C'est une proposition de loi qui a créé le débat, là où ses auteurs ne l'attendait pas. En effet, le projet de texte visant à renforcer l'arsenal juridique français de lutte contre la contrefaçon, examiné par le Sénat le 20 novembre en procédure accélérée, a particulièrement inquiété les défenseurs des semences de ferme.
A priori, cette proposition de loi ne concerne pas l'agriculture. Pourtant, nombre de partisans des semences de ferme ont fait entendre leurs voix, à l'instar du réseau Semences paysannes, et de nombreux amendements ont été déposés par les sénateurs afin d'exclure du champ de ce texte les semences. Finalement, la proposition de loi sur la lutte contre la contrefaçon a été adoptée à l'unanimité. Un amendement a néanmoins été ajouté afin de lever les craintes quant aux semences de ferme.
Une tendance : la propriété intellectuelle sur le vivant
Un premier décret devrait ainsi étendre la liste des espèces autorisées pour utilisation en semence de ferme. Il est en cours de discussion finale auprès des instances professionnelles pour transmission au Conseil d'État avant la fin de l'année, a précisé la ministre.
Un deuxième décret définira l'indemnité due à l'obtenteur du certificat par l'agriculteur qui utilise des semences de ferme, dans les cas où aucun accord interprofessionnel n'a été conclu. Pour l'heure, un seul accord interprofessionnel a été signé, dans le domaine des céréales à paille, le 14 juin 2013.
Dans la foulée, l'ouverture des négociations sur un projet de traité de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis a renforcé les craintes. Aux Etats-Unis, le recours au brevet pour les variétés végétales est très courant. Or, un tel accord pourrait ouvrir la possibilité pour les industriels de saisir la justice contre les Etats dont la réglementation serait considérée comme contraire à leurs intérêts.
Enfin, le 21 novembre, les sénateurs ont adopté un projet de loi autorisant la ratification de l'accord sur le brevet unitaire, qui prévoit qu'une fois déposé dans un pays de l'Union européenne, un brevet soit automatiquement reconnu dans les autres Etats membres.
Contrefaçon : quid de la propriété intellectuelle en agriculture ?
La nouvelle proposition de loi a été déposée par le groupe socialiste afin d' "améliorer" la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. Le projet de texte vise à modifier le code de la propriété intellectuelle, le code des douanes, le code de la sécurité intérieure ainsi que le code des postes et des communications électroniques. L'un de ses auteurs, Richard Yung, avait souligné, dans un rapport d'information présenté en février 2011, la nécessité d'améliorer la protection de la propriété intellectuelle en France.
Protégées désormais par le code de la propriété intellectuelle, les semences sont donc directement concernées par ce projet de texte. C'est pourquoi, lors de son examen, plusieurs sénateurs ont déposé des amendements visant à exclure les semences de ferme du champ de ce texte.
"Avec ces nouvelles lois, les services de l'État seront obligés de saisir les récoltes à la moindre injonction de l'industrie, de les détruire [si les agriculteurs] cultivent une espèce pour laquelle les semences de ferme sont interdites, ou de les confisquer jusqu'à ce que l'agriculteur paye des royalties s'il s'agit d'une espèce dérogatoire. A moins qu'il ne puisse prouver qu'il n'a utilisé aucune semence protégée par un droit de propriété industrielle (DPI), ce qui devient aujourd'hui impossible puisque plus de 90 % des semences commerciales le sont", analyse le réseau Semences paysannes.
Pour l'auteur de la proposition de loi, Richard Yung, celle-ci "ne traite en aucun cas des certificats d'obtention végétale et des semences, qui y sont liées. La question du droit, pour les agriculteurs, d'utiliser une partie de leur récolte pour réensemencer leurs champs, que l'on appelle « le privilège de l'agriculteur », correspond à une autre législation qui n'entre pas dans le cadre de la présente proposition de loi".
Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, présente lors des débats en commission des lois, a indiqué de son côté que le projet de texte "respecte le cadre des dispositions prévues par la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d'obtention végétale. Elle maintient les restrictions prévues au droit de l'obtenteur du certificat : l'exemption du sélectionneur, qui permet la recherche, et le privilège de l'agriculteur, ce qu'on appelle la pratique des semences de ferme".
Afin de dissiper les craintes, le gouvernement a émis un avis favorable à un projet d'amendement déposé par le groupe socialiste, qui "rappelle utilement que les dispositions relatives aux semences de ferme seront préservées", a indiqué Nicole Bricq. Cet amendement indique que "sont interdits, à défaut de consentement du titulaire du certificat d'obtention végétale, la production, l'offre, la vente, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation ou la détention à ces fins, du matériel de reproduction ou de multiplication de la variété protégée". Il a finalement été adopté, et l'ensemble des amendements déposés sur les semences de ferme a été retiré.