C'est une publication qui relance le débat sur l'intérêt et la légitimité de classer certaines espèces d'animaux comme nuisibles. La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) a publié, le 26 septembre, une synthèse de la littérature scientifique, en partenariat avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l'Association pour la sauvegarde des animaux sauvages (Aspas), afin de savoir si la destruction de ces espèces permettait de réduire les dégâts qui leur sont imputés.
« Les évaluations scientifiques sur les effets des prélèvements Esod sur la réduction de dégâts sont inexistantes ou ne montrent que peu de résultats positifs », conclut la FRB après avoir analysé 47 publications scientifiques européennes. Et ce, alors que le Gouvernement vient de reconduire pour trois ans le classement de neuf espèces sur le plan national en tant qu'espèces indigènes susceptibles d'occasionner des dégâts (Esod). Un classement qui permet de les chasser toute l'année par tir, piégeage ou déterrage. Les espèces concernées sont la belette, la fouine, la martre, le renard roux, le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, le geai des chênes et l'étourneau sansonnet. Les auteurs ont ajouté à l'étude le putois, retiré de la liste lors de son dernier renouvellement à la suite d'une décision du Conseil d'État, et le blaireau, « emblématique de la lutte contre les nuisibles ».
Le code de l'environnement prévoit que le classement en Esod se fonde sur l'un au moins des motifs suivants : un intérêt sanitaire ou de sécurité publique ; la protection de la flore et de la faune ; la prévention des dommages aux activités agricoles, forestières et aquacoles ; ou la prévention des dommages à d'autres formes de propriétés.
Pas d'étude sur les dégâts agricoles
Malgré ces différents motifs de classement, l'analyse révèle, en premier lieu, que seuls les effets des prélèvements sur la santé humaine, sur les troupeaux et sur la faune sauvage et cynégétique, ont fait l'objet d'études scientifiques. Aucune étude portant sur l'effet de ces prélèvements sur les dégâts agricoles ou la propriété privée n'a été identifiée. « Il existe une grande lacune de connaissance sur l'effet des prélèvements sur les dégâts agricoles ou privés, alors même que des dégâts sont régulièrement déclarés pour pouvoir justifier le classement des espèces sur la liste des Esod », relève la FRB.
Cette dernière préconise par conséquent de mettre en place des suivis scientifiques sur ces effets, en particulier sur les dégâts occasionnés aux activités agricoles. « En l'absence de ces études, le classement des espèces incriminées en Esod est fait sans fondement scientifique », cinglent les auteurs.
Pour ce qui concerne les dégâts sur la faune, les espèces principalement étudiées sont le renard, la corneille, la pie et, plus rarement, la belette. Soixante-dix pour cent des études analysées montrent que les destructions d'Esod n'ont pas d'effet sur la réduction de leur prédation sur la faune. Aucun effet significatif n'est démontré sur les rapaces, les anatidés (oies, cygnes, canars, etc.), les oiseaux spécialistes de milieux agricoles, les passereaux, les corvidés, les mustélidés (belettes, hermines, etc.) et les viverridés (genettes). Elles ont en revanche un effet sur les léporidés (lièvres, lapins).
Aucune étude scientifique n'a évalué les effets des prélèvement du putois, de l'étourneau sansonnet ou de la martre des pins, alors que ces deux dernières espèces sont toujours inscrites sur la liste des Esod. Leur classement « pose question », en conclut l'analyse.
L'effet des prélèvements peut être compensé
La pratique consistant à détruire des animaux considérés comme nuisibles s'appuie sur le raisonnement que la destruction des individus des espèces ciblées permet la réduction de leur population et, par conséquent, des dégâts qu'ils occasionnent, rappellent les auteurs. Mais ce lien n'est pas scientifiquement établi. « L'effet des prélèvements peut être compensé par l'immigration de nouveaux individus, ou par une meilleure survie des individus non touchés par les destructions, du fait d'une réduction de la compétition pour l'accès aux ressources », rappelle la FRB en s'appuyant sur une étude portant sur le renard. En outre, « les dégâts sont le fait d'individus et non d'une espèces en général ». Ce qui implique qu'ils ne sont pas nécessairement corrélés à la taille des populations d'Esod.
« La modalité de gestion consistant à focaliser les prélèvements sur une espèce à laquelle est attribué un type de dégâts pose question », rapporte par ailleurs la FRB. « Écologiquement, un dégât est difficilement imputable à une espèce en particulier. En effet, les systèmes écologiques dans lesquels elles évoluent interagissent, les contextes locaux et environnementaux variés nécessitent une analyse plus fine des relations de causes à effet entre les Esod et les dégâts constatés », expliquent les auteurs.
Rapport coût/bénéfice non évalué
Le rapport coût/bénéfice des prélèvements d'Esod est en outre très rarement évalué et, quand il l'est, il ne penche pas en faveur de leur destruction. « Par exemple, au Royaume-Uni, dans le cadre de la gestion de la tuberculose bovine, les coûts estimés de prélèvements de blaireaux étaient supérieurs aux économies réalisées par la faible réduction d'infections dans les élevages », rapporte la revue de littérature.
Les auteurs soulèvent, enfin, une question éthique et philosophique posée par la destruction d'animaux dans un contexte d'effondrement de la biodiversité. « Détruire des êtres vivants, a fortiori dans un contexte de déclin de la biodiversité, devrait être justifié par l'urgence à agir pour empêcher un dégât jugé grave par des critères objectifs et mesurables, par l'absence de mesures alternatives et par une preuve de l'efficacité de la destruction », estiment les auteurs. Or, cette efficacité n'est pas scientifiquement établie, rapporte cette revue de littérature.
De quoi alimenter la réflexion sur le dispositif actuel de classement des Esod, que la secrétaire d'État à la Biodiversité, Sarah El Haïry, s'est engagée à mener.