Le débat sur les captures accidentelles de petits cétacés (dauphin commun, grand dauphin et marsouin commun) par les bateaux de pêche dans le golfe de Gascogne n'est pas près de s'éteindre. Le secrétaire d'État à la Mer publie, ce jeudi 26 octobre au Journal officiel, l'arrêté censé réduire ces captures, pris à la suite d'un avis motivé de la Commission européenne et d'une injonction du Conseil d'État. Le texte publié, loin de satisfaire, les associations de protection de la nature (FNE, Sea Shepherd, Défense des milieux aquatiques) à l'origine de la décision de la Haute Juridiction administrative, les fait redoubler d'indignation.
Celles-ci avaient déjà vivement réagi lors de la mise en consultation publique du projet d'arrêté en septembre dernier, estimant que ce dernier ne répondait pas correctement à l'injonction du Conseil d'État, pas plus qu'aux recommandations des scientifiques puisqu'il laissait la quasi-totalité des navires concernés libres de poursuivre leurs activités de pêche sans précaution supplémentaire. Et ce, alors que le nombre de petits cétacés retrouvés échoués entre le 1er décembre 2022 et le 3 avril 2023 s'est élevé à 1 380 individus, selon l'Observatoire Pelagis, que des échouages inhabituels ont été constatés l'été dernier, et que les trois espèces concernées sont dans un état de conservation défavorable.
La réaction des associations a été encore plus vive après que le ministère de la Transition écologique a mis en ligne, avant la publication de l'arrêté, chose inhabituelle, la synthèse des observations du public et les motifs de la décision. Une synthèse qui fait état de 17 464 avis, dont seulement quatre sont explicitement favorables au projet de texte.
Fermeture d'un mois chaque année
Que prévoit le texte publié ? « La France vise une réduction des captures accidentelles en combinant des fermetures spatio-temporelles et un déploiement massif sans précédent de dispositifs techniques visant une réduction pérenne des captures accidentelles », vante le secrétariat d'État chargé de la Mer dans un communiqué. La fermeture de l'activité de pêche pour les navires de plus de huit mètres aura lieu du 22 janvier au 20 février, chaque année de 2024 à 2026, dans l'ensemble du golfe de Gascogne. « Cette période est identifiée, selon les données historiques, comme à fort risque de captures accidentelles de petits cétacés. L'ensemble des filets et chaluts à risque d'interaction sont concernés, à savoir les chaluts pélagiques et de fonds en bœuf, les filets maillants calés et trémails. Près de 600 navires français sont ainsi concernés par cette mesure », précise le secrétariat d'État rattaché à la Première ministre.
Alors qu'une grande partie des observations reçues lors de la consultation demandait un allongement de la période d'interdiction, le Gouvernement a opposé une fin de non-recevoir estimant que la durée de trente jours correspondait aux scénarios du Centre international d'exploration marine (CIEM) présentant « le meilleur taux d'efficacité ». Il s'agit « d'une lecture bidonnée des recommandations scientifiques », cingle France Nature Environnement (FNE). De nombreux participants à la consultation avaient également demandé une extension géographique de la zone de fermeture au golfe du Morbihan et au bassin d'Arcachon. Le secrétariat d'État à la Mer a préféré suivre six avis qui demandaient d'exclure l'estuaire de la Gironde de l'obligation de fermeture.
De nombreuses contributions demandaient également de revenir sur les dérogations envisagées au profit des navires équipés de pingers, des équipements destinés à assurer une dissuasion acoustique, et à ceux équipés de caméras embarquées. Là aussi, l'exécutif a davantage écouté les pêcheurs en leur accordant une possibilité de dérogation à l'obligation de réparation des équipements défaillants avant de reprendre la mer.
Nouveaux recours des associations
Quant au déploiement des dispositifs techniques, il s'agit des équipements suivants, ajoute ce dernier : « Un pinger "répulsif" fixé à la coque du navire, émettant seulement lors de la mise à l'eau du filet ; une balise acoustique "informative" sur les filets, utilisant un signal bio-inspiré ; des réflecteurs acoustiques passifs sur les filets droits, permettant d'augmenter la visibilité des filets vis-à-vis des dauphins ». En complément, le secrétariat d'État annonce l'équipement en caméras des navires volontaires et la mise en place d'un plan de contrôle renforcé afin de s'assurer du respect des obligations réglementaires. « Les déclarations des captures accidentelles par les professionnels de la pêche restent obligatoires et primordiales », rappelle d'ailleurs le Gouvernement.
« On peut néanmoins reconnaître à cette administration une forme de cohérence : elle se moque de l'avis des scientifiques, elle se moque de la décision du Conseil d'État, et maintenant elle se moque de l'avis des citoyens et citoyennes. En cohérence, FNE continue son combat devant la justice, car la loi impose de ne pas se moquer de ces trois éléments fondamentaux de la démocratie environnementale », réagit Antoine Gatet, président de FNE.
Un combat judiciaire auquel participeront également Sea Shepherd France, en vue de faire appliquer la décision du Conseil d'État « qui est purement et simplement ignorée », mais aussi la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « En agissant ainsi, [l'État] encourage de façon irresponsable la confrontation entre les professionnels de la pêche et les défenseurs de la nature, réagit son président Allain Bougrain-Dubourg. Nous allons saisir le Conseil d'État pour qu'il confirme l'impératif de sauver les dauphins. »