. Les juges ont ainsi mis en lumière les insuffisances des analyses de l'Anses concernant les effets synergiques (ou effets cocktails), insistant sur la question centrale des surfactants - celle spécifiquement des tensioactifs comme l'ammonium quaternaire pour le « Roundup Pro 360 » - et fondant leur raisonnement précisément sur le principe de précaution pour annuler l'AMM. Le tribunal administratif de Montpellier, à travers deux décisions du 12 mai 2023 (11) , a annulé deux AMM du « Touchdown » pour violation, là encore, du principe de précaution, caractérisée par l'incomplétude de l'évaluation, notamment concernant les vertébrés et les arthropodes non-cibles (12) .

Que déduire de ces applications par les juges du principe de précaution ? Principalement une incertitude sur le futur des produits commercialisés. En effet, l'incomplétude des données génère nécessairement une incertitude quant aux impacts sur les faunes, ce qui conduit à un risque non balayé d'effet inacceptable sur l'environnement compte tenu des états catastrophiques des écosystèmes. Partant, en l'absence d'études fournies par les industriels, ou par l'existence d'études de la science académique mettant au jour des risques pour les faunes, le principe de précaution pourrait être mis en œuvre plus facilement à la lecture des conclusions de l'EFSA, soit par l'Anses directement via un retrait des produits bénéficiant d'AMM (13) [15], soit par les juges internes s'ils sont saisis (éventuellement pour carence) par des requérants.

In fine, une seule certitude se dégage concernant le glyphosate : sa contestation contentieuse - tant à l'échelon européen qu'interne - n'est pas terminée.

1. Avec le soufre et le prosulfcarbe. L'année 2021 a vu 7 765 tonnes de glyphosate être vendues, sur un total de 43 013 tonnes hors agriculture biologique et produits de biocontrôle : MTE, Publication des données provisoires des ventes de produits phytopharmaceutiques en 2021, 15 nov. 20222. Efsa, Glyphosate : pas de domaine de préoccupation critique ; identification de lacunes dans les données, 6 juill. 20233. Règl. (UE) n° 182/2011, 16 févr. 2011 : JOUE L 55, 28 févr., spéc. art. 44. Remarquons qu'il est sans doute temps de faire évoluer cette procédure qui pose quelques questions démocratiques.5. Règl. (CE) n° 1107/09, 21 oct. 2009 : JOUE L 309, 24 nov., concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, cons. 86. CJUE, 22 déc. 2010, n° C-77/09, Gowan, spéc. pt. 767. CJUE, 1er oct. 2019, n° C-616/17, Blaise, spéc. pts 45 et s.8. V. déclaration du Président de la République après le renouvellement de la substance le 27 novembre 2017 en comité d'appel : « J'ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans », Foucart S. et Horel S., Macron réaffirme que la France interdira le glyphosate « au plus tard dans trois ans », Le Monde, 27 nov. 20179. Anses, L'Anses annonce le retrait de 36 produits à base de glyphosate, 9 déc. 201910. TA Lyon, 15 janv. 2019, n° 1704067, note Hermon C., AJDA 2019, p. 1122 ; CAA Lyon, 29 juin 2021, comm. Guinard D.,JCP-A, n° 44-45, n° 232911. TA Montpellier, 12 mai 2023, n° 2026225 à propos du « Touchdown Système 4 » ; TA Montpellier, 12 mai 2023, n° 2026224 à propos du « Touchdown Forêt ».12. Guinard D., comm. JCP A, op. cit.13. La procédure est complexe, mettant en jeu plusieurs articles du règlement n° 1107/09, mais peut intervenir à l'issue d'une évaluation scientifique spécifique, la plupart du temps à l'issue d'une instruction de demande de renouvellement d'un produit : l'article 44 prévoit le retrait en référence aux conditions posées à l'article 29, lui-même renvoyant à l'article 4, paragraphe 3 et à la caractérisation d'effets inacceptables sur l'environnement, étant entendu que les effets synergiques connus doivent être pris en compte, de même que l'effet « nocif immédiat ou différé » sur les eaux souterraines. On notera que c'est sur ces bases que l'Anses a récemment circonscrit les usages du S-Metolachlore.

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