Le Conseil constitutionnel a rendu ce jeudi 17 septembre sa décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Plastics Europe. L'association, qui regroupe les fabricants européens de matières plastique, souhaitait faire tomber la loi du 30 juin 2010 sur le bisphénol A (BPA) en raison de ses conséquences jugées dramatiques pour l'industrie du plastique, mais aussi de l'emballage métallique et de l'agroalimentaire.
Plastics Europe avançait le chiffre de 50.000 emplois, 1.500 entreprises et 4 milliards d'euros de valeur ajoutée par an liés au BPA en France. Cette substance était en effet utilisée comme ingrédient de base des résines époxy qui tapissent l'intérieur des boîtes de conserves et des canettes, mais aussi dans le polycarbonate utilisé dans les biberons ou les ustensiles de cuisine.
"Etait" car la loi du 24 décembre 2012 a suspendu la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché des emballages contenant du BPA destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires. Depuis le 1er janvier 2013 pour les denrées destinées aux nourrissons et depuis le 1er janvier 2015 pour les autres denrées alimentaires. Cette suspension, ajoute la loi, ne prendra fin que si le Gouvernement autorise la reprise de ces opérations après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Plastics Europe estimait que la suspension votée par le législateur constituait une atteinte à la liberté d'entreprendre. D'une part, parce que, selon elle, la mesure ne concourt pas à la protection de la santé dans la mesure où ni la dangerosité du BPA, ni l'innocuité des substituts ne sont démontrées. D'autre part, parce que les dispositions contestées créent une distorsion de concurrence au détriment des entreprises localisées en France, qui sont contraintes d'adapter leur production par le recours à des substituts au BPA.
Atteinte à la liberté d'entreprendre
Les Sages accueillent en partie le grief de la requérante. Ils estiment que la suspension de l'importation et de la mise sur le marché national du BPA porte à la liberté d'entreprendre "une atteinte qui n'est pas manifestement disproportionnée" au regard de l'objectif de protection de la santé poursuivi par le législateur.
En revanche, ils jugent qu'il n'en est pas de même en ce qui concerne la suspension de la fabrication et de l'exportation de ces produits. La commercialisation des produits visés par la loi étant autorisée dans de nombreux pays, la suspension de la fabrication sur le territoire français et de l'exportation à partir de celui-ci est sans effet sur la commercialisation à l'étranger. Le Conseil en déduit une atteinte à la liberté d'entreprendre sans lien avec l'objectif poursuivi. Et censure par conséquent la suspension de la fabrication et de l'exportation des produits visés par la loi.
Le débat porté au niveau européen
Cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable "à toutes les affaires non jugées définitivement" à la date de sa publication, précise la décision. Une décision qui ne devrait pas déplaire aux industriels français mais pourrait faite tiquer Bruxelles. C'est d'ailleurs sur ce point que Plastics Europe entend poursuivre son combat, estimant qu'il ne s'agit là que d'une étape avant la levée totale de l'interdiction du BPA dans les contenants alimentaires.
Plusieurs associations professionnelles, dont Plastics Europe, ont appelé l'exécutif européen à engager une procédure d'infraction à l'égard de la France. "La phase d'enquête préalable à la mise en demeure de la France a été officiellement engagée", se félicite la fédération professionnelle, qui précise que le Conseil d'Etat doit également se prononcer sur la conformité au droit européen des dispositions de la loi ainsi modifiées par le Conseil constitutionnel.
De son côté, l'eurodéputée Michèle Rivasi juge la décision du Conseil constitutionnel "ahurissante". "On se croirait revenu au temps de Tchernobyl à l'époque où on nous disait que le nuage radioactif s'était arrêté à la frontière française", réagit l'élue écologiste, pour qui cette décision rappelle l'urgence de fixer un cadre précis sur les perturbateurs endocriniens au niveau européen.