Par sa décision du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a froidement mis fin aux espoirs de ceux qui comptaient sur la loi pour la reconquête de la biodiversité pour améliorer la protection des chemins ruraux. Des chemins mis à mal au fil des années par le remembrement, le défaut d'entretien, les appropriations par des particuliers mais surtout par les agriculteurs adoptant des modes de culture intensive.
"Viviers pour la biodiversité"
Le Conseil constitutionnel a donné juridiquement raison à la ministre de l'Environnement, Ségolène Royal, qui s'était initialement opposée à l'intégration de dispositions relatives aux chemins ruraux dans le projet de loi sur la biodiversité. Les Sages ont en effet considéré que ces dispositions ne présentaient "pas de lien, même indirect" avec celles figurant dans le projet de loi originel et constituaient par conséquent un cavalier législatif.
"C'est une déception de voir que le lien entre les chemins ruraux et la biodiversité n'est pas une évidence pour certains…", réagit Mylène Eschemann, chargée de mission au sein de l'association Chemins de Picardie. La décision du Conseil est en effet étonnante alors que la loi définitivement votée contient des dispositions relatives aux espaces de continuités écologiques ainsi qu'aux alignements d'arbres.
Les chemins ruraux n'auraient-ils donc aucun effet sur la biodiversité ? Ce n'est pas l'avis du sénateur UDI Yves Détraigne, auteur au nom de la commission des lois, d'un rapport sur la proposition de loi de son collègue Henri Tandonnet dont le contenu avait été repris dans le projet de loi biodiversité. Si ce rapport soulignait leur vocation première de voies de circulation pour les acteurs de la vie rurale (cultivateurs, forestiers, apiculteurs, chasseurs, etc.), il mettait aussi en avant le rôle des chemins ruraux pour la préservation de l'environnement.
"Les chemins ruraux apparaissent (…) comme des outils indispensables de lutte contre l'érosion des sols en facilitant l'infiltration de l'eau ou en freinant les écoulements de boues du fait de leur dénivelé ou de la présence de haies les bordant. Ils protègent également les routes contre la formation de congères. Ils sont enfin de véritables viviers pour la biodiversité À tous ces titres, les chemins ruraux s'avèrent des supports privilégiés pour le maintien de la trame verte et bleue", concluait le rapporteur après avoir auditionné de nombreux spécialistes.
Pourtant, ces chemins peuvent faire l'objet d'une prescription acquisitive ou usucapion. Il s'agit d'une exception au principe d'imprescribilité de la propriété publique qui permet au possesseur d'un chemin de revendiquer sa propriété passé un délai de 30 ans ou de 10 ans si la prise de possession a été faite "de bonne foi et par juste titre". La disparition de quelque 250.000 kilomètres de chemins ruraux en France s'expliquerait en grande partie par ces appropriations.
Les dispositions censurées auraient-elles permis d'améliorer la protection des quelque 750.000 kilomètres de chemins ruraux restants ? Probablement, même si elles n'étaient pas parfaites. Ces dispositions prévoyaient la possibilité pour les conseils municipaux de décider d'un recensement des chemins interrompant la prescription acquisitive ainsi que celle d'échanger les chemins en vue de modifier leur tracé tout en les préservant. Elles visaient également à faciliter leur entretien par les associations.
Jacky Boucaret, administrateur de l'association Vie et paysages, relativise la censure du Conseil constitutionnel dans la mesure où le texte contenait de nombreuses insuffisances. "L'imprescriptibilité des chemins est la seule solution pour mettre un terme au pillage des campagnes", estime le représentant associatif. Une option qui avait été écartée par la commission des lois de la chambre haute. La rédaction des dispositions relatives à l'échange des chemins posait également des problèmes juridiques, estime le membre du collectif Chemins ruraux en danger. M. Boucaret déplore également qu'un amendement du Sénat, permettant l'entretien des chemins par les associations à titre gratuit sans nécessité de signer une convention avec la commune, n'ait pas été repris par l'Assemblée.
Les associations en pointe sur la défense des chemins ruraux entendent par conséquent réactiver en l'améliorant la proposition de loi Tandonnet, qui avait été votée au Sénat en mars 2015 mais dont le parcours s'est arrêté à l'Assemblée nationale. Reste que la loi biodiversité offrait une opportunité inattendue de légiférer sur cette question. Opportunité à laquelle le Conseil constitutionnel a brutalement mis fin et qui pourrait ne pas se représenter de sitôt.
En attendant, "la dégradation des chemins se poursuit, pointe Jacky Boucaret, alors que le nombre de leurs utilisateurs est pourtant en croissance constante, qu'il s'agisse de randonneurs, chasseurs, cavaliers, vététistes ou autres".