L'augmentation persistante du méthane libéré dans l'atmosphère pose de sérieuses questions en matière de lutte contre les changements climatiques, compte tenu du fort impact de ce gaz à effet de serre (GES). L'Académie des technologies tente d'y répondre dans un nouveau rapport intitulé "Le méthane : d'où vient-il et quel est son impact sur le climat ?" publié ce jeudi 15 janvier 2015.
Une certaine désinvolture
Certes, la concentration de méthane dans l'atmosphère est faible, de l'ordre de 1.800 parties par milliard (moins de 0,0002%), soit 250 fois moins que celle du CO2. Cependant avec un potentiel de réchauffement global (PRG) 25 fois plus important que celui du CO2, il compte pour 20% du forçage climatique causé par l'homme, selon le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). D'autant que la hausse de sa concentration dans l'atmosphère est pratiquement régulière. Cette concentration se situe aujourd'hui au-delà des niveaux naturels des 800.000 dernières années compris entre 350 à 750 ppb. Des "puits" absorbent une partie du méthane émis naturellement ou par les activités humaines, mais un excédent, de l'ordre de 38 millions de tonnes par an (Mt/an) demeure.
Au-delà de ces estimations, les volumes de méthane émis par les différentes sources peuvent varier fortement d'une année à l'autre. C'est en particulier le cas des émissions liées aux zones humides qui fluctuent en fonction de la température et des conditions hydriques. De plus, certaines sources d'émissions naturelles, telles que la fonte du pergélisol ou des hydrates marins sous l'effet de la hausse des températures, pourraient représenter une réelle menace, compte tenu des volumes en jeu. "Le futur est ouvert aux surprises", explique Jean-Claude André, climatologue, reconnaissant "chercher les mots pour ne pas être catastrophique".
Privilégier les mesures sans regret
Dans ce contexte, que pouvons-nous faire pour réduire les sources d'émissions anthropiques ? Beaucoup de chose estime l'Académie qui pointe en particulier l'intérêt des mesures "sans regret", c'est à dire les mesures qui pourraient être déployées sans retard étant donné leur rentabilité à court terme. Certaines d'entre elles pourraient figurer parmi les engagements des Etats en vue de la conférence sur le climat de décembre 2015, espèrent les académiciens.
En premier lieu, la capture du méthane émis par les décharges apparaît comme une priorité, tant la mesure est simple à réaliser et peut s'avérer rentable. Le méthane récupéré peut ensuite être utilisé comme énergie ou brûlé en torchère, ce qui est moins dommageable pour le climat. C'est notamment le cas en Europe où ces dispositifs sont obligatoires. "Un pays comme le Brésil, capable d'organiser une coupe du monde de football et des jeux olympiques, peut aussi réaliser cela rapidement", estime Bernard Tardieu, évoquant des questions de priorités politiques. L'enjeu social doit cependant être pris en compte, tant "les décharges sont le lieu de la survie pour les plus pauvres", alerte-t-il, ajoutant que "cela pose la question de la pauvreté, il serait temps!".
Autre enjeu de taille : les mines de charbon et l'industrie pétrolière et gazière. S'agissant du charbon, il est tout à fait possible de collecter le méthane (le grisou, en réalité), comme c'est le cas en Europe. Le bénéfice est d'autant plus grand que cela réduit considérablement les risques d'explosion dans les galeries. Quant au secteur gazier, il faudrait mieux encadrer les forages, le transport du gaz ou encore la maintenance des installations, et en particulier la purge à l'air libre des gazoducs avant intervention. De même, il est important d'assurer la récupération du méthane lors de l'extraction de pétrole, que ce soit pour le commercialiser ou le brûler en torchère. Reste qu'en matière de torchage, "les règles existent, mais ne sont pas appliquées faute de sanction", regrette Bernard Tardieu.
Quant à l'agriculture, la situation est complexe et exige des mesures adaptées, estime l'Académie. En matière de riziculture, il convient de distinguer les rizières réalisées en zones naturellement inondées de celles inondées par l'homme. "Le riz comme céréale ne doit pas être mis en cause", explique Bernard Tardieu, rappelant que "les trois quarts de la population mondiale sont nourris avec du riz, on ne peut pas faire l'imbécile avec ça". Aussi, l'Académie suggère-t-elle d'adopter les meilleures pratiques possibles, notamment en matière de drainage. Le constat est similaire concernant l'élevage. Alors que l'élevage en batterie avec une nourriture riche en cellulose est "la pire solution", rappelle Bernard Tardieu, l'analyse de l'ensemble "troupeau et prairie" présenterait une solution quasi neutre, les émissions des ruminants étant compensées par la capacité de stockage du carbone des prairies. De même, la culture sur brulis et la gestion des lisiers doivent être pris en considération. Cependant, le travail risque d'être long car "pour l'instant les émissions agricoles ne sont prises en compte", déplore Bernard Tardieu, évoquant "une question de lobbies".