Le droit de propriété, sacralisé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, peut-il constituer un obstacle à la nécessaire adaptation de la politique forestière au changement climatique ? C'est l'une des questions que soulève le très riche rapport réalisé par la mission d'information des députées Catherine Couturier (LFI – Creuse) et Sophie Panonacle (Renaissance – Gironde) présenté, le 2 mai, à la commission du développement durable et rendu public le 10 mai.
« Les pratiques sylvicoles ressortent de la liberté des propriétaires (même si le code forestier les encadre), mais elles ont des conséquences sur des pans entiers de la vie sociale : qualité des paysages, équilibres environnementaux, aménagement du territoire et localisation des activités de transformation. Il est donc légitime d'examiner si l'équilibre entre leurs droits et leurs devoirs doit être modifié, en recherchant sur cette question le consensus le plus large pour tendre vers la gestion de la forêt comme bien commun », explique la présidente de la mission, Catherine Couturier, dans l'avant-propos du rapport.
Regroupements de propriétaires
Cette recherche d'une gestion plus collective de la forêt devrait passer par un regroupement des propriétaires forestiers et par l'expérimentation d'un mode de gestion par massifs, recommande la mission. Celle-ci rappelle en effet le morcellement de la propriété forestière privée, qui représente 75 % de la surface française et dont une grande partie ne fait l'objet d'aucune mesure de gestion particulière. Les auteurs estiment même que 9 millions d'hectares (sur 17 millions) sont dépourvus de tout cadre de gestion durable. « Le dérèglement climatique risque d'avoir un effet maximal sur ces surfaces, avec le dépérissement des arbres et un risque croissant d'incendies », pointent-ils. Ce dont ils déduisent que « le regroupement de propriétés est avant tout un enjeu de gestion durable ».
Gestion par massifs
Quant au mode de gestion par massifs, il s'agit, selon la rapporteure, d'associer propriétaires publics et privés, scientifiques, préfet, collectivités territoriales, ONF, Centre national de la propriété forestière (CNPF) ou centre régional de la propriété forestière (CRPF), associations de chasseurs et associations environnementales. Cette gestion par massifs, portée notamment par la Fédération nationale des communes forestières, permet à ces différents acteurs de discuter ensemble des questions de peuplement, de biodiversité, d'exploitation ou encore de valorisation du bois.
« Il est clair que cette idée porte une légère limitation du droit de propriété, admet le rapport, mais celui-ci (…) peut être restreint pour des raisons d'intérêt public. La lutte contre le dérèglement climatique peut entrer dans ce cas de figure et exiger d'imposer des formes de gestion préservant et valorisant les forêts, puits de carbone. » Les programmes régionaux de la forêt et du bois, qui relèvent de cette gestion par massifs, selon le ministre de l'Agriculture, ne permettent toutefois pas de surmonter des stratégies de non-coopération de certains acteurs, relève la rapporteure.
Avant de légiférer sur cette question, la rapporteure propose d'expérimenter les plans de gestion collectifs par massifs sur une base contractuelle. Ces approches collectives sont d'ores et déjà menées par les parcs naturels régionaux (PNR), dont une trentaine portent une charte forestière, qui concerne environ 2 000 communes. Elles sont également encouragées par le Gouvernement à travers un appel à manifestation d'intérêt sur les projets de concertation territoriale lancé en début d'année à la suite des Assises de la forêt et du bois, qui se sont tenues d'octobre 2021 à mars 2022.
Afin d'apporter une aide technique aux propriétaires privés dans ces démarches collectives, la rapporteure souligne toutefois le rôle que doivent jouer l'ONF ainsi que les conseillers forestiers au sein des chambres d'agriculture. Elle appelle d'ailleurs à renforcer les effectifs du premier, alors que les syndicats de personnel dénonçaient, en juin 2022, la suppression de 500 emplois supplémentaires d'ici à 2025.
Étendre le droit de préemption des collectivités publiques
La mission suggère par ailleurs d'étendre le droit de préemption des collectivités publiques et de l'État. À l'heure actuelle, le code forestier ne leur permet d'exercer ce droit que s'ils possèdent une parcelle boisée contiguë à celle qui est vendue. « Il s'agirait (…) de généraliser ce droit de préemption dans un souci de préservation du couvert forestier et de gestion durable des forêts », indiquent les auteurs du rapport.
Ceux-ci s'appuient sur une expérience mise en œuvre dans la région Île-de-France. La loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain a donné la possibilité pour trois ans à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) d'Île-de-France de préempter les ventes de biens boisés dès lors que leur superficie était inférieure à trois hectares, dans un but de protection et de mise en valeur de la forêt.
La Safer a exercé 198 préemptions fondées sur cet objectif, représentant une surface de 105 hectares de forêt. Si un quart seulement a abouti à une acquisition, le droit de préemption a eu aussi un rôle préventif, souligne le rapport, dans la mesure où de nombreux propriétaires ont retiré leur parcelle de la vente, contribuant ainsi à prévenir le mitage de la forêt.